Kiosque fermier sur le bord de la route. Photo: Véronique Leduc
15 janvier 2020Auteure : Véronique Leduc

Dans les cuisines d’Hawaï

Hawaï, à 4000 kilomètres de l’Amérique du Nord, est peut-être l’archipel le plus isolé du monde, mais en cuisine, rien n’y paraît puisque la variété et la fraîcheur sont au rendez-vous.



«L’ananas, le cacao, la papaye, le café, les poissons et les fruits de mer sont cultivés ou pêchés à l’année sur les différentes îles d’Hawaï», explique au Surf Lanai, devant une assiette remplie de poissons crus accompagnés de salsa à l’ananas, Daniel Delbrel, chef français et directeur des cuisines au Sheraton Waikiki, dans la station balnéaire mythique voisine d’Honolulu. Tombé en amour avec l’archipel alors que, jeune adulte, il était venu y faire un échange, il s’est définitivement installé à Waikiki en 2001.

Il y a plusieurs siècles, quand, en plein cœur du Pacifique, les Polynésiens sont arrivés à Hawaï, ils ne se doutaient pas qu’ils venaient de trouver des îles très fertiles où allaient pousser autant les fruits exotiques comme l’ananas, la papaye, le lychee, les tangerines, les avocats et les bananes que le café, le cacao et les noix de macadam, et où les habitants allaient se délecter de crevettes géantes, de homards, de mahi-mahis et de thons. «À Hawaï, on ne mange pas de petits poissons», affirme Daniel Delbrel.

Les bananes poussent partout à Hawaï. Photo: Véronique Leduc

Aujourd’hui, il forme les chefs des différents restaurants du complexe Marriott Waikiki, qui borde l’océan Pacifique, turquoise. «En cuisine, les gens ont l’habitude d’embaucher des expatriés, nombreux ici, mais il y a quelques années, quand j’ai refait l’équipe avec comme objectif de hausser le niveau culinaire, j’ai décidé d’opter pour des chefs originaires d’Hawaï. Ils sont là pour rester, mais surtout, ils connaissent leur culture et leur histoire.»

Le lendemain matin, alors que je le rencontre devant une omelette au crabe et à l’avocat accompagnée, bien sûr, d’un jus frais à l’ananas, Colin Hazama, originaire d’Honolulu, située à quelques minutes de Waikiki, et chef exécutif du Royal Hawaiian, qui fait aussi partie du complexe hôtelier, n’hésite pas à dire que Daniel Delbrel est son mentor. «Il m’a donné ma chance et m’a montré à travailler dans un contexte d’hôtel», dit-il. Aujourd’hui, celui qui gère les cuisines des événements et des restaurants d’un des plus anciens hôtels de Waikiki estime que le secret, dans une cuisine d’hôtel, tient en un seul mot: «organisation».

Colin Hazama et Daniel Delbrel. Photo: Véronique Leduc

De l’ailleurs au local

Si la station balnéaire misait autrefois sur la cuisine d’ailleurs – «Parce qu’il y avait beaucoup de touristes européens, on croyait que les crêpes flambées étaient le summum du chic», dit Daniel Delbrel –, aujourd’hui, on désire plutôt faire goûter la cuisine d’Hawaï. Selon le chef, la fierté des Hawaïens pour leur culture culinaire a commencé à se manifester il y a une trentaine d’années, quand on a voulu faire découvrir les aliments locaux aux visiteurs et leur faire sentir par la cuisine qu’ils se trouvaient… à Hawaï.

Tartelette au homard au Surf Lanai du Royal Hawaiian Resort. Photo: Véronique Leduc

Selon Colin Hazama, il y a bel et bien un mouvement qui porte la cuisine hawaïenne depuis quelques années. «Désormais, nous sommes fiers de mettre de l’avant la cuisine des différentes communautés indigènes et des vagues d’immigrants venus ici.» Les menus de l’archipel débordent par exemple d’influences asiatiques et les plats de riz, les ramens et les soupes pho se retrouvent partout.

