22 février 2016Auteure : Véronique Leduc

Crise dans le milieu acéricole

Au moment où j’écris ce billet, près de mille producteurs de sirop d'érable de partout à travers la province sont réunis au Centre des congrès de Québec. Ils y sont pour dénoncer le rapport Gagné, rendu public la semaine dernière, qui émet 21 recommandations sur l'avenir de l'industrie acéricole québécoise.



Une recherche rapide sur le web permet de trouver des dizaines d’articles publiés sur le sujet dans les derniers jours. Certains exposent la vision de ceux qui saluent le rapport, d'autres de ceux qui le condamnent. La guerre semble déclarée dans le milieu acéricole québécois avec, comme enjeu, notre or blond.

«Est-ce qu’on assistera à une guerre atomique? Peut-être…», a lui-même avoué l’ancien sous-ministre Florent Gagné, auteur des 21 recommandations.

C’est le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, Pierre Paradis, qui a commandé le rapport l’an dernier, déplorant que la position du Québec comme chef de file mondial de la filière acéricole était en déclin. Un an plus tard, le rapport Pour une industrie acéricole forte et compétitive a l’effet d’une bombe dans le milieu.

Le rapport, en bref

Il n'est pas facile de comprendre tous les tenants et aboutissants de la situation quand on n’est pas travailleur de l’industrie. Disons, qu'en gros, le rapport critique la façon de faire de la Fédération des producteurs acéricoles qui, en charge de la mise en marché du sirop d’érable québécois, oblige les producteurs à respecter un quota et à passer par elle pour leurs ventes en gros.

Entre autres recommandations, le rapport Gagné demande la fin du monopole de vente de la Fédération, l’abolition des quotas et l’allègement du fardeau administratif des acériculteurs. Ainsi, si Florent Gagné recommande que la Fédération soit toujours le maître d'œuvre de l'achat en vrac du sirop d'érable, son rapport ouvre la porte à une vente libre aux intermédiaires par les producteurs quand il s’agit de contenants de moins de cinq litres.

Selon l'auteur, qui n’entend pas laisser tabletter son rapport, «Le modèle québécois doit évoluer s'il veut survivre. C'est un modèle qui, au-delà de ses succès, s'est avéré rigide, technocratique, centralisé et contrôlant.»

Un marché en danger

En effet, l’heure est grave pour l’industrie acéricole, qui exploite un produit dont le marché est désormais mondial. Si le Québec contrôlait 80% des parts de marché il y a 10 ans, il en est à 71% aujourd’hui. Il doit se méfier des Américains qui pourraient continuer à gruger des parts. De son côté, la Fédération réfute cette information et soutient que le Québec détient encore 75% du marché mondial.

Florent Gagné reconnaît que le contrôle de la production a permis «l'instauration d'un prix convenable pour les producteurs et l'établissement d'un approvisionnement constant et suffisant pour le marché». Mais il ajoute que ce ne sont pas les producteurs québécois qui en profitent. En effet, ce sont plutôt ceux des Maritimes et des États-Unis, libres de vendre ce qu’ils veulent à qui ils veulent. Dans ce contexte, comment le Québec peut-il être dans la course internationale contre des joueurs qui n’ont pas de contraintes?

Liberté retrouvée

Ainsi, plusieurs producteurs acéricoles québécois applaudissent le rapport Gagné puisqu’ils souhaitent depuis longtemps une diminution des pouvoirs de la Fédération. Certains parlent même de la «fin d’une dictature». De nombreux producteurs acéricoles de la Beauce et de l’Estrie, par exemple, livrent depuis des années une bataille juridique contre la Fédération afin d’avoir le droit de vendre eux-mêmes leur sirop à des intermédiaires. Ces dernières années, certains producteurs se sont même fait saisir leur production parce qu’ils vendaient sans passer par l’organisation.

D’autres croient aussi que le rapport ouvre la porte à la qualité plutôt qu’à la quantité, ce qui permet de se démarquer mondialement, mais n’est pas encouragé par la Fédération.

Certains opposants à la Fédération, à ce point en désaccord avec la réglementation stricte imposée, auraient même effectué, en 2012, un vol spectaculaire dans l’entrepôt de l’organisation à Saint-Louis de Blandford. Six millions de livres de sirop d’érable entreposés dans les barils abritant la «réserve mondiale stratégique» de la Fédération, d’une valeur totalisant des dizaines de millions de dollars, ont alors été subtilisés. Un documentaire a même été réalisé à ce sujet. Les règles trop strictes ouvriraient donc la porte au marché noir de l’or blond…

Photo: Pixabay
Photo: Pixabay

Insécurité annoncée

Pourtant, des centaines de producteurs de sirop d'érable, l’Union des producteurs agricoles et la Fédération des producteurs acéricoles du Québec, bien sûr, sont présentement dans la rue pour dénoncer le rapport Gagné. Ils estiment que ce dernier ramènerait les producteurs 40 ans en arrière, dans l'insécurité financière et l'incertitude.

«Les recommandations du rapport mèneront l'industrie acéricole à sa perte», a commenté le président de la Fédération, Serge Beaulieu. Ce dernier rappelle que le contrôle de la production a permis «l'instauration d'un prix convenable pour les producteurs et l'établissement d'un approvisionnement constant et suffisant pour le marché». «Les producteurs ne se laisseront pas faire. [...] C'est un rapport inacceptable, biaisé et partisan», a-t-il ajouté.

Certains acériculteurs redoutent aussi qu’une augmentation trop importante de la production provoque l’effondrement des prix.

Devant tant de mécontentement, le ministre Paradis s'est porté à la défense du rapport Gagné. Il a affirmé que le modèle actuel de mise en marché du sirop d'érable ne doit pas être éliminé, mais bien modifié, si on veut éviter que les producteurs américains gagnent du terrain aux dépens de ceux du Québec.

Qui a dit que le malheur des uns faisait le bonheur des autres? Le rapport Gagné divise en deux clans les 13 500 acériculteurs répartis sur les 7300 érablières que compte le Québec. La guerre est déclarée!