La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Tendances 2020: et si on pratiquait un tourisme plus bienveillant?

Comment voyagerons-nous au cours des prochains mois? C’est la question à laquelle ont répondu Paul Arseneault de la Chaire en tourisme Transat de l’ESG UQAM et Pierre Bellerose de Tourisme Montréal* lors de la septième édition de la conférence annuelle sur les tendances touristiques.



Il a bien sûr été question de surtourisme, d’écoanxiété, de honte de prendre l’avion et de slow travel, des courants difficiles à ignorer en 2020. Parmi les statistiques évoquées pendant la conférence, je retiens que 87% des voyageurs désirent voyager de façon durable. Le feront-ils vraiment? Chose certaine, de simple intention il y a quelques années, on peut maintenant parler de réelle préoccupation.

Fait intéressant, les deux experts ont souligné que même si c’est la cinquième fois en sept ans que le tourisme durable se retrouve sur leur liste, c’est la première où ils ont l’impression qu’un réel changement pourrait s’opérer. «La demande n’était pas assez forte, observe Pierre Bellerose. Les gestionnaires n’en ressentaient pas l’urgence.» L’un des plus grands défis de l’industrie touristique sera notamment de réduire son empreinte environnementale tout en poursuivant sa croissance.

Le surtourisme, encore et toujours

Selon Paul Arseneault, l’utilisation du terme «surtourisme» à toutes les sauces dans les médias est en grande partie responsable des inquiétudes qui règnent. À la base, «il y a plus d’humains sur la Terre», a-t-il rappelé. L’Inde et la Chine ont vu leur nombre de voyageurs exploser au cours des dernières années, les citoyens étant de plus en plus nombreux à accéder à la classe moyenne. «On ne peut pas nier le phénomène», a-t-il toutefois concédé.

Au-delà de l’amplification médiatique, des enjeux bien réels préoccupent. À la lumière des multiples questions soulevées, le Réseau de veille en tourisme rappelle les paradoxes du tourisme: «Le tourisme peut jouer un rôle positif dans la revitalisation de certains milieux. Ainsi, le développement touristique permet des investissements majeurs dans la revitalisation d’artères commerciales désuètes, dans la mise en valeur de bâtiments patrimoniaux ou dans la diffusion de traditions et de savoir-faire locaux. Mais le tourisme peut aussi être perçu comme une menace à la qualité de vie, même là où il constitue l’une des principales activités économiques. Cette perception négative provient souvent de l’observation de nuisances diverses telles que les comportements inappropriés, la pollution, la congestion, etc.»

Selon les experts, l’une des clés pour parvenir à mieux gérer l’afflux touristique est de «miser sur la qualité des expériences plutôt que sur le nombre de visiteurs». Mieux comprendre les préoccupations citoyennes, assurer des retombées positives, améliorer les pratiques de planification et de gestion locales de l’activité touristique font aussi partie des pistes de solution mentionnées.

Falaises du Vercors, barrière orientale (Isère) - Photo N. Bohere - Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme

Du tourisme bienveillant?

Ajout intéressant cette année, le tandem a évoqué l’importance de l’altruisme dans l’expérience touristique. Paradoxal, à l’ère des selfies? Peut-être pas autant qu’on serait porté à le croire… «Jamais, autant qu’aujourd’hui, on ne s’est questionné sur notre rapport aux autres», a dit Paul Arseneault.

Comment devenir altruiste et agir sans rien attendre en retour? De quoi ont besoin les communautés locales? L’importance d’écouter les résidents et de changer certaines approches a aussi été soulevée. «Comment, collectivement, on peut réfléchir à ce que notre action ne soit pas qu’économique?», a lancé Paul Arseneault, après avoir raconté l’initiative de la propriétaire d’un motel de Saint-Jean-Port-Joli, qui a invité les occupants à rester une nuit de plus sans frais supplémentaires pendant une tempête de neige en début d’année.

Une campagne réalisée par Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme illustre bien l’approche bienveillante, qui rejoint aussi la quête de sens, un autre des thèmes abordés par les conférenciers (il a été aussi question de voyages transformationnels, une tendance qui me laissait un peu perplexe quand elle a émergée). L’office de tourisme mise sur une vidéo et un site web dont l’adresse est www.tourismebienveillant.org pour faire passer son message. Dans la vidéo – fort inspirante, d’ailleurs –, un narrateur met en perspective les enjeux de notre époque sur des images de paysages spectaculaires. «Face aux défis contemporains et à la quête de sens qui caractérisent cette dernière décennie, nous sommes amenés à nous questionner et surtout à prendre la pleine conscience et l’entière responsabilité personnelle et collective de nos actions et de leurs impacts environnementaux, économiques et sociétaux…» Non, «la tête dans le sable» n’est manifestement plus au goût du jour!

https://www.youtube.com/watch?v=qqkjmOgrwac

Mini dans un monde maxi

Je vous parlais de microaventures à la fin de 2019 dans cette chronique… Paul Arseneault et Pierre Bellerose ont aussi fait mention de microfestivals, de microvoyages et de microniches. «On va voir la multiplication de ces microcréneaux», croit Pierre Bellerose.

Déjà bien ancré en Europe, le courant «micro» fait écho aux préoccupations actuelles. Moins de long-courriers; plus d’exploration à échelle humaine. Les microfestivals proposent par ailleurs une ambiance plus intime et une certaine proximité avec les artistes.

Un sondage réalisé par Expedia a démontré que les microvoyages sont planifiés moins de six jours à l’avance. Peut-être avons-nous aussi besoin de retrouver plus de spontanéité, alors qu’on doit maintenant tout réserver des mois à l’avance pour s’assurer de couler des vacances paisibles?

La cybersécurité, les fake news et la «démondialisation» ont également été à l’ordre du jour. Pierre Bellerose observe un certain retour au protectionnisme, comme si le fait d’être allé «trop loin dans l’ouverture» avait entraîné un désir de se retrouver «entre nous». «Le rapetissement de la planète a entraîné un certain repli sur soi», remarque-t-il.

Voilà une réflexion qui méritera d’être poursuivie autant collectivement qu’individuellement...

* Voici les titres complets des deux experts : Paul Arseneault, titulaire de la Chaire de tourisme Transat, directeur du Réseau de veille en tourisme et professeur à l’ESG UQAM et Pierre Bellerose, conseiller stratégique senior à Tourisme Montréal et président du conseil d’administration de l’incubateur MT Lab.

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