Hommage à nos familles agricoles du Québec
Il y a quelques semaines paraissait aux Éditions de l'Homme La famille agricole, un ouvrage signé par Véronique Leduc, la journaliste responsable des chroniques gourmandes depuis les tous débuts d’Avenues.ca et actuellement en congé de maternité.
Dans le cadre des 60 ans de la Fondation de la famille agricole, Véronique Leduc a parcouru le Québec à la rencontre de 21 familles qui se sont distinguées en matière de transmission, d’innovation et d’implication dans leur communauté. Ces portraits vibrants, tant dans l’écriture que dans les photos qui les accompagnent, constituaient pour nous une manière de clore l’année 2021 avec un message, celui de célébrer celles et ceux qui nous nourrissent au quotidien et dont nous reconnaissons rarement l’importance du travail. Nous nous sommes entretenus avec Véronique Leduc pour en savoir plus sur une aventure qui a changé la vision qu’elle avait du monde agricole québécois.
Véronique, as-tu fait des découvertes pendant la préparation de ton livre?
Oui, des tonnes! Même si j’évolue à titre de journaliste dans le milieu alimentaire et gastronomique depuis des années, j’ignorais totalement comment les œufs, le lait ou la volaille que nous retrouvons dans nos épiceries étaient vraiment produits. D’avoir la chance de me rendre sur des exploitations agricoles, de visiter de l’intérieur des silos et des étables, j’ai trouvé cela vraiment intéressant. Et j’ai en prime découvert dans ces fermes des familles qui travaillent parfois sur place depuis six, voire sept générations. C’est incroyable, quand même, de se dire que certaines d’entre elles sont les descendantes directes de certains colons de Nouvelle-France et qu’elles sont toujours vouées à l’agriculture!
Justement, alors que l’on parle beaucoup de modernisation dans ce secteur, est-ce que le lien qui unit les agriculteurs à leur terre est aussi fort qu’avant?
Absolument. Les familles que j’ai rencontrées sont très attachées et fières de leur terre. Elles vivent même souvent dans les mêmes maisons que les générations qui les ont précédées. Certaines d’entre elles ont dû au fil de leur vie déménager, car elles ont été expropriées, ont fait face à des incendies ou ont vendu leurs parts, et elles vivent toujours un deuil ensuite. Comme me l’a dit un de mes intervenants: «Ta terre, c’est comme ta femme. Tu n’en réapprivoises pas une nouvelle facilement.» C’est riche et beau, ce lien avec cette terre et ses origines.
Est-ce que les anciennes et nouvelles générations d’agriculteurs abordent leur métier de la même manière?
Elles sont selon moi autant impliquées les unes que les autres, mais de manière différente. Même si elles m’ont toutes parlé du problème de relève que des voisins ou des amis peuvent rencontrer, le legs des terres est naturel dans les familles que j’ai rencontrées. Les parents font le choix assumé de perdre de l’argent en vendant à leurs enfants plutôt qu’à des étrangers, et ils ont aussi la volonté de passer la main dans les meilleures conditions possibles, soit en modernisant leurs installations, soit en continuant à travailler avec leurs enfants jusqu’à ce qu’ils puissent être autonomes.
Du côté des jeunes, je me suis rendu compte qu’ils ne se sentent absolument pas forcés de reprendre l’affaire familiale. Ils se lancent dans ce métier difficile avec passion et se sont souvent formés adéquatement en comptabilité, en commerce et même en anglais pour réussir. Ils sont motivés et désirent plus que tout que la ferme familiale fonctionne.
Quelle place occupent les femmes dans ce domaine?
Une place beaucoup plus grande qu’on ne le pense, et ce, depuis longtemps, puisque les fermes, ce sont avant tout des familles. Et ces femmes sont vraiment inspirantes! Qu’elles soient engagées avec leurs frères et sœurs, ou bien qu’elles reprennent seules la suite de leurs parents, souvent en compagnie de leur conjoint, les femmes sont intéressées par le domaine agricole, sont de plus en plus sur le terrain grâce à la mécanisation, ou bien se spécialisent dans certaines tâches que d’autres, plus manuels, aimeraient moins faire, comme la gestion. Leur rôle est donc essentiel en agriculture.
En rendant visite à ces 21 exploitations agricoles, ta vision de l’agriculture a changé, semble-t-il. Pourquoi?
Comme beaucoup, je m’intéressais auparavant davantage aux petites fermes bio qu’à des producteurs plus importants. On a d’ailleurs souvent tendance à penser de manière négative à cette façon plus commerciale de produire de la nourriture. Mais en me rendant sur place, je me suis rendu compte que ce sont en réalité ces fermes-là qui nous nourrissent au quotidien, et qu’en arrière, elles sont très humaines. Ce sont des familles qui ont à cœur le bien-être de leur terre et de leurs animaux, dont les installations sont propres, et qui ont même parfois des prénoms. Personnellement, j’ai recommencé après cette expérience à acheter du lait de vache, ce que j’avais cessé de faire depuis plusieurs années. Alors, comme on parle de plus en plus d’autonomie alimentaire, je pense qu’il faut plus encourager ces familles québécoises que les critiquer.
En terminant, que retiens-tu de cette expérience à titre personnel?
Je dirais tout d’abord que ce fut une expérience énergisante. Même lorsque j’étais moins en forme, dès que je sortais d’une rencontre avec une de ces 21 familles, j’étais comme portée. Ces personnes sont tellement passionnées et inspirantes, c’est fou! Elles nous invitaient tout le temps à rester, à manger à leur table. Elles nous donnaient généreusement un temps, qui est pourtant compté. Et elles ont parfois des parcours incroyables et touchants, à l’image de la famille Hudon–Saint-Amant, dont la mère Simone s’est retrouvée du jour au lendemain veuve avec 11 enfants et qui s’est seule retroussée les manches pour qu’ils mangent tous à leur faim. Alors si j’ai un message à passer à travers ce livre, je dirais que ce serait celui de rendre hommage et de respecter tout autant ces gens qui nous côtoient chaque jour à travers notre alimentation, que des médecins que nous ne voyons qu’une fois l’an.