La chronique Savourer avec Véronique Leduc

Auteur(e)
Photo: Daphné Caron

Véronique Leduc

Véronique Leduc a été journaliste en tourisme pendant des années pour divers médias avant de se spécialiser en agrotourisme et culture culinaire. Elle a participé à divers collectifs liés au tourisme et a publié les livres Épatante Patate et La famille agricole. Parce qu’elle avait envie d’avoir plus d’espace pour parler de ceux et celles qui nous nourrissent, elle a aussi cofondé, il y a 10 ans, le magazine Caribou. Elle est rédactrice en chef des numéros papier qui abordent différents thèmes liés à la culture culinaire du Québec. Elle est fascinée par les humains et les histoires qu’ils ont à raconter. Elle a pour la première fois raconté son histoire à elle en 2021 dans son livre Infertilité Traverser la tempête. Elle signe les articles Savourer et Saveurs du jour sur Avenues.ca depuis 2015 et nous offre ici sa chronique Savourer.

Culture culinaire québécoise: pouvons-nous être fiers?

Je le sentais depuis longtemps déjà, mais ça m’a frappée encore plus fort et ça m’est apparu plus clairement que jamais récemment, lors de la journée Tous dans la même assiette organisée par l’Office montréalais de la gastronomie: les Québécois et les Québécoises ne sont pas fiers de leur culture culinaire.



Je généralise, bien sûr, mais parce que je baigne dans le milieu depuis 10 ans grâce au magazine Caribou, que j’ai cofondé et qui porte justement sur la culture culinaire, et parce que j’écris sur les pages d’Avenues depuis plusieurs années aussi, j’ai souvent l’impression que tout le monde est conscient de la richesse que représente notre cuisine.

En 2014, en préparation du premier numéro de Caribou, nous avions posé la question suivante à des passionnés de cuisine afin d’éclairer nos lanternes: «Le Québec possède-t-il une culture culinaire?»

À l’époque, même des restaurateurs passionnés par la cuisine locale restaient perplexes: «Les cuisines italiennes ou françaises ont une histoire, mais qu’en est-il de la cuisine québécoise? La cuisine traditionnelle d’ici n’a jamais été bien définie. À part la poutine, le pâté chinois, la tourtière, c’est quoi?» Et ce restaurateur n’était pas le seul: il y a 10 ans, la majorité des gens affichaient un regard incertain quand on parlait de «la culture culinaire québécoise», un terme nouveau en 2014.

Mais, à cette même question «Le Québec possède-t-il une culture culinaire?», et à la même époque, un entrepreneur fervent de nos produits locaux répondait: «Nous aussi, on a une histoire. Énorme, même! C’est juste qu’on ne la connaît pas. Pourtant, elle est répertoriée: il faut seulement qu’on se donne la peine de la découvrir.»

J’avais depuis ce temps eu l’impression que nous faisions tous ensemble un bout de chemin dans cette direction. Mais force m’est d’admettre que nous avons encore bien des croûtes (locales) à manger pour être capables de vanter ici et ailleurs notre histoire, notre culture et nos spécialités culinaires.

À part la poutine, le pâté chinois et la tourtière, quelle est la culture culinaire québécoise? Photo: Depositphotos

Il était une fois… la cuisine québécoise

Récemment, organisée par l’Office montréalais de la gastronomie (une initiative de Tourisme Montréal), la deuxième édition de la journée Tous dans la même assiette, qui rassemble des acteurs de la scène gastronomique et qui vise à inspirer et stimuler des projets structurants pour la cuisine montréalaise, a mis en lumière le manque de connaissances et de fierté des Québécois liées à notre culture culinaire. «On a beaucoup de choses à offrir mais, souvent, on n’en parle pas. Alors, les gens de l’extérieur ne savent pas», a dit Gwenaëlle Reyt, spécialiste en approches culturelles de l’alimentation.

