Photo: Facebook Homard Gaspésien

Dans les coulisses de la pêche au homard de la Gaspésie

Chaque année, en même temps que le printemps, le homard arrive dans les assiettes des Québécois, qui l’attendent avec impatience. Jean Côté, biologiste et directeur scientifique du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie depuis 2010, répond à 10 questions à propos du homard de la Gaspésie.


Quel est votre travail au sein du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie?

Comme directeur scientifique de cette organisation à but non lucratif, je porte plusieurs chapeaux. Quand je suis arrivé, en 2010, le regroupement était en train de développer son plan de durabilité de la pêcherie. On souhaitait augmenter le nombre de homards en Gaspésie tout en diminuant les impacts de cette pêche sur l’environnement. Et depuis la pandémie, je suis encore plus occupé qu’avant puisqu’il y a un réel intérêt pour la consommation de produits locaux. D’ailleurs, dans ce contexte, le système de traçabilité du homard de la Gaspésie instauré il y a quelques années est plus pertinent que jamais.

J’ai des projets qui touchent l’environnement et l’étude de la population du homard avant, pendant et après la saison. Je m’occupe aussi de la paperasse liée aux certifications environnementales. Depuis peu, on récupère aussi les casiers des pêcheurs pour les recycler. Jusqu’à maintenant, on a recyclé plus de 13 000 casiers de bois ou de métal afin de revaloriser le matériel. On cherche aussi à améliorer les engins de pêche afin d’éviter l’empêtrement des baleines. Je m’occupe aussi de l’écloserie de homards, la seule du genre au Québec. Et finalement, je réponds aux questions des médias par rapport à la pêche au homard en Gaspésie. J’ai le travail idéal: je suis sur l’eau, dans les bateaux et dans l’écloserie, mais je remplis aussi des rapports au bureau. Ce n’est pas routinier!

Il y a un réel intérêt pour la consommation de produits locaux et, dans ce contexte, le système de traçabilité du homard de la Gaspésie instauré il y a quelques années est plus pertinent que jamais. Photo: Facebook Homard Gaspésien

Est-ce que c’est unique à la Gaspésie que d’avoir un biologiste pour l’épauler dans sa pêche?

Ce ne sont pas tous les regroupements qui se préoccupent d’engager quelqu’un pour la recherche, mais de plus en plus, au Québec, les grandes associations ont en effet leur biologiste, surtout à cause des exigences environnementales.

Est-ce que la saison du homard 2023 sera bonne?

Il y a le potentiel pour que ce soit une bonne saison. La mise à l’eau pour la plupart des pêcheurs de la Gaspésie a eu lieu le 29 avril et la journée était magnifique. Par contre, la semaine suivante, le temps était très mauvais et les pêcheurs n’ont pas pu aller en mer pendant quelques jours. On ne sait donc jamais vraiment comment sera la saison: le homard est là, mais ça dépend toujours de la météo et du nombre de jours où il sera possible d’aller pêcher.

On ne sait jamais vraiment comment sera la saison: le homard est là, mais ça dépend toujours de la météo et du nombre de jours où il sera possible d’aller pêcher. Photo: Facebook Homard Gaspésien

Est-ce que la majorité du homard pêché au Québec est consommé au Québec?

La saison dure 68 jours, à partir de fin avril ou début mai, et des 6,7 millions de homards pêchés en Gaspésie chaque année, de 60 à 75% seront vendus frais dans la province. La majorité du reste est exporté aux États-Unis.

Comment vous assurez-vous de la pérennité de la ressource?

Par diverses actions, dont la diminution de l’effort de pêche, la réduction du nombre de permis ou de casiers autorisés, la diminution de la durée de la saison de la pêche (de 70 à 68 jours), l’augmentation de la taille minimale de capture, qui est passée de 76 à 83 millimètres, et l’ensemencement grâce à l’écloserie.

