La saveur du jour
Qui est votre agriculteur?
Qu’est-ce que signifie «bien manger»? Quelle est la place des agriculteurs? Et quel est le pouvoir des consommateurs? Voilà les sujets qui ont été mis sur la table récemment par trois chefs réputés et un agriculteur visionnaire.
La semaine dernière, à Montréal, l’événement de conférences créatives C2MTL avait réservé un espace à l’alimentation grâce à un panel intitulé «Au menu: chefs vedettes et agriculteurs visionnaires». Y étaient rassemblés l’agriculteur Jean-Martin Fortier de La Ferme des Quatre-Temps, à Hemmingford, Colombe St-Pierre de Chez Saint-Pierre, au Bic, ainsi que John Winter Russell du Candide, et Normand Laprise du Toqué! et de la Brasserie T!, à Montréal, le tout animé par la communicatrice Katerine-Lune Rollet.
Qu’est-ce que bien manger?
Pour les intervenants rassemblés, «bien manger» va au-delà du simple aspect nutritionnel. Pour l’agriculteur Jean-Martin Fortier par exemple, bien manger «ça veut dire bien produire et apprendre à faire les choses comme il se doit».
De son côté, Normand Laprise croit que de suivre les saisons de notre territoire sera toujours gagnant. «Dans le temps, on mangeait selon les saisons et dans les fermes, on faisait des cannages. Il y avait moins de variété, mais on mangeait bien parce que tout était frais. Il faut revenir aux sources et retrouver la fierté de travailler la terre.» D’ailleurs, pour le Toqué!, le chef affirme avoir préparé l’été dernier 2 500 pots Mason qui ont servi à bonifier le menu d’hiver.
La place des agriculteurs
La bande a aussi abordé la place des agriculteurs dans l’alimentation des Québécois. «Les chefs ont fait avancer les choses ces dernières années et je pense que les prochains, ce sont les producteurs», a dit Normand Laprise.
«On veut tellement leur faire de la place, a renchéri la chef Colombe St-Pierre. Ils font partie de l’équation. L’agriculture a été abandonnée et c’est vraiment bien de la retrouver!»
Encore dans l’idée de s’adapter aux saisons et aux récoltes, en tant que restaurateur, Normand Laprise a appuyé sur un point: «Il ne faut pas demander aux agriculteurs ce qu’on veut, mais bien ce qu’ils ont à offrir à ce moment précis. C’est comme ça qu’il faut travailler!»
D’où l’importance, selon Jean-Martin Fortier, justement, de revenir à une plus petite agriculture où il est possible de rencontrer et de comprendre le travail de la terre. «La façon dont l’agriculture est faite présentement, ça ne fonctionne pas, c’est trop gros. Mais il y a une nouvelle génération qui arrive et je pense que dans l’avenir, les fermes vont ressembler à celles des années 1930, à échelle plus humaine, mais avec les technologies d’aujourd’hui. Et je pense qu’en multipliant les petites fermes, le Québec pourrait devenir autosuffisant. Il faut remplacer l’agriculture de masse par des masses qui font de l’agriculture!»
Le pouvoir des consommateurs
Et dans cette transformation alimentaire souhaitée, selon les intervenants, les consommateurs ont un rôle immense. «Les petits producteurs ont besoin de nous et pour les aider, on devrait tous savoir ce qui pousse quand dans notre région», a dit John Winter Russell.
Les chefs croient aussi que pour que les choses changent, il est de la responsabilité des consommateurs d’exiger des aliments d’ici. «Dans les épiceries et les marchés, parfois, ce n’est pas local, mais c’est présenté comme si. Il faut demander d’où ça vient et exiger des réponses claires. De se méfier du faux et de bien s’informer, ça peut faire une grosse différence», croit Normand Laprise. En effet, selon Jean-Martin Fortier, il faut poser des questions, parce que même dans les marchés, il y a «de la frime».
Il faut faire en sorte que ce ne soit pas que les grosses entreprises qui aient le pouvoir, croit de son côté Colombe St-Pierre, qui encourage les gens à visiter les fermiers de leur région et à leur acheter une bête entière, par exemple. «L’autonomie alimentaire, c’est la plus belle idée du monde mais pour ce faire, il faut des décisions politiques. Et si ça ne marche pas, excusez-moi, mais à un moment donné, il va falloir qu’on se choque et qu’on sorte dans la rue pour dénoncer les problématiques. Mais d’abord, ça passe beaucoup par une conscientisation du consommateur », dit la chef du Bic.
Même son de cloche pour Jean-Martin Fortier: « Ce sont les consommateurs qui ont le pouvoir, qui doivent sortir de l’épicerie et aller à la rencontre du producteur. Parce que l’alternative à ce qu’on vit présentement, c’est tellement beau! Viser la petite agriculture, aller dans un resto de quartier, rencontrer ceux qui nous nourrissent... ça devrait être notre projet de société au Québec.»