Madeleine Le Breton présente les jardins communautaires. Photo: Véronique Leduc
8 octobre 2019Auteure : Véronique Leduc

Tête-à-la-Baleine: dessine-moi un jardin

Les escales sont courtes pendant la semaine de croisière à bord du Bella Desgagnés, ce cargo qui ravitaille les villages de la Basse-Côte-Nord. Mais dès notre débarquement au village de Tête-à-la-Baleine, Madeleine Le Breton nous embarque dans son pick-up et nous mène au cœur de sa communauté, qui apprivoise tranquillement le jardinage malgré les obstacles du climat.



Nous avons 90 minutes devant nous. Mais qu’à cela ne tienne: l’énergique Madeleine entend bien nous montrer tout ce que sa communauté de 115 personnes arrive à faire pousser.

Nous nous arrêtons d’abord au jardin personnel de Micheline Lapointe, qui vient prouver que malgré une saison courte et un sol capricieux, tout est possible, même sur la Basse-Côte-Nord. Après des années de tests, d’erreurs et, certainement, une immense patience, son potager luxuriant regorge de courgettes, oignons, herbes, fraises, patates, fèves et betteraves qu’elle met en conserves et partage avec les voisins.

Le jardin luxuriant de Micheline Lapointe. Photo: Véronique Leduc

C’est aussi elle qui a eu l’idée d’aménager un jardin communautaire où tout le monde peut se faire la main. À côté de l’église, et tout près de l’école, des bacs de bois sont alignés. Là, les sept élèves peuvent s’occuper des jardins et récolter les quelques fraises, laitues et radis, la rhubarbe et les épinards. «Ça fait un moment que nous arrivons à faire pousser des patates, des choux et des navets, mais maintenant, on cherche à varier», dit Madeleine en nous offrant les quelques fraises cachées sous les feuilles du jardin. Elles semblent savoureuses, mais nous tenons à les laisser aux habitants qui, parce que leur village n’est pas accessible par la route, ont bien peu accès à des fruits et légumes frais.

Dans la région, il y a la cueillette de petits fruits, comme la chicoutai, les bleuets, les framboises et les airelles, bien sûr, mais des potagers en santé pourraient fournir une plus grande variété.

Madeleine Le Breton présente les jardins communautaires. Photo: Véronique Leduc

Les défis du Nord

Ce qui peut paraître simple pour plusieurs ne l’est pas à Tête-à-la-Baleine. Les récoltes qu’offrent ces quelques bacs de jardinage représentent à elles seules une grande réussite. Au nord du 49e parallèle, la température n’est pas toujours clémente, la neige recouvre tout pendant de longs mois, la main d’œuvre manque, ainsi que les savoirs liés au jardinage, une activité récente pour les habitants, qui s’y intéressent depuis trois ans seulement. «Il y a des gens expérimentés de chez Grenier boréal, par exemple, à Longue-Pointe-de-Mingan, qui sont là quand nous avons des questions», raconte l’ancienne professeure d’éducation physique maintenant retraitée.

Pour contrer les défis du climat, des toiles géotextiles sont utilisées. Et éventuellement, on espère des serres, qui pourraient venir si des subventions sont reçues.

Et c’est sans parler du transport du matériel nécessaire, qui doit être acheminé par bateau ou par avion. «La terre, par exemple, il faut la faire venir !» C’est d’ailleurs pour être plus indépendantes de ce côté que plusieurs personnes de la communauté ont commencé à faire du compost.

À travers tout ça, Madeleine, une femme très impliquée dans son village – elle donne de son temps à l’école, aide une femme âgée à domicile et veille, avec Micheline, aux jardins –, est en plein apprentissage. Quand on lui demande si elle se découvre le pouce vert, elle réfléchit et dit en riant: «Disons que j’ai le pouce vert pâle !».

Des jardins à la maison

Pourtant, devant sa maison, son propre jardin, où on trouve des tomates, des herbes, des carottes et des radis, prouve qu’elle ne se débrouille pas mal.

Madeleine n’est pas la seule à faire des tests sur son terrain. Grâce à Nutrition Nord, un organisme impliqué dans les villages de la côte non reliés par la route, les gens de 50 ans et plus peuvent recevoir gratuitement une boite de bois qu’on peut recouvrir d’une serre. «Les gens partent leurs semences dans la boite en mai et passent au jardin ensuite, quand la température le permet.»

Dans le petit village, une trentaine de boites sont fièrement installées devant les maisons. Quand on sait qu’elles n’étaient que sept ou huit il y a deux ans, on peut parler, pour les habitants de Tête-à-la-Baleine, d’un réel engouement!

Plusieurs maisons du village ont leur boite de jardinage. Photo: Véronique Leduc

Retrouver une alimentation locale

«Avant, il y avait beaucoup de pêche qui se faisait ici, mais ça a grandement diminué et maintenant, les emplois manquent», explique Madeleine en nous reconduisant vers le quai. Si le village comptait, il y a une quarantaine d’années, environ 700 habitants, ils ne sont plus aujourd’hui que 115. Et si l’école accueillait en 1977 125 élèves, ils ne sont plus que 7 désormais. «Les gens sont inquiets. Le village voisin a fermé il y a 15 ans…», dit Madeleine. Des potagers et des serres pourraient, qui sait, attirer des jeunes et redynamiser le village, dont 85% de la population est âgée de 50 ans et plus. Ou du moins, apporter une plus grande autonomie alimentaire.

D’ailleurs, pour mieux apprivoiser ces nouveaux aliments frais qui sont désormais disponibles à Tête-à-la-Baleine, une demande a été faite à une nutritionniste de Blanc-Sablon afin qu’elle vienne enseigner certaines notions aux élèves.

De plus, deux fois par mois, un atelier de cuisine collective est organisé afin de mettre en plat les aliments locaux. Dernièrement, les participants ont pu repartir avec des provisions de morue fraiche accompagnée d’un pesto d’épinards et un shortcake aux fraises du jardin.

Les beautés de Tête-à-la-Baleine

Près du quai, Madeleine tient à faire un dernier arrêt afin de nous montrer «le plus bel endroit du village pour une photo». En effet, les petits bateaux amarrés, l’eau claire qui laisse voir les étoiles de mer et les rochers qui protègent le lieu sont dignes d’une carte postale.

Ce paysage de Tête-à-la-Baleine, avec  les petits bateaux amarrés, l’eau claire qui laisse voir les étoiles de mer et les rochers, sont dignes d’une carte postale. Photo: Véronique Leduc

«J’aime beaucoup ça, ici. J’aime la nature, la tranquillité et le fait que les gens ne sont pas stressés», souffle Madeleine avant que nous reprenions le Bella Desgagnés vers le village de la Tabatière. Le jardinage est certainement pour elle une façon de redonner à cette communauté qui lui apporte tant.