La saveur du jour
Poutine nation: la glorieuse ascension d’un plat sans prétention
Des frites, du fromage en grains et de la sauce. Comment une combinaison aussi simple d’ingrédients a-t-elle réussi, en l’espace de 50 ans, à devenir un emblème gastronomique québécois et un plat apprécié un peu partout sur la planète? Le professeur, chercheur et auteur Sylvain Charlebois s’est attaqué à cette question en remontant le fil d’une histoire d’amour culinaire surprenante que l’on peut maintenant parcourir à l’intérieur du livre Poutine nation.
Même si la poutine est aujourd’hui connue à travers le monde, quelle est son origine géographique précise? Voici un sujet qui suscite une vraie guerre de clochers entre les municipalités se vantant de sa création. «C’est une question que je me posais moi-même et qu’en tant que chercheur, je me devais de résoudre», répond Sylvain Charlebois.
L’expert en sciences analytiques agroalimentaire a donc fouillé, étudié et vérifié une panoplie d’artéfacts et de documents d’archives, pour se rendre compte que tout a commencé à Warwick en 1957, alors que Fernand Lachance et sa femme Germaine ont pour la première fois intégré à leur vocabulaire le mot «poutine». «Mais comme M. Lachance n’aimait pas vraiment la sauce, ce n’est qu’en 1964 que Jean-Paul Roy, de Drummondville, a réuni les trois éléments qui constituent la poutine que nous connaissons aujourd’hui. C’est donc lui, l’inventeur de la poutine, mais elle a aussi un père et une mère, les Lachance.»
Voilà, le débat est enfin clos à ce sujet! Enfin, presque, puisque la poutine est également au centre de controverses hors du Québec. Par exemple, à Halifax où vit et enseigne Sylvain Charlebois, la poutine se présente râpée. «Et elle n’est pas mangeable!», précise en riant l’auteur, qui a aussi pu goûter à des poutines au fil de ses nombreux voyages à travers le Québec et à l’étranger. Il avoue d’ailleurs que la pire qu’il ait dégustée jusqu’à ce jour, constituée de sauce au vin et de fromage mozzarella en poudre, est très populaire à Cleveland.
Un trésor culinaire à protéger
C’est aussi cette série de dégustations et de recherches qui ont conduit Sylvain Charlebois à penser qu’il faudrait davantage protéger la poutine pour qu’elle soit mieux reconnue et respectée à travers le monde. «Elle véhicule après tout un peu du Québec avec elle, au même titre que la pizza évoque l’Italie», dit-il.
C’est d’ailleurs avec ce second mets popularisé depuis une centaine d’années que le chercheur établit des parallèles. En effet, explique-t-il, tout comme la pizza, la poutine comporte trois éléments principaux. Elle a également été longtemps boudée par l’élite, mais a malgré tout réussi à se tailler une place de choix dans l’imaginaire et la gourmandise collectifs. «Ce qui la distingue, par contre, c’est que contrairement à la plupart des plats popularisés par les villes, la poutine a été créée en zone rurale, dans des villages.»
Alors, au même titre que des Italiens peuvent s’offusquer de notre pizza hawaïenne intégrant de l’ananas dans sa confection, les Québécois sont selon l’auteur en droit de se demander pourquoi on ferait de la poutine avec du fromage en poudre. «Parce que sans fromage skouic skouic, est-ce vraiment de la poutine?», lance-t-il.
Les débats autour de la poutine ne sont donc pas près de cesser, mais si on veut en comprendre les tenants et les aboutissants tout en salivant, Poutine nation est une lecture très intéressante.