Cuba
Explorations culinaires à La Havane
De vous parler ici de l’évolution de la cuisine cubaine m’a donné envie de me rendre sur le terrain afin de goûter cette nouvelle vague gastronomique. Me voilà donc tout juste de retour d’une semaine à La Havane faite d’explorations culinaires.
«Le redressement de notre gastronomie est important et cette activité a joué un rôle majeur au sein du secteur touristique», a affirmé la semaine dernière Manuel Marrero Cruz, ministre du Tourisme de Cuba, lors d’une foire touristique. Après des années à se satisfaire d’une cuisine sans personnalité dans les buffets d’hôtels, c’est vrai qu’on sent au pays une prise de conscience par rapport au rôle que peut jouer la gastronomie pour l’industrie touristique et pour l’économie.
Dans cette nouvelle volonté gastronomique, ce sont assurément les paladares qui mènent le bal. Ma collègue Marie-Julie Gagnon vous parlait brièvement du concept dans une destination du mois. Les paladares désignent des restaurants privés gérés par des familles qui habitent habituellement aussi sur place.
Il était une fois…
Pour la petite histoire, si les restaurants privés ont toujours existé à Cuba, ils étaient, au départ, opérés illégalement. Devant une importante crise économique, le gouvernement cubain les a légalisés en 1993, mais en imposant des règles strictes concernant le genre de produits servis ou en limitant le nombre de places que les établissements pouvaient offrir, par exemple. Presque 20 ans plus tard, soit en 2010, le gouvernement a encore revu le modèle économique du pays et donné le droit aux paladares de diversifier leur offre, d’engager plus de personnel et d’accueillir jusqu’à 50 clients en même temps.
Depuis, le nombre de paladares a explosé et on estime qu’on en trouve environ 1000 au pays, allant du petit restaurant en région installé dans la maison familiale jusqu’à l’établissement situé en pleine Havane où l’équipe est épaulée par des chefs et des serveurs professionnels. La plupart des paladares proposent une cuisine cubaine alors que d’autres, plus rares, se sont lancés dans la cuisine italienne ou méditerranéenne.
Pour les visiteurs, l’attrait est énorme: au lieu des buffets anonymes des hôtels, on peut entrer, l’espace d’un repas, dans la vie d’une famille cubaine et dans l’atmosphère et les saveurs qu’elle propose.
Expérimenter les paladares
Impossible d’avoir une place au paladar Dona Eutimia, ouvert depuis cinq ans, sans réserver, et ce, autant le midi que le soir. Dans une jolie ruelle près de la Place de la Cathédrale, la terrasse et la petite salle à manger sont accueillantes. Sur le menu, entre les salades, les entrées variées, les plats de poulet, de porc ou de poissons grillés, j’ai choisi les frituras de malanga, des croquettes de patate douce – une des spécialités selon le serveur - des pois chiches et légumes en sauce, et des crevettes à l’ail, accompagnés d’un délicieux mojito frappé. Mention spéciale aux croquettes, mais sinon, malgré que la critique culinaire Marie-Claude Lortie ait fait l’apologie de l’endroit, les mets restent fades dans leur présentation. Tout de même, l’ambiance chaleureuse et les saveurs y sont, le tout pour une vingtaine de dollars seulement.
Non loin, dans le quartier Vedado, là où sortent danser les jeunes cubains, le paladar Santa Barbara est aussi très bien. Petites entrées, poissons, crevettes et viandes grillées accompagnés de salades et de riz aux haricots tiennent la vedette. Les crevettes popcorn sont délicieuses. Il faut réserver une place sur la jolie terrasse devant l’établissement question de profiter de la végétation et des musiciens qui sont souvent présents pour mettre de l’ambiance.
Malgré tous mes efforts, il m’a été impossible d’avoir une place au paladar qui jouit à La Havane de la meilleure réputation: le San Cristobal. C’est certainement la présence récente de Barack Obama à sa table qui a moussé sa popularité. Le chef Carlos Cristobal Marquez Valdés, un personnage expressif et sympathique, y est aussi pour beaucoup. Dans un décor hétéroclite fait d’objets anciens accrochés aux murs d’une bâtisse centenaire, on sert des plats de tapas, des poissons à l’orange, du porc goûteux et des langoustes fraîches. Près du Capitole, devant la grande entrée, le portier ne fournit pas à la demande. Des dizaines de visiteurs espèrent obtenir une petite place dans le restaurant bondé.
La scène aurait été inimaginable il y quelques années à peine. Mais aujourd’hui, il y a un engouement certain pour les établissements authentiques que propose Cuba. D’ailleurs, selon le chef du San Cristobal, ce n’est que le début puisqu’il estime que les paladares seront de plus en plus nombreux. «C’est quelque chose de nouveau pour Cuba et pour les Cubains. Et c’est une grande chance pour nous de nous développer et d’ouvrir un commerce.»
Populaire Cuba
Cette nouvelle popularité des paladares est certainement exacerbée par l’intérêt des touristes du monde entier pour l’île communiste. À la suite de l’assouplissement de certaines règles de visite pour les Américains après plus de 50 ans d’embargo, les visiteurs en provenance des États-Unis, mais aussi ceux du monde entier, affluent. Cuba a accueilli en 2015 plus de trois millions de visiteurs, soit une augmentation de 17% par rapport à l’année précédente.
Devant une telle demande et une possible flambée des prix, les Cubains ont peur que le Canada, leur marché principal, les laisse tomber. Poussé par la volonté de ne pas perdre son partenaire, Cuba a d’ailleurs décidé d’intensifier ses liens avec le Canada en augmentant les échanges touristiques et gastronomiques. Entre autres, l’ITHQ de Montréal et Cuba feront cette année des échanges d’étudiants et de stagiaires qui œuvreront dans divers établissements.
Le gouvernement cubain, qui possède de son côté plusieurs restaurants, ne fait pas la promotion des paladares, mais ne peut plus nier l’intérêt touristique qu’ils représentent. «Les agents de voyages font désormais des partenariats avec les établissements privés afin de bonifier leurs circuits. Le privé et le public se complètent l’un et l’autre. Il n’y a pas deux types de tourismes dans l’île, il y en un seul, beau et fort», a assuré le ministre du Tourisme.