Le port de Sisimiut. Photo: Véronique Leduc.
1 septembre 2016Auteure : Véronique Leduc

Manger comme les Inuits

On voit ça dans les livres ou les documentaires en se disant que c’est du folklore, peut-être. Ces hommes inuits qui chassent et dépècent un animal à mains nues. Ces femmes qui dégustent la chair crue. Ces enfants qui s’amusent autour d’un ours polaire abattu. Et pourtant, non, au nord du 65e parallèle, encore aujourd’hui, la chasse et la pêche font partie de la réalité des communautés. Incursion à la table des Inuits.



Entre les jolies maisons colorées de la petite communauté de Sisimiut, au Groenland, Rolf, un beau grand blond aux yeux bleus, fait visiter sa ville natale aux croisiéristes en escale pour la journée. Ses parents, médecins, viennent du Danemark, mais ont choisi de vivre au Groenland pour ses grands espaces. S’il étudie désormais à Copenhague, Rolf revient chaque été à Sisimiut pour chasser, une des activités qu’il préfère faire avec ses amis ou sa famille. Sa prise préférée? «Le caribou, qui goûte le kangourou, mais en mieux!»

Rolf n’est pas le seul à chasser ou à pêcher à Sisimiut, deuxième plus importante communauté du Groenland, qui accueille un mélange d’Inuits et de Danois. «Ici, c’est ça l’occupation: chasser et pêcher», expose simplement le jeune guide. En témoignent le port empli de petits bateaux de pêcheurs et le marché de viande où, dans des bacs de plastique blanc, on trouve divers poissons frais ou séchés et de la viande de phoque.

Divers poissons frais ou séchés et viande de phoque au marché de Sisimiut. Photo: Véronique Leduc
Divers poissons frais ou séchés et viande de phoque au marché de Sisimiut. Photo: Véronique Leduc

Devant une tête de phoque encore entière, Aaju Peter, née dans une communauté inuite du nord du Groenland, explique que c’est le cerveau qui est la plus délicate et la plus nutritive partie de l’animal.

À la fin de la journée, de retour sur le bateau, elle fera d’ailleurs goûter avec enthousiasme ses achats aux voyageurs curieux. Truite, morue, baleine, narval et dauphin sont au menu. Puis, la fameuse tête de phoque, que la délicate Aaju fracasse de son ulu, un couteau utilisé uniquement par les femmes inuites. Elle offre des bouts de cerveau ou de foie à qui veut bien goûter et enlève à mains nues de la tête de l’animal les yeux qu’elle savoure sans plus attendre. «Nous sommes chanceux. La tête de phoque, c’est une gâterie parce que c’est assez cher. C’est ma nourriture préférée.» Même sans cette précision, on l’aurait deviné à la façon dont elle savoure la viande crue.

Aaju lors de la dégustation de phoque. Photo: Véronique Leduc.
Aaju lors de la dégustation de phoque. Photo: Véronique Leduc.

Une chasse nécessaire

Quelques jours plus tard, à Pond Inlet, une communauté du Canada aussi installée en bordure d’eau, au Nunavut, une visite à l’épicerie étonne tout le monde. Une boîte de Mini-Wheats à 16,99$, des Crispers à 7,99$, un sac de Ruffles à 9,99$, quatre épis de maïs pour 10,99$ et un sac de fromage râpé à 12,29$... Quand on sait qu’un citoyen d’origine inuite arrive à gagner en moyenne 19 900$ par année, on comprend vite pourquoi la chasse et la pêche continuent de prendre une telle importance sur ce territoire nordique.

Deux femmes préparent le thé à Pond-Inlet. Photo: Véronique Leduc.
Deux femmes préparent le thé à Pond-Inlet. Photo: Véronique Leduc.

«Quand une boîte de raviolis de chef Boyardee coûte 16$, il faut chasser et pêcher. Ici, le magasin n’est souvent pas une option», confirme Becky Kilabuk, originaire de la petite communauté de pêcheurs