Embrasser sa nordicité
Cela fait des années qu’on entend davantage parler de «nordicité». Et j’ai l’impression que les choses se mettent en place pour que les mangeurs que nous sommes la mettent dans l’assiette. Mais il suffit parfois d’une petite expérience personnelle pour constater que le chemin à parcourir pour réellement lui faire une place dans notre quotidien est encore long, et pour être convaincue qu’il faut changer nos habitudes… une à la fois.
Cordonnière mal chaussée, direz-vous: je cuisine peu. Mon chum est tellement passionné de cuisine (et aussi très bon) que ça fait 10 ans que je mets très rarement la main à la pâte. Mais la fin de semaine passée, pour un souper de famille où j’étais mandatée pour apporter l’apéro, j’ai fait pour la première fois cette recette très simple de trempette de céleri-rave rôti. J’avais envie d’apporter quelque chose de différent et de faire découvrir à ma famille les possibilités de certains légumes racines qui sont assez peu consommés habituellement (même par moi!).
J’ai donc servi cette trempette 100% locale au goût parfumé, accompagnée de morceaux de carottes, endives, panais, navets blancs et rutabagas, tous des légumes de conservation disponibles en version québécoise à cette période de l’année. Out pour cette fois les céleris, champignons et poivrons venant du sud. J’ai ajouté des morceaux de pains plats grillés au four enrobés d’huile de caméline et de sumac. Résultat de mon apéro: un franc succès! Les enfants de deux à cinq ans dévoraient le tout en se léchant les doigts et les adultes, surpris, m’ont demandé la recette.
J’ai trouvé ça beau, et ça m’a rendue fière de constater qu’en plein mois de février, une proposition complètement locale qui sortait des sentiers battus pour les personnes présentes plaisait autant. Et ça m’a fait réaliser que j’avais moi-même du travail à faire pour inclure plus de ces aliments de saison dans mon alimentation d’hiver. Je veux dire, les inclure de façon plus fréquente et naturelle.
Sauriez-vous différencier le céleri-rave du panais, du navet ou du rutabaga? Pourriez-vous décrire leurs goûts distinctifs? Peut-être que oui, mais gageons que nous sommes nombreux à hésiter devant ces légumes racines. Je dis «nous», parce que même après des années à vanter les mérites d’une alimentation locale et de saison, je suis loin d’être parfaite en la matière, preuve que les habitudes alimentaires avec lesquelles j’ai grandi ont la couenne dure.
Pourtant, modifier encore un peu plus mes habitudes pourrait avoir un impact sur l’économie d’ici, sur la qualité des aliments qui se trouvent dans mon assiette, sur la pollution et les changements climatiques. Et si c’est bon au goût en plus, l’effort n’en est plus un!
Se laisser inspirer
Juste dans les dernières semaines, j’ai parlé ici du documentaire Récolter l’hiver, qui m’a profondément émue, et j’ai vanté une entreprise de Chaudière-Appalaches qui (enfin) propose des fraises, bleuets et camerises québécois congelés à l’année (j’ai cédé d’ailleurs à la tentation et je confirme que ces dernières sont dé-li-ci-eu-ses!). J’ai aussi encensé l’an dernier la beauté de nos quatre saisons, qui se répercutent jusque dans l’assiette.
Malgré tout, force m’est d’avouer qu’il n’est pas toujours si simple de passer de la parole aux actes.
Déjà, il faut être au courant de ce qui est accessible et local pendant nos mois d’hiver. À ce chapitre, l’organisation Équiterre a créé un calendrier des disponibilités des fruits et légumes selon les mois qui est une bonne base.
Ensuite, il faut que les quelques fruits et légumes disponibles pendant la saison froide soient accessibles dans les épiceries. De ce côté, chapeau au Rachelle Béry, qui propose un présentoir de plusieurs légumes racines dont la plupart sont québécois et que l’on peut acheter à l’unité et sans emballage. C’est d’ailleurs là que j’ai fait mes provisions pour le fameux apéro. Toutes les grandes chaînes devraient emboîter le pas! Sinon, les paniers locaux de fermiers auxquels on peut s’abonner peuvent aussi être une excellente option côté accessibilité pendant l’hiver.
Finalement, il faut savoir les cuisiner et les rendre attrayants, ces aliments issus de notre territoire et de nos saisons. Pour ce faire, la nutritionniste Julie Aubé est certainement l’une des pionnières en la matière grâce à ses recettes entièrement locales (ici, même le citron ou l’huile d’olive sont interdits!) et collées aux saisons.
Les informations, les ressources et les outils sont là. Ne reste maintenant qu’à agir en ajoutant peu à peu plus d’aliments d’ici au menu, et ce, même en hiver. Des habitudes, c’est difficile à changer, mais si on y allait une étape à la fois, et dans le plaisir? Je me lance moi-même le défi de troquer plus souvent un avocat ou un poivron du Mexique pour un navet ou un panais, une banane de l’Équateur contre une pomme, ou des fraises de la Californie contre des petits fruits d’ici congelés. Et je me promets de me laisser davantage inspirer par ce qui a été cultivé ici. Question de mieux embrasser ma savoureuse nordicité.