Du resto à l’épicerie
Avez-vous remarqué la multiplication des produits issus de nos restaurants locaux en faisant votre épicerie? Effectivement, le Québec est de plus en plus à l’honneur dans nos assiettes, et avec lui, l’offre de prêt-à-manger d’ici. Petit tour d’une tendance qui n’est vraiment pas prête de s’essouffler.
Il y a encore quelques années, quand on évoquait le mot «local» dans les épiceries, l’offre se résumait la plupart du temps à des produits frais – étiquetés ou non – et à quelques aliments ou plats préparés. Les bannières St-Hubert et La Cage ont sans aucun doute fait figure de pionnières en lançant chacune une gamme de surgelés, auxquels se sont depuis greffées beaucoup de choses. La Cage propose à présent une trentaine de produits différents, qui vont des côtes levées aux burgers, mayonnaises et épices. Quant à St-Hubert, leurs ailes et languettes de poulet, sauces, tartes, quiches et desserts sont bien visibles dans les rayons du frais, du sec et du congelé.
Au fil du temps, d’autres joueurs locaux sont apparus. On peut penser aux plats gourmets du chef de l’Europea Jérôme Ferrer (qu’il distribue à présent directement sur sa propre boutique), aux nécessaires à tartares, sushis et poke de Geneviève Everell et de son enseigne Sushi à la maison, ou encore aux épices, vinaigrettes et sauces du restaurant iconique Joe Beef. Comme l’avait indiqué en 2019 dans un article de La Presse le chef David McMillan, «j’ai résisté longtemps avant de vendre dans les épiceries. Mais quelqu’un m’a expliqué que beaucoup de gens n’allaient jamais venir au restaurant».
Explosion pandémique
Le mouvement amorcé par certains restaurants et chefs du Québec a connu un véritable envol au cours de la dernière année. «Nous avions déjà ce projet en cours depuis deux ans, mais la pandémie a accéléré notre mise en marché», reconnaît Nicolas Filiatrault, vice-président Finances et Administration chez Benny&Co., une bannière qui compte 67 succursales à travers le Québec et l’Ontario, et qui vient de lancer au mois de juin 2021 quatre produits surgelés et sa sauce BBQ en épicerie.
Une décision qui peut au premier abord paraître surprenante alors que les restaurants de la chaîne rouvrent graduellement leurs portes au public, mais qui s’inscrit en fait dans la durée et se veut complémentaire à l’expérience que l’on peut vivre dans les établissements, selon l’expert. «Cela nous permet de faire rayonner notre marque au-delà de nos restaurants, et de donner aux consommateurs un choix de plus pour déguster nos produits.» L’entreprise compte d’ailleurs élargir rapidement son offre dans tous les formats, du bocal de verre au plat frais préparé, en passant par les produits lyophilisés.
Benny&Co n’est pas la seule marque d’ici à avoir vu dans l’épicerie un moyen d’accroître sa clientèle ou de se réinventer pendant la pandémie. Dix-sept enseignes dont Bâton Rouge, Casa Grecque, Boustan, Ben & Florentine, Thaï Express, Mikes ou encore Steak Frites St-Paul, réunies depuis peu au sein de la Collection épicerie, multiplient les produits et les offensives commerciales dans les grandes surfaces.
À plus petite échelle, on a aussi vu arriver sur les rayons, au mois de juin dernier, la marque Dic Ann’s, dont l’enseigne fête cette année ses 67 ans d’existence et compte à ce jour 12 restaurants et un camion de rue.
Comme le raconte Delbina Potenza, qui représente avec Anthony Zammit la troisième génération à la tête de l’entreprise, le succès immédiat rencontré par les pots de la fameuse sauce qui accompagne ses burgers et poutines depuis 1954 les a naturellement poussés à viser sa diffusion en épicerie. «Notre intention initiale était d’apporter un peu de bonheur dans les maisons des gens pendant la pandémie. Nous avons passé nos soirées à remplir à la main des milliers de pots de sauce et à apposer nous-mêmes les étiquettes – on peut le comprendre, avec plus de 10 000 pots de sauce vendus depuis décembre 2020! Et comme les familles cuisinent de plus en plus à la maison depuis la fermeture des restaurants, c’était l’occasion parfaite pour lancer la sauce dans les épiceries.»
Chefs dans les rayons
Cette effervescence épicière a aussi constitué pour plusieurs chefs et restaurants indépendants l’occasion de se diversifier. Forcé de se réinventer après mars 2020, Martin Picard, le grand manitou du restaurant Le pied de cochon et de la cabane du même nom, a commencé à commercialiser en saison, avec succès, des tartes au sucre et du prêt-à-manger artisanal fabriqués dans sa cabane à sucre, ainsi que de la moutarde, du lait concentré, du dulce de leche et des charcuteries de son cru, produits localement en usine.
Le chef Pasquale Vari, qui officie à titre de professeur à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec depuis 1995 et de juge à la populaire émission culinaire Les Chefs!, vient également d’embarquer dans le mouvement avec une gamme de cinq sauces classiques italiennes confectionnées ici et distribuées partout au Québec sous le nom de Chef Pasquale. Pourquoi s’est-il lancé dans cette voie? «Je cuisine, dit-il, pour rendre les gens heureux. J’ai donc créé cette gamme de produits fins pour partager ce plaisir.» On ne l’en blâmera pas.
Success stories
Est-ce que Pasquale Vari aura autant de succès que le chef Stefano Faïta, copropriétaire avec Michele Forgione du Impasto, de Pizzéria Gema, de Chez Tousignant et du Restaurant Vesta? Ce dernier peut effectivement se féliciter d’avoir lancé sous le nom de Stefano une gamme de sauces à l’italienne devenues en un temps record très populaires (on les trouve même dans l’Ouest canadien!), mais aussi de panettones, pizzas, pâtes, boulettes et saucisses. Et on ne parle même pas de sa tartinade aux noisettes, qui a détrôné dans certains magasins celles de multinationales bien connues.
Succès aussi jusqu’à présent pour un restaurant phare de la Mauricie, Le Grec, qui propose de la pizza à Trois-Rivières depuis 62 ans et dont la vinaigrette est connue des épiceries depuis 2012. Sous forme de projet pilote pandémique, les propriétaires de troisième génération de l’entreprise, Ioanna et Dimitris Yannopoulos, ont lancé en juin 2020 une première version de leur gamme de pizzas surgelées. «Elle a fracassé un record de ventes. La maison-mère a alors passé une commande pour 120 000 pizzas, une valeur au détail d’un million de dollars», racontent-ils. C’est donc sans grande surprise que les restaurateurs souhaitent à présent conquérir le Québec avec une production potentielle de 1,6 million de pizzas congelées par an.
De la même manière, mais en version plus régionale, le Resto-Pub L’ImMédia, de Cap-Rouge, a décidé de diffuser à travers la franchise IGA des Sources son smoked meat sous vide. Et son ambition est de séduire le Québec au complet. «Notre objectif pour le futur serait que nos proches puissent acheter leur smoked meat de L’ImMédia directement dans leur ville, un peu partout au Québec. Si cela se produit, ce sera mission accomplie pour nous!» mentionne Marianne De Angelis, directrice du resto-pub.
Au regard de toutes ces initiatives, pouvons-nous prédire que nos marques québécoises vont non seulement se tailler une belle place dans nos épiceries, mais qu’elles damneront aussi le pion de grands groupes internationaux? Notre petit doigt nous dit que c’est bien parti!