Qu’est-ce qu’une écloserie exactement?

Au début de mon mandat, en 2010, l’idée avec ce projet était d’aider la ressource en visant à compenser 3 à 5% des homards pêchés chaque année grâce à de l’ensemencement. Grâce à Aquahive, une technologie venue d’Écosse et unique au Québec, le projet est un succès. En gros, je récupère des femelles pêchées dans différentes régions que je mets dans des bassins d’eau froide ou d’eau plus chaude afin de retarder ou d’accélérer l’éclosion des œufs. Au départ, les homards ressemblent à des crevettes d’un ou deux millimètres. Je les nourris, je les élève, puis après 12 ou 13 jours dans des bassins communs, ils changent de carapaces et deviennent de «vrais homards». Ils sont ensuite élevés dans des bassins séparés pendant 10 jours puisque, sinon, ils se mangent l’un l’autre. À ce moment, je peux en avoir près de 50 000 en même temps. Ensuite, des plateaux sont amenés en mer en juillet, août et septembre. Certains sont des «Tanguy» et ne quittent pas «le nid», mais 95% d’entre eux se fraient un chemin et vont à la mer. Si seulement 20 000 bébés homards ont été mis à l’eau il y a 10 ans, ce sont près de 250 000 qui sont maintenant retournés en mer chaque été sur deux sites différents. Je dis souvent que les pêcheurs, ce ne sont pas des chasseurs-cueilleurs, ce sont des agriculteurs qui s’occupent de la ressource qu’ils ne veulent pas voir disparaître. Alors on prend toutes les mesures pour ne pas que ça arrive.

Est-ce que l’écloserie aide vraiment la ressource?

On n’en a peut-être pas tellement besoin pour le moment puisque la ressource se porte bien, mais je crois qu’il vaut mieux prévenir et être prêts si le nombre de homards se met à diminuer. L’avantage de l’écloserie, c’est que j’aide les homards au moment où ils sont le plus vulnérables. En nature, c’est environ un homard sur 1000 naissances qui survit, alors qu’en écloserie, le taux de survie est plus grand. On peut dire en quelque sorte qu’on aplatit la courbe des pertes. Quand on sait que les spécimens qui se retrouvent dans nos assiettes ont besoin de 6 à 8 ans de vie pour atteindre la grosseur désirée, on réalise que ça vaut le coup.

Est-ce que la somme de ces actions porte ses fruits?

Entre autres moyens d’étudier l’état de la ressource, nous pêchons des spécimens à différents moments de l’année pour des évaluations. Nous pouvons alors observer différents indices. En ce moment, ces derniers sont tous à la hausse ou stables, et il y a un bon ratio mâles/femelles. On peut donc dire que la relève est là pour les années à venir. On remarque qu’il y a moins d’efforts de pêche, c’est-à-dire qu’il y a moins de casiers mis à l’eau chaque année, mais qu’ils sont plus pleins. La taille moyenne du homard a aussi augmenté. C’est très bon signe.

On entend parfois dire que les changements climatiques sont avantageux pour le homard du Québec. Est-ce vrai?

Les diverses mesures pour la conservation du homard ont commencé à être adoptées il y a une vingtaine d’années mais, il faut dire en effet qu’en même temps, on s’est mis à observer davantage l’impact des changements climatiques. Le homard, c’est une espèce qui aime le réchauffement de l’eau. Avant, en Gaspésie, on était à la limite de la zone de pêche, mais maintenant, on est en plein cœur, alors oui, les réchauffements climatiques nous avantagent.

Avez-vous des projets de recherche pour l’avenir?

Nous ne manquons pas d’idées pour prendre soin de la ressource et de l’environnement. Entre autres, nous faisons déjà l’inventaire des captures, mais disons que ça pourrait être fait de façon plus rationnelle. Nous pensons utiliser l’intelligence artificielle pour ce faire et pour nous aider à prédire les choses en mer.