14 avril 2016Auteure : Véronique Leduc

Lait en péril

Le lait canadien est en péril, dénoncent les producteurs, inquiets.



Depuis l’automne dernier, les manifestations et les plaintes de l’industrie laitière québécoise se multiplient. Les producteurs dénoncent l’entrée massive au pays d’un nouveau type de produit en provenance des États-Unis, qu’ils jugent en bonne partie responsable de leur déclin: le lait diafiltré.

Le produit est un type de lait filtré à plusieurs reprises dans le but d’obtenir un concentré liquide ultraprotéiné. Le lait diafiltré est de plus en plus utilisé par les transformateurs du Canada puisqu’il est moins cher que le lait frais et permet de fabriquer une plus grande quantité de fromage et de yogourt.

Le produit américain entre sans restriction au pays parce qu’il est classé comme un concentré de protéines et non comme du lait. Pourtant, il prend la place du lait canadien.

Ce qui mécontente les agriculteurs dans la situation, c’est que le gouvernement fédéral est censé limiter l’entrée de produits étrangers au Canada. Pourtant, présentement, selon le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Marcel Groleau, l’État «laisse des produits importés venir nous compétitionner de façon déloyale».

Parce qu’en effet, l'augmentation du lait diafiltré au pays - 32 000 tonnes importées en 2015 contre 21 000 tonnes l'année précédente - crée un déséquilibre et fait baisser le prix du lait canadien.

D’ailleurs, un producteur laitier de l’Estrie, Christian Bouffard, a lancé cette semaine un cri du cœur sur les réseaux sociaux. Dans une courte vidéo partagée près de 12 000 fois sur Facebook, l’homme qui est dans l’industrie depuis 30 ans, affirme que «ce sont les producteurs laitiers qui fournissent la matière première aux transformateurs du Québec» et que ces derniers ont «l’audace de diluer notre lait avec des concentrés qui viennent d’un autre pays d’où on ne connaît même pas les normes». Puis, s’adressant aux transformateurs: «Vous n’avez aucun respect pour nous, je n’en reviens pas.»

L’entrée du lait diafiltré au Canada en révolte plus d’un et fait des ravages. De petits producteurs ont vu leurs revenus baisser de plusieurs milliers de dollars en 2015 et se demandent s’ils peuvent continuer à exploiter leur ferme laitière. «L’importation massive de lait diafiltré met carrément en péril la viabilité des fermes laitières au Québec», confirme Sylvain Lacoche, producteur laitier de la région de Granby. Dans ce contexte, qu’en est-il alors de l’avenir du lait au pays, se demandent certains…

Cette semaine, le ministre de l'Agriculture, Pierre Paradis, a affirmé que les pertes liées à l’importation du produit au pays sont de l’ordre de 220 millions de dollars pour l'an dernier.

Le prix du lait versé aux producteurs fait donc actuellement l'objet d'intenses négociations au pays. D’importantes entreprises comme Parmalat, Saputo et Agropur, principales utilisatrices de lait diafiltré, se disent d’ailleurs prêtes à en cesser l'importation, à condition d'ajouter au Canada une nouvelle catégorie de lait moins coûteux. Si les producteurs de l'Ontario sont d’accord avec la proposition, au Québec, ils la refusent.

Gestion de l’offre défaillante

Le problème, c’est que le marché canadien du lait est géré selon le principe de gestion de l’offre, qui alloue des quotas aux producteurs de lait, d'œufs et de volailles en leur assurant un certain revenu, sans subvention gouvernementale. Ottawa s'engage par ce système à limiter l'entrée de produits importés pour que la demande soit comblée par la production canadienne. Dans ce contexte, les producteurs considèrent que l'importation du lait diafiltré provoque une concurrence déloyale dans le marché canadien.

L’importation de ce lait nouveau genre n’est pas le seul problème que combattent les producteurs. En effet, les importations grandissantes s'ajoutent aux concessions accordées par le Canada dans les accords de libre-échange avec l’Union européenne ainsi que dans le Partenariat transpacifique (PTP).

Les brèches sont donc nombreuses dans le système de gestion de l’offre, et certains se demandent si le modèle de production, mis en place au pays dans les années 1970, a encore lieu d’être. «Notre gestion de l’offre est malade», résume, découragé, le producteur laitier Bruno St-Pierre dans les Laurentides. Pourtant, il croit tout de même que le modèle canadien mérite d’être préservé pour son côté coopératif et solidaire qui fait que les producteurs ne se sentent pas en compétition avec leurs voisins.

Ce que veulent donc les producteurs et les représentants de l’industrie qui participent ces jours-ci aux nombreuses manifestations à travers la province, c’est rappeler leurs promesses électorales aux libéraux, qui, afin d’ajuster l’offre et la demande, avaient promis de veiller au contrôle des importations, un des piliers du mécanisme de gestion de l’offre. Selon une lettre d’opinion de Marcel Groleau, président de l’UPA, le problème est connu des autorités gouvernementales depuis au moins deux ans. Incapables d’attendre plus longtemps, les fermiers promettent d’ailleurs un printemps avec d’autres manifestations et des perturbations publiques si le gouvernement n’intervient pas.
Même le Gouvernement du Québec se range du côté de l’industrie laitière pour presser Ottawa de faire appliquer sa propre réglementation pour que cesse l’importation du lait diafiltré en provenance des États-Unis.

De son côté, Christian Bouffard, dans sa vidéo virale, avoue ne pas espérer de solution venant de l’État. «Le gouvernement n’a jamais rien fait pour la production laitière, je ne pense pas que ça va changer demain. Ce que je souhaite, c’est que les transformateurs se revirent de bord, nous respectent et arrêtent de faire ça. Je souhaite que nous travaillions ensemble.»