«La cuisine met aussi maintenant l’histoire d’Hawaï de l’avant», estime Colin, qui a entendu toute sa vie parler de l’attaque de Pearl Harbor à Honolulu, dont on soulignait les 78 ans en décembre 2019. «Nous sommes encore influencés par les plats qui étaient servis aux militaires pendant les guerres. On cherchait alors à offrir des plats bourratifs et réconfortants. Ça se retrouve aujourd’hui dans notre cuisine quotidienne.» On pourrait dans ce cas penser au loco moco (riz, œuf, viande et sauce brune) ou au spam, ce pâté en boite qu’on retrouve partout. Même chose pour les plats servis autrefois aux travailleurs des champs de cannes à sucre, estime Colin Hazama. Les champs ont disparu, mais l’influence de cette alimentation est restée.

Présentoir de spam à l'épicerie. Photo: Véronique Leduc

D’ailleurs, pour occuper ces vastes territoires agricoles devenus vacants, il a fallu se réinventer. Aujourd’hui, à Hawaï, on voit de plus en plus de fermes, dont certaines produisent des produits fins comme de la vanille ou du sel. Les serres qui font pousser des légumes qu’il fallait autrefois faire venir d’ailleurs sont aussi de plus en plus nombreuses. Ainsi, concombres, tomates et laitues peuvent désormais être locaux. De nos jours, certains considèrent même que l’agriculture est devenue un geste politique qui permet d’améliorer l’autonomie de l’archipel, qui fait encore venir de l’extérieur la majorité de ses aliments.

Kiosque fermier sur le bord de la route. Photo: Véronique Leduc

Au fil du temps, il a fallu s’organiser. «Après tout, nous avons chaque année 1,5 million d’habitants et 10 millions de touristes à nourrir!», rappelle Daniel Delbrel.

Dans les grands restaurants de l’archipel, on prône bien souvent le local donc, et sur les menus, comme sur celui du Royal Hawaiian, on trouve des sashimis, des tartines au homard, des nouilles aux crevettes avec bouillon pho, des salades de légumes locaux et des sorbets aux fruits variés. Et les poissons au menu pourraient difficilement être plus frais: ils viennent la plupart du temps d’un encan de poissons qui a lieu tous les matins à Honolulu alors que les pêcheurs reviennent de la mer.

Cuisiner sur une île

La variété n’a toutefois pas toujours été aussi grande qu’aujourd’hui. Autrefois, sur ces îles loin de tout, certains aliments étaient plus difficiles à se procurer. Pourtant, aujourd’hui, grâce au travail de plusieurs producteurs et à l’implication de l’État, les aliments disponibles localement sont nombreux. Pour le reste, on peut faire venir tout ce qu’on veut par avion en un ou deux jours, explique Daniel Delbrel. Parce qu’Hawaï reste bel et bien dépendante de l’extérieur… Ici, peu de variété pour ce qui est de la culture des céréales, ni d’abattoirs, entre autres. Les céréales viennent donc d’ailleurs et la viande vient des abattoirs situés sur le continent.

Mais qu’à cela ne tienne: la volonté d’accroître l’autosuffisance alimentaire est grandissante et les produits locaux, de plus en plus accessibles, ce qui semble inspirer de nombreux jeunes chefs originaires d’Hawaï. Colin Hazama en nomme d’ailleurs quelques-uns qu’il admire et qui se démarquent grâce à une cuisine durable où l’on suit le produit du début à la fin.

Dans la jeune trentaine, Colin est un bon exemple de cette nouvelle vague de chefs dynamiques et passionnés par l’histoire de leur pays et qui ont envie de parler de leur cuisine. «Je sens qu’il y a une nouvelle génération de chefs qui prend sa place et que l’ancienne est prête à passer le flambeau.»

Vue du Royal Hawaiian Resort. Photo: Véronique Leduc

Ce séjour a été rendu possible grâce au Royal Hawaiian Resort.