La chronique Savourer avec Véronique Leduc

Auteur(e)
Photo: Daphné Caron

Véronique Leduc

Véronique Leduc a été journaliste en tourisme pendant des années pour divers médias avant de se spécialiser en agrotourisme et culture culinaire. Elle a participé à divers collectifs liés au tourisme et a publié les livres Épatante Patate et La famille agricole. Parce qu’elle avait envie d’avoir plus d’espace pour parler de ceux et celles qui nous nourrissent, elle a aussi cofondé, il y a 10 ans, le magazine Caribou. Elle est rédactrice en chef des numéros papier qui abordent différents thèmes liés à la culture culinaire du Québec. Elle est fascinée par les humains et les histoires qu’ils ont à raconter. Elle a pour la première fois raconté son histoire à elle en 2021 dans son livre Infertilité Traverser la tempête. Elle signe les articles Savourer et Saveurs du jour sur Avenues.ca depuis 2015 et nous offre ici sa chronique Savourer.

Fraise: la grande histoire d’un petit fruit

En juin, il suffit de croquer dans une fraise encore gorgée de soleil pour retomber immédiatement dans un tourbillon de souvenirs. Normal: ce petit fruit, les Québécois l’ont dans le sang parce qu’il symbolise le retour de la belle saison et qu’il fait partie de leur alimentation depuis des siècles.



Je me rappelle encore l’excitation que je ressentais, enfant, au milieu des vastes champs de fraises quand ma mère nous emmenait, ma sœur et moi, remplir des paniers de ce petit fruit rouge. Je me souviens comme si c’était hier de l’odeur de ferme, de la paille qui piquait les genoux, des doigts qui devenaient tranquillement rouges et de l’odeur sucrée qui flottait dans les champs de Lavaltrie ou de L’Assomption, près de la maison. «Une dans la bouche, une dans le panier», disait ma mère en espérant qu’au moins quelques fraises seraient récoltées.

J’ai toujours trouvé que les fraises tièdes dégustées directement dans les champs étaient des fruits d'une catégorie à part, que rien ne peut égaler. Il y avait toujours des paniers remplis par des employés dans les kiosques au bord de la route sur lesquels on aurait pu mettre la main en moins de temps et à peu de frais, mais le plaisir de l’activité – se mettre les genoux dans la terre et les mains à la recherche des plus belles fraises – partait alors en fumée. Du haut de mes cinq ans, je ne comprenais pas ceux qui optaient pour ces paniers «prêts-à-manger».

«J’ai toujours trouvé que les fraises tièdes dégustées directement dans les champs étaient des fruits d'une catégorie à part, que rien ne peut égaler.»

Dans le coin de Lanaudière où j’ai grandi, plusieurs anciens champs de tabac ont été transformés en champs de fraises, de framboises ou de bleuets au fil du temps. Quand j’étais ado, il n’était donc pas rare que la première «job» d’été soit de cueillir des petits fruits. L’été de mes 15 ans, un autobus venait nous chercher au lever du jour, mes amis et moi, au coin d’une rue de Repentigny, pour nous amener cueillir des fraises jusqu’à midi dans un champ de L’Assomption. C’est à coups de dizaines de paniers de fraises peu rémunérés que j’ai pu, cet été-là, me payer la paire de souliers de sport à laquelle je rêvais.

On a tous nos souvenirs liés à l’autocueillette de fraises...

Cueillie depuis des siècles

Si la fraise est appréciée en Europe depuis des siècles, elle l’est aussi depuis très longtemps chez les Premiers Peuples de la vallée du Saint-Laurent, raconte le site du Musée McCord. D’ailleurs, dès le début du 17e siècle, on rapporte que Samuel de Champlain avait noté la présence de plusieurs fraisiers sauvages aux abords du fleuve. Plusieurs remarquent aussi alors que le fruit d’ici est «d’une grosseur inouïe […] et de meilleur goût qu’en France».

La fraise cultivée, toujours selon les documents du Musée, aurait quant à elle fait son entrée dans la province au cours du 19e siècle grâce à des plantations privées qui servaient à fournir les hauts placés et à d’autres, commerciales. On vend alors la fraise dans les marchés, fraîches ou transformées, en tartes, desserts divers ou confitures.

Si la cueillette de la fraise sauvage était plutôt faite au quotidien par les familles, selon les petits fruits qui apparaissaient alors dans les champs, la culture de la fraise et la popularité grandissante de l’autocueillette dans les années 1960 auraient transformé l’activité en loisir et, au fil du temps, en une tradition pour plusieurs Québécois qui l’associent à des moments passés en famille et à l’arrivée de l’été.

La fraise cultivée aurait fait son entrée dans la province au cours du 19e siècle. Photo: Oliver Hale, Unsplash

Fraises d’aujourd’hui, souvenirs d’hier

Depuis, l’industrie de la fraise du Québec a fait des pas de géants, trouvant des moyens de la cultiver en serre et s’adaptant au climat, ce qui permet aux consommateurs de la déguster sur une bien plus grande période qu’avant, soit de mai à la mi-octobre. Nous pouvons aussi, selon le temps de l’année, découvrir différentes variétés – Veestar, Annapolis, Honeyoye, Kent, Jewel, Seascape, Aromas – puisqu’une trentaine de ces dernières sont désormais cultivées au Québec et c’est sans parler des fraises biologiques.

Les temps ont certes changé et, désormais, les fraises venues d’ailleurs font une forte concurrence aux fraises d’ici, qui doivent la plupart du temps être récoltées par des travailleurs étrangers. Malgré tout, le Québec reste un chef de file dans le domaine avec plus de 500 entreprises consacrées à la culture de la fraise pour un volume de plus de 13 000 tonnes (soit 4,1 kg par personne!), faisant de la province la première productrice de ce petit fruit au Canada. Ce n’est pas pour rien que la fraise du Québec, cueillie directement dans les champs ou achetée au marché, résonne pour plusieurs avec des souvenirs de début d’été. Quand les traditions datent de plusieurs siècles, elles laissent leur marque.

La fraise du Québec, cueillie directement dans les champs ou achetée au marché, résonne pour plusieurs avec des souvenirs de début d’été. Photo: Monika Grabkowska, Unsplash

Trois coups de cœur pour rendre hommage à la fraise:

Barbotine à la fraise de la Ferme Nordvie
Selon moi, tout ce qui est à la fraise est bon, mais je pense encore avec délice, des années plus tard, à la barbotine à la fraise ou à la fraise-rhubarbe de la Ferme Nordvie, à Saint-Bruno-de-Guigues, en Abitibi-Témiscamingue. Ce n’est pas pour rien qu’elles font la réputation de l’endroit!

Livre Ah, les fraises et les framboises!
Mon opinion est biaisée, c’est certain, mais ce livre chez Parfum d’encre est parfait pour se mettre dans l’ambiance. Histoire, agrotourisme, portraits de producteurs et une cinquantaine de recettes composent ce collectif paru il y a quelques années auquel j’ai participé.

Le coulis des Minettes
C’est extrêmement simple, beaucoup plus que de faire une confiture, et c’est aussi bon. Cela fait des années que je fais plusieurs pots de ce coulis proposé par Les Minettes et composé de fraises et de sirop d’érable seulement. J’ai ainsi des provisions d’été à l’année.