Voyage au pays des Inuits
Chasser pour manger!
Quand on a la chance de visiter les communautés inuites du nord du pays, on comprend rapidement toute la mesure de leur attachement au territoire. C’est que ces terres nordiques, hostiles, mais magnifiques et généreuses, qu’ils habitent depuis des millénaires, sont aussi leur garde-manger.
«La nourriture de mon pays ne vient pas dans un emballage en styromousse. Ici, pour manger, il faut travailler.» C’est ainsi que Derrick Pottle, originaire de Rigolet, au Labrador, met la table pour la présentation qu’il s’apprête à offrir à bord d’un bateau de croisière d’aventure qui fait le trajet du Groenland à Terre-Neuve en passant par le Nunavik et le Labrador. «Si les photos ne vous conviennent pas, vous pouvez quitter», a-t-il continué devant une assemblée immobile, à l’exception d’une dame qui a préféré sortir. Derrick, un chasseur professionnel, a été invité à bord du Ocean Endeavor pour partager sa vision du mode de vie inuit.
Lors de cette croisière de 14 jours proposée par Adventure Canada, les 200 passagers ont en effet pu profiter de paysages à couper le souffle – des montagnes enneigées, des icebergs voguant doucement sur les mers de l’Arctique, des sommets recouverts de végétations multicolores automnales – mais surtout, ils ont rencontré des communautés inuites, pris le thé du Labrador dans des tentes chauffées, goûté les viandes traditionnelles et la banique encore chaude et appris sur la culture des Inuits.
Une nourriture fraîche
On entend souvent dire que la chasse est moins présente qu’autrefois chez les 45 000 Inuits du Canada, mais cela n’est pas vrai partout. Derrick estime que 98% de son alimentation vient du territoire entourant Rigolet, un village de 300 habitants qui fait partie du Nunatsiavut, un territoire inuit occupant une partie du Labrador. Ses assiettes sont remplies grâce à la chasse, la pêche et la cueillette.
«Vous avez vu nos épiceries? Tous les aliments sont vieux et tellement chers! Alors, quand tu as l’opportunité d’avoir de la nourriture fraiche, tu y vas!» explique l’homme de 60 ans, qui se considère privilégié de pouvoir chasser. Dans sa communauté, il compte six ou sept autres chasseurs professionnels, mais plusieurs autres membres vont à la chasse de temps à autre. Et c’est à l’année que la chasse et la pêche peuvent nourrir puisque dans le Nord, chaque saison offre ses opportunités: on pêche tantôt les poissons, on chasse tantôt les phoques, les orignaux, les ours polaires ou les oiseaux marins. La terre sauvage offre aussi une multitude de petits fruits ainsi que du thé du Labrador. Certains se régalent aussi des algues, nombreuses sur la côte.
«Il est possible d’avoir des prises fraiches à l’année, mais nous tentons tout de même de donner des pauses aux animaux, question de ne pas abuser. Et on ne chasse pas les femelles en saison de reproduction!» assure Derrick. Mais le Nord est comme ailleurs et selon le chasseur, qui déplore la situation, «à cause des changements dans nos sociétés, certains ne respectent pas les limites, abusent et gaspillent».
Utilisation maximale
La chasse, c’est du boulot: il faut s’exiler de la maison, connaître parfaitement son territoire, être patient, bien viser à l’aide des outils traditionnels ou plus modernes... Pourtant, selon Derrick, c’est une fois que l’animal est tué que le travail commence. Il faut alors enlever la chair, dépecer, couper en morceaux toutes les parties de l’animal, faire sécher ou congeler la viande et laver par deux fois les peaux qui serviront à l’artisanat. Selon Derrick, la préparation d’un phoque peut prendre une heure, celle d’un orignal un jour alors que celle d’un ours polaire peut nécessiter jusqu’à trois ou quatre jours de travail.
«Notre façon préférée de déguster la viande fraîche, explique le chasseur, c’est de la manger crue.» Le reste sera séché pendant quelques semaines ou congelé afin de pouvoir servir plus tard des morceaux encore gelés ou d’inclure la viande à la préparation de mets. S’il en reste après avoir nourri la famille, les chasseurs mettent la viande dans les réfrigérateurs communautaires, où ceux qui n’ont pas la chance d’avoir accès à la chasse peuvent se servir.
La peau des animaux servira de son côté à fabriquer des objets décoratifs, des pantalons, des bottes, des manteaux ou des mitaines chaudes. De nos jours, bien que les Inuits aient accès plus facilement à des vêtements commandés sur Internet, ils portent souvent encore les habits traditionnels. «En ce moment, 60 peaux de phoque attendent dans mon congélateur… Je devrai m’occuper de les envoyer pour la vente ou la fabrication de vêtements à mon retour», dit Derrick Pottle, comme pour se rappeler à lui-même les tâches à faire. Les os serviront à faire des sculptures ou des outils.
Des traditions à perpétuer
«Même si ce l’est parfois de moins en moins, il reste que ça fait partie de notre culture d’être connecté au territoire», croit Derrick, qui implique depuis toujours ses enfants quand il part chasser parce que «tout est à propos de la famille et du partage». «Mon fils a chassé son premier phoque à huit ans», ajoute-t-il fièrement.
Malgré tout, Derrick est bien conscient que les temps changent. «Les Inuits ont connu énormément de bouleversements en 50 ans. Nous étions nomades, il n’y a pas si longtemps... Certains sont nostalgiques de ce temps, mais je sais que nous sommes bien plus confortables maintenant: nous sommes reliés au monde extérieur, nous pouvons voir des médecins... » Reste que pour Derrick, il est primordial de conserver un mode de vie traditionnel et une connexion à la culture malgré le défi que cela représente. «C’est la même chose pour vous, j’imagine: perpétuez-vous les valeurs de vos grands-parents?» demande-t-il, conscient que les difficultés sont partout.
«Les Inuits sont faits pour être dehors, conclut le chasseur. Les peuples inuits de tout le Canada sont liés ensemble par cette connexion au territoire. Chasser, c’est ce que nous sommes.»
Merci à Adventure Canada, Intercontinental Toronto Centre et JAG Hôtel de Saint-Jean de Terre-Neuve d’avoir permis une telle aventure.
Si l’alimentation des communautés autochtones vous intéresse:
À la rencontre des femmes du Nord, par la nutritionniste Marie Béïque.