5 novembre 2015Auteure : Véronique Leduc

Chasse: retour aux sources

Ça arrive au moins une fois chaque automne. Je roule sur la 40, et soudainement, dépassé Québec, deux yeux vides me fixent. Mon cœur se serre et je me questionne.



Quand je vois cet animal autrefois fier –un caribou, un cerf, un orignal, cela dépend des années– terminer sa vie attaché sur le toit d’une voiture, en route vers un congélateur, je ne peux m’empêcher de trouver les conducteurs cruels.

Pourtant, quand j’y pense vraiment, je constate que ces chasseurs mangeront bien plus consciemment leur viande. Ils l’ont traquée, attendue, visée, transportée, parfois même dépecée, puis apprêtée. Au fond, cette façon de faire est tellement plus respectueuse que d’acheter sa viande dans une barquette de styromousse.

Bien plus qu’avant, on veut savoir d’où viennent nos aliments. On désire manger de façon plus naturelle et plus santé. Alors qu’un retour aux sources est encouragé, la chasse et la pêche reviennent au goût du jour. Après tout, manger de la viande de gibier, c'est écologique et biologique à 100%.

Une tendance à la hausse

J’ai quelques amis Facebook qui se sont découvert depuis deux ou trois ans une passion pour la chasse. Ils publient annuellement des photos de leurs prises, preuve à petite échelle de cette tendance en ascension. Mais le courant est plus fort que ça.

Récemment, la communauté atikamekw au nord de Saint-Michel-des-Saints a créé un site qui vise à faire découvrir aux touristes les traditions culinaires autochtones qui passent par la chasse et la pêche.

Au Québec, les pourvoiries ont aussi décidé de s’y mettre. Elles s’adapte à une clientèle plus large en proposant un éventail d’activités plus diversifié.

Femmes à la chasse

Parlant de nouvelle clientèle, les femmes en font partie. J’ai participé, il y a deux ans, au week-end Fauniquement femme à la Seigneurie du Triton, en Mauricie. Cet événement visait à initier les femmes à la chasse et à la pêche. Déjà, à ce moment, Brigitte Lemay, de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs, me disait constater un intérêt grandissant chez la gent féminine, qui représentait, en 2012, le quart des inscriptions aux cours d'initiation à la chasse avec arme à feu au Québec.

Sur place, j’avais d’ailleurs rencontré Julie Lambert, une jeune cinéaste qui a fait Un film de chasse de filles. Ce documentaire se penche sur le phénomène grandissant des femmes qui désirent se mettre à chasser elles-mêmes la viande dont elles se nourriront pendant l’année.

Et il n’y a pas que les femmes: de façon générale, la chasse à l’orignal n’a jamais été aussi populaire au Québec, le nombre de chasseurs allant jusqu’à tripler au cours des dernières années dans certaines régions.

Restaurants et décoration

Cet intérêt pour la chasse et pour la viande qui en résulte se fait même sentir dans les restaurants. Les chefs Normand Laprise, du Toqué!, et Martin Picard, du Pied de Cochon, militent depuis des années auprès du gouvernement du Québec afin de pouvoir mettre des produits de la chasse au menu de leurs restaurants. Si un projet-pilote à cet effet devait être mis en place l’automne dernier, il a été retardé par le changement de gouvernement. Dommage, parce que la seule intention des chefs dans ce dossier est de suivre les saisons de la chasse et de travailler avec des prises fraîches. Pour le moment, le projet est toujours sur la glace…

Pas encore convaincus que la chasse est en pleine ascension? Même le retour de certains éléments de déco (les panaches sur les murs, ça vous dit quelque chose?) et la mode (les lumbersexuels sont récemment sortis du bois) en témoignent…

Cet automne, sur la 40, lorsque deux yeux me fixeront, je me dirai peut-être que, si la chose est bien faite et avec respect, ces yeux ne sont pas vides, mais racontent notre histoire et notre terroir.