Photo: Facebook Panache de l'Auberge Saint-Antoine
9 juin 2016Auteure : Véronique Leduc

Tendance: du jardin à l’assiette

De plus en plus de restaurants possèdent leurs propres jardins et gardent un contrôle entier sur ce qu’ils offrent à leurs clients. Bienvenue dans la tendance du jardin à l’assiette.



Dès notre arrivée dans les jardins, Alexandre Faille, jardinier pour le restaurant Panache, nous sert un jus vert frais, question de mettre la table. Ici, sur ces terres de l’île d’Orléans, ce sont les légumes et les herbes qui sont les vedettes.

À nos pieds, des boîtes de semis qui sont prêts à mettre en terre. «Ici c’est de l’ail et des poireaux, là des petits pois, là-bas des violettes qui goûtent le sarrasin et par là de la menthe chocolat qui rappelle étrangement les After Eight», explique le jardinier qui tend un plateau d’herbes et de fleurs à goûter. Il est vrai qu’ici, les goûts sont particulièrement importants. C’est que depuis huit ans maintenant, Alexandre Faille cultive les fruits, les légumes, les fleurs et les fines herbes qui se retrouveront dans les assiettes du restaurant Panache de l’Auberge Saint-Antoine de Québec, certifiée Relais et Châteaux. Et on ne badine pas avec ce qui se retrouvera dans les assiettes d’un des deux hôtels de cette réputation de la province!

Avant-gardiste pour l’époque, le restaurant Panache a eu l’idée, il y a huit ans, de cultiver ses propres légumes afin de proposer ce qu’il y a de meilleur à ses clients. Si le projet a démarré plus lentement, c’est depuis l’arrivée du chef Louis Pacquelin qu’il a pris toute son ampleur. «Quand je suis arrivé au Panache, il y a quatre ans, j’ai tout de suite saisi cette possibilité. C’est plus de travail parce qu’il faut imaginer le menu autour des récoltes et non l’inverse, mais c’est un cadeau immense qu’on peut faire à un chef de lui offrir la chance de travailler ainsi», assure le chef, aussi en visite dans les jardins de l’île.

Depuis quatre ans donc, la complicité entre le jardinier et le chef est forte. Alexandre fait des tests de variétés de légumes et apporte de nouvelles idées au chef chaque année, alors que Louis fait goûter chacun des plats imaginés avec les récoltes au jardinier. «Pendant l’été, on se voit au moins trois ou quatre fois par semaine et l’hiver, on se parle une fois par semaine pour discuter des nouvelles choses qu’on pourrait faire pousser», explique Louis Pacquelin, qui imagine désormais toute sa cuisine autour des récoltes que lui apporte Alexandre. Dans ses plats, les fruits et les légumes sont les stars qu’il faut mettre en valeur.

Aperçu du jardin du Panache de l'Auberge Saint-Antoine, île d'Orléans. Photo: Véronique Leduc
Aperçu du jardin du Panache de l'Auberge Saint-Antoine, île d'Orléans. Photo: Véronique Leduc

Une tendance forte

De plus en plus de chefs adoptent cette philosophie axée autour des produits disponibles et de l’approvisionnement direct souvent appelé «de la ferme à la table» ou «de la ferme à l’assiette». Désormais, on imagine son menu à partir de ce que la nature peut nous offrir plutôt que d’aller chercher ce qu’il faut chez des fournisseurs pour réaliser le menu imaginé.

L’idée a été lancée il y a une vingtaine d’années par le chef français Alain Passard de l’Arpège, en réponse à la crise de la vache folle. Puis, c’est ce que fait déjà depuis des années le chef Dan Barber, au restaurant gastronomique Blue Hill, à New York, inspiré par ce que lui offre sa ferme située non loin de la ville. Sa philosophie est d’ailleurs décrite dans un des épisodes de la première saison de la série Chef’s Table dont je vous parlais la semaine dernière.

Plus près de nous, j’ai fait la rencontre il y a deux ans de Marc-André Corriveau, jardinier engagé à faire pousser des fruits et légumes pour le restaurant le Cercle, à Québec.

Il faut aussi penser au chef Martin Picard qui, sur les terrains de son érablière, cultive, élève et récolte afin d’améliorer l’expérience gastronomique de ses clients du Pied de Cochon et de sa cabane à sucre décadente. C’est d’ailleurs, entre autres, ses expériences sur le terrain que relate la série diffusée sur Télé-Québec, Un chef à la cabane.

De son côté, en plein centre-ville de Montréal, le chef du Joe Beef récolte depuis quelques années déjà les fruits de son jardinage pour les servir aux clients.

Plus récemment, on annonçait le nouveau projet de Jean-Martin Fortier, la référence en agriculture biologique au Québec: un grand jardin à Hemmingford qui pourrait fournir en aliments frais des hôpitaux et des restaurants

Même la critique culinaire Marie-Claude Lortie incluait récemment dans son palmarès des choses qu’elle ferait si elle ouvrait son restaurant l’idée d’avoir son propre potager.
La tendance se répand rapidement depuis quelques années, et ce, autant en région qu’en ville. L’idée, pour les chefs et les restaurateurs, est de garder le contrôle total sur ce qu’on cuisine et sur ce qu’on sert aux clients en guise de gage de qualité. La plupart du temps, d’ailleurs, les cultures faites dans ce contexte sont biologiques, comme c’est le cas dans les jardins du Panache.

On peut aussi avec cet espace s’amuser et faire des découvertes, comme le font Alexandre Faille et Louis Pacquelin. Sur les terres de l’île d’Orléans, les deux passionnés testent plus d’une centaine de variétés de légumes, dont certaines sont patrimoniales et font écho à des pans de l’histoire du Québec. «En cultivant soi-même, explique Alexandre, on se rend compte qu’il y a une histoire derrière chaque légume, que je peux raconter aux équipes de cuisine et de service qui eux, pourront la raconter aux clients. Ce qu’on mange prend alors toute une autre dimension!»