Terres agricoles à louer
Les nouvelles ne sont pas toujours réjouissantes dans le milieu agricole, qui reste inaccessible pour plusieurs. Mais une idée gagne peu à peu en popularité: celle de préserver des terres cultivables des intérêts privés afin de les louer ou de les prêter.
Cela fait longtemps que la question de la relève agricole est inquiétante, entre autres à cause du prix des terres trop élevé pour les jeunes. Et la situation empire à vue d’œil: en moyenne, au Canada, la valeur des terres agricoles a augmenté de 334% depuis 2001, et plus précisément de 322% au Québec.
C’est pour aider les jeunes cultivateurs à accéder à la terre, mais aussi pour contrer la spéculation et empêcher la transformation de terres cultivables en d’autres utilités, que certains proposent de nouvelles formules. En effet, on rapporte qu’en 2022, 50% des acquisitions par des entreprises en zone agricole ont été faites par des non-agriculteurs qui ne comptent pas conserver la vocation des terres.
D’ailleurs, cet été, devant une pression grandissante sur le garde-manger des Québécois, le gouvernement du Québec a lancé une vaste consultation qui vise à moderniser le régime de protection du territoire agricole. Ce dernier a 45 ans et sera revu par le biais d’une consultation intitulée Agir pour nourrir le Québec de demain. Le but de ces discussions qui seront étalées sur une période de plus d’un an est de moderniser le régime afin de mieux protéger certaines terres menacées par l’urbanisation et d’en développer d’autres.
Des terres par et pour la communauté
Mais en attendant, certains prennent les moyens de passer à l’action plus rapidement.
C’est le cas de la ville de Boisbriand, qui a fait les manchettes récemment en cherchant à protéger la vocation d’une terre agricole de 29 hectares afin de la rendre accessible aux producteurs biologiques de la relève, et ce, en la leur louant à prix abordable dès le printemps prochain. Ce projet est développé sous forme de FUSA, ou fiducie d’utilité sociale agricole.
La FUSA est un modèle d’affaires encore nouveau au Québec, mais déjà utilisé ailleurs au Canada et aux États-Unis et qui permet de sécuriser l’accès à la terre agricole sans que les agriculteurs aient à l’acheter. Pour ce faire, «une fiducie est créée, acquiert la propriété et la loue à long terme à des agriculteurs et agricultrices», a expliqué Marc-André Côté, directeur agricole UPA-Fondaction, en entrevue à Radio-Canada en 2021. L’idée est d’en faire ainsi bénéficier la communauté.
Jean Bédard, par exemple, a fait don de sa terre au Bic en fiducie, afin qu’elle ait une mission et soit préservée. Le projet, nommé Sageterre, est l’une des premières FUSA au Québec. En quelques mots, la ferme n’a plus de propriétaires et doit contribuer au bien-être de ceux qui portent les différents projets qui y sont installés, ou aux citoyens qui habitent le coin. Ce que Jean Bédard en retire? Simplement la satisfaction que sa terre ne pollue pas et soit bonne pour l’environnement.
Des idées nouvelles
D’autres ont emboîté le pas, grâce à des formules différentes.
C’est le cas du Motel agricole des Basques, à Notre-Dame-des-Neiges, dans le Bas-Saint-Laurent, qui est à la recherche de locataires pour ses terres. La municipalité régionale de comté (MRC) des Basques, devenue propriétaire en 2021 d’une terre d’une centaine d’hectares, y loue des espaces et des équipements agricoles à court et moyen terme. «L’accès à la terre est de plus en plus difficile avec l’inflation, sans compter les taux d’intérêt, qui ont triplé dans la dernière année. On permet aux gens de ne pas s’endetter dès le départ avec l’achat d’une terre», explique le conseiller en développement agroalimentaire pour la MRC des Basques, Stéphane Lussier.
La table champêtre Les Cocagnes propose une formule similaire. L’organisme à but non lucratif installé à Dunham et imaginé par Stephanie Hinton loue des espaces à de petites entreprises agricoles. Ferme maraîchère, ferme de légumes asiatiques et verger cohabitent pour le moment et attendent que d’autres projets s’installent à leur côté.
Dans les Cantons-de-l’Est, Marie-Thérèse Bonnichon et Denis Carrier, de la ferme Au pied levé, prêtent de leur côté une partie de leur terre à de jeunes maraîchers afin qu’ils apprennent le métier. «Mon intérêt est de permettre aux jeunes de comprendre les différentes étapes de l’agriculture», explique Marie-Thérèse.
Aux yeux de Jean Bédard, la solution à la crise écologique actuelle passe par une sortie de la propriété dite privée. «La vie collective devient une nécessité», croit-il.
Parce qu’on veut bien manger local, mais avouons-le: sans terres cultivables et cultivées, ces belles intentions seront vaines.