Où sont les femmes cheffes?
Nommer cinq hommes chefs connus est un exercice généralement simple pour le commun des mortels. Mais gageons que de nommer cinq femmes cheffes est un peu plus ardu. C’est peut-être parce que, dans les médias, la place est surtout donnée aux hommes. Mais voilà que certaines dénoncent la situation et tentent d’y remédier.
Il y a autant, sinon plus de femmes que d’hommes dans le domaine de la gastronomie, expose d’emblée le documentaire À la recherche des femmes chefs, signé Vérane Frédiani. La réalisatrice française a parcouru le monde pour les trouver et leur parler. Et la plupart dénoncent un problème criant: celui du manque de visibilité du travail des femmes en cuisine.
Globalement, moins de 5% des chefs étoilés Michelin sont des femmes, résumait Le Devoir à la suite du visionnement du film.
Le classement 2019 des 50 meilleurs restaurants au monde en compte seulement cinq tenus par des femmes.
La première femme à obtenir le titre de Meilleur ouvrier de France est la cheffe Andrée Rosier, qui l’a obtenu en 2007… plus de 80 ans après la création du titre.
Lors de l’édition 2019 du Bocuse d’or, un important concours gastronomique, il n’y avait que deux femmes sur 24 chefs participants et une seule femme dans le jury composé de 24 chefs.
Sans parler de la page couverture de 2013 du magazine Time qui présentait «Les dieux de la cuisine» en omettant les femmes.
C’est devant l’ampleur du phénomène que Vérane Frédiani a voulu «faire ce film pour les femmes et non pas contre les hommes». C’est ce qu’elle a expliqué lors de la présentation du documentaire pendant un brunch consacré aux femmes de la gastronomie lors de l’événement Montréal en lumière qui s’est terminé récemment.
Le documentaire de 90 minutes soulève plusieurs problématiques liées à la présence invisible des femmes en gastronomie; comme le fait qu’il est plus difficile pour elles d’obtenir du financement des investisseurs parce qu’elles sont moins connues… Mais qu’elles sont moins connues parce qu’elles disposent souvent de moins de moyens!
Une histoire qui dure
Les femmes à la tête des cuisines sont là depuis toujours. La cheffe étoilée espagnole Elena Arzak explique dans le documentaire que les multiples rôles joués par la femme l’ont menée dans l’ombre. Selon elle, à un certain moment de l’histoire, «les femmes, même si elles dirigeaient le restaurant et la cuisine, dirigeaient aussi les enfants. Elles n’avaient donc plus le temps de faire autre chose. Et ce sont les hommes qui se sont mis à faire les relations publiques. C’est pour ça qu’ils ont commencé à être connus».
Dénoncer pour plus d’équité
C’est d’ailleurs pour montrer qu’elles sont bel et bien présentes et qu’il ne reste qu’aux médias à les mettre de l’avant que la réalisatrice Vérane Frédiani et la journaliste Estérelle Payany ont publié en 2019 le livre Cheffes. 500 femmes qui font la différence dans les cuisines de France dans lequel elles ne présentent que des adresses de restaurants de tous les styles où les femmes sont à la barre.
C’était aussi dans l’idée de mettre leur travail de l’avant que Montréal en lumière a proposé récemment deux événements liés au travail des femmes en gastronomie. Il y a eu Le brunch des femmes, où une table ronde a suivi la projection du documentaire À la recherche des femmes chefs, puis des soirées Hommage aux femmes des arts de la table du Québec, au restaurant Rosélys de l’hôtel Reine Elizabeth.
Dans leur plus récent balado On s’appelle et on déjeune, Bernard Lavallée et Catherine Lefebvre se demandent, justement en compagnie de Vérane Frédiani et Estérelle Payany, pourquoi seulement 5% des étoiles du Guide Michelin sont attribuées à des restaurants menés par des femmes.
En fin de compte, «les femmes ont besoin d’être davantage comme les hommes et les hommes ont besoin d’être davantage comme les femmes», dit la cheffe américaine Alice Waters à la fin du documentaire À la recherche des femmes chefs. Elle illustre ainsi sa pensée par rapport aux qualités que présentent les hommes et les femmes, et vient appuyer sur le fait que tout le monde gagnerait à cesser de diviser les sexes et à présenter autant de femmes que d’hommes dans les médias.