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Pesticides au Québec: un nouveau plan est annoncé

Le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, a annoncé la semaine dernière son nouveau plan québécois d’agriculture durable, qui vise entre autres à réduire les risques liés à l’usage des pesticides, à améliorer la biodiversité et à diminuer le recours  aux engrais chimiques. Le plan, qui devrait couvrir une période de dix ans, était attendu avec impatience et est accueilli positivement dans le milieu.



Tout a commencé à la fin de l’année 2017, lorsque l’agronome du ministère de l’Agriculture Louis Robert a porté à l’attention de ses supérieurs l’existence de conflits d’intérêts au sein du Centre de recherche sur les grains (CÉROM), l’ingérence de certains membres du conseil d’administration en faveur des pesticides, ainsi qu’une crise dans la gestion de l’organisme financé par le public afin de trouver des solutions pour réduire l’usage des pesticides en agriculture. Le tout remettait en question l’indépendance de la recherche publique sur l’utilisation des pesticides.

Insatisfait de l’écoute de ses supérieurs, Louis Robert s’était tourné vers Radio-Canada et avait partagé des documents troublants. Entre autres, Radio-Canada avait dévoilé que des agronomes conseillant les agriculteurs obtenaient de l’argent des entreprises qui les employaient, pouvant ainsi les inciter à recommander l’usage excessif de pesticides.

Si le ministère de l’Agriculture du Québec a d’abord remercié l’agronome pour sa transparence, il l’a, quelques mois plus tard, congédié. Le cas a créé un tollé dans les médias et a mené à la mise sur pied, en septembre 2019, d’une commission spéciale visant à étudier l’effet des pesticides sur la santé et l’environnement et à mettre en lumière la relation entre l’industrie, les agronomes et les agriculteurs.

En septembre 2019, une commission spéciale visant à étudier l’effet des pesticides sur la santé et l’environnement et à mettre en lumière la relation entre l’industrie, les agronomes et les agriculteurs a été mise sur pied. Photo: Glenn Carstens Peters, Unsplash

32 recommandations

Après la tenue de la commission, où ont été entendus plusieurs agronomes, les recommandations étaient fort attendues dans le milieu. En février 2020, on dévoilait donc un rapport contenant 32 recommandations parmi les 700 proposées et sur lesquelles 13 députés de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN) s’étaient entendus.

Entre autres choses, le rapport recommandait au gouvernement de réviser le Code déontologique des agronomes afin de notamment clarifier la notion d’indépendance. On souhaitait aussi que le ministère de la Santé et des Services sociaux fasse une étude sur l’impact des pesticides sur la santé au Québec et on demandait au ministère de l’Environnement de mettre à jour la liste des pesticides à usage restreint et d’améliorer les connaissances liées au déclin des pollinisateurs dans la province afin de mieux lutter contre cette diminution.

Parmi les demandes faites au ministère de l’Environnement: améliorer les connaissances liées au déclin des pollinisateurs dans la province afin de mieux lutter contre cette diminution. Photo: Anson Aswat, Unsplash

Nouvelles pratiques

De ces 32 recommandations est ressorti la semaine dernière un nouveau plan québécois d’agriculture durable annoncé par le ministre de l’Agriculture et qui a reçu un accueil favorable du monde agricole et environnemental.

Avec ce plan, le gouvernement vise cinq objectifs distincts, soit:

  • Réduire l’usage des pesticides et les risques qu’ils présentent pour la santé et l’environnement;
  • Améliorer la santé et la conservation des sols;
  • Améliorer la gestion des matières fertilisantes;
  • Optimiser la gestion de l’eau;
  • Accroître la biodiversité.

Afin de mener à bien ces buts fixés, le gouvernement annonce qu’au cours des cinq prochaines années, une somme de 70 millions de dollars sera consacrée à rémunérer les producteurs qui adoptent des pratiques agroenvironnementales qui vont au-delà des exigences en place.

Cette approche, qui consiste à récompenser les bonnes pratiques, est au centre du plan d’agriculture durable 2020-2030, pour lequel un budget total de 125 millions est prévu pour les cinq premières années. On cherche donc à soutenir plutôt qu’à punir. Les agriculteurs pourront par exemple recevoir de l’aide pour faire des aménagements sur leur terrain, comme des bandes riveraines élargies qui permettront de protéger les cours d’eau et de favoriser la biodiversité.

Afin de distribuer l’argent parmi les 27 000 fermes du Québec, un projet-pilote sera mis en place pour l’an prochain.

Aussi, le ministère compte investir 30 millions de dollars dans le développement des connaissances par le biais de la création d’un pôle de recherche en agriculture durable.

Québec dépensera également 25 millions pour mettre sur pied un programme de formation continue en agroenvironnement qui sera assurée par l’Institut de technologie agroalimentaire, qui offrira de l’information et de l’accompagnement aux agriculteurs. Ainsi, 75 agronomes devront être déployés sur le terrain afin d’épauler les agriculteurs dans leurs démarches.

Grâce aux mesures annoncées, on cherche à réduire autant l’usage des pesticides que leurs risques pour la santé et l’environnement. Avec ces incitatifs, on s’est fixé différents objectifs chiffrés, dont celui de faire chuter de 15% le volume des pesticides vendus dans la province et de diminuer de 40% l’indice de risque pour la santé et l’environnement.

Québec dépensera 25 millions pour mettre sur pied un programme de formation continue en agroenvironnement, qui offrira de l’information et de l’accompagnement aux agriculteurs. Photo: Spencer Pugh, Unsplash

Un plan bien accueilli

Le 22 octobre, dès l’annonce du plan, l’Union des producteurs agricoles (UPA) ainsi qu’Équiterre ont applaudi les mesures proposées. «Les agriculteurs du Québec partagent les préoccupations de leurs concitoyens et demandent depuis longtemps un plan d’action à moyen, long terme, pour continuer à améliorer leurs pratiques», a affirmé à La Presse Marcel Groleau, le président de l’UPA, qui représente les 42 000 producteurs agricoles de la province.

De son côté, la directrice générale d’Équiterre, Colleen Thorpe, a déclaré que ce plan faisait preuve d’une «volonté très claire de rallier le monde agricole autour d’un projet ambitieux qui nous apparaît comme une réponse pour commencer à relever les défis majeurs de notre époque».

Les premiers concernés, les Producteurs de grains du Québec, sont aussi satisfaits de ce plan annoncé, qu’ils disent «en concordance avec les actions réalisées depuis plusieurs années [...], afin de bâtir une agriculture plus durable et efficace».

Il y a toutefois un bémol, selon certains. En effet, l’une des réformes demandées par plusieurs groupes n’a pas été retenue, soit celle de séparer clairement le double rôle des agronomes qui vendent et prescrivent des pesticides, comme c’est le cas en médecine, par exemple.

Et qu’en est-il du déclencheur de cette saga? L’agronome et lanceur d’alerte Louis Robert, qui compte une trentaine d’années de service au ministère de l’Agriculture, a réintégré ses fonctions en août 2019, six mois après son congédiement. Et à la lumière de ce nouveau plan d’agriculture durable, il peut dire que ses critiques ont été entendues.