Et moi, je me demande si on ne parle pas de notre cuisine aux visiteurs réels ou potentiels parce qu’on ne réalise pas toute la richesse qui se trouve dans nos assiettes, parce qu’on ne la voit pas et qu’on ne la connaît pas.

Par exemple, pourquoi trop peu de gens savent-ils que Montréal est la capitale mondiale de l’agriculture urbaine, devant New York ou Paris? Pourquoi connaît-on davantage l’Américaine Julia Child que la Québécoise Rollande Desbois, à l’histoire pourtant tout aussi fascinante? Pourquoi les ventes de vins québécois ne représentent-elles que 1 % des ventes du marché de la province alors que les 158 domaines viticoles artisanaux que compte le Québec font de très bons vins? Pourquoi a-t-on de la difficulté à nommer des aliments ou des plats d’ici qui nous définissent?

Pendant cette journée, un autre propos qui m’a marquée est venu de la nutritionniste Catherine Lefebvre, qui a scénarisé une série documentaire nommée L’effet Bocuse d’Or, présentée cet automne sur la plateforme Vrai. La série de cinq épisodes relate l’aventure du professeur de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) Samuel Sirois menant à sa participation au plus grand concours gastronomique au monde, souvent comparé aux Olympiques de la cuisine. «Quand je suis allée présenter la série aux médias, a dit Catherine Lefebvre, une journaliste a dit en ondes que si cette série était à propos d’une équipe scandinave, tout le monde payerait sans hésitation pour la voir. Mais là, ce sont des Québécois qui se retrouvent dans la cour des grands… » Et je crois que cette journaliste n’avait pas tort.

Poutine et cie

On parle là de haute gastronomie mais, parmi les pistes suggérées pour mieux arriver à faire rayonner notre richesse culinaire, la spécialiste Gwenaëlle Reyt propose entre autres choses d’accepter certains clichés et de les embrasser, puis de développer une fierté pour les choses simples. Les choses simples comme la poutine, comme le bagel, le smoked-meat, le pâté chinois, les plats autochtones, comme les délis qui ont traversé les époques et comme les pique-niques dans les parcs. Tous des éléments qui sont liés à notre histoire, qui nous définissent et qu’on devrait être fiers de partager, selon l’historienne Amélie Masson-Labonté, qui se questionne depuis deux ans à propos de ce qui fait l’unicité du Montréal gourmand.

Ce qui ressortait surtout de cette journée de conférences, c’est que nous avons de la difficulté à faire rayonner notre culture culinaire à l’extérieur de Montréal et du Québec, mais aussi à la présenter aux touristes en visite ici parce que nous arrivons encore mal à la cerner. C’est entre autres la mission que s’est donnée l’Office montréalais de la gastronomie, créé en 2021.

Les choses ont certainement avancé depuis cette fameuse question «Le Québec possède-t-il une culture culinaire?» posée en 2014, mais le chemin me semble encore long pour vraiment circonscrire et afficher fièrement ce qui définit les Québécois en tant que mangeurs. Et mea culpa: je fais aussi, malgré tout, partie des gens qui peinent à bien cerner tout ce qui nous définit.

Pour remédier à la situation, on pourrait commencer par enseigner notre histoire culinaire dans les écoles de cuisine au lieu de se concentrer sur la cuisine française. On pourrait arrêter d’avoir honte de notre cuisine populaire et ouvrière servie autrefois aux journaliers des usines. On pourrait, comme le faisait remarquer l’historienne Amélie Masson-Labonté pendant sa conférence, proposer dans les aéroports davantage de produits québécois (outre le sirop d’érable) à apporter dans les bagages. On pourrait mieux organiser notre offre touristique et regrouper plus clairement les nombreuses routes gourmandes qui sillonnent la province. Et on pourrait s’intéresser à des séries documentaires comme L’effet Bocuse d’Or comme on le ferait si l’équipe en vedette venait des pays scandinaves.

Il est temps qu’on se prenne en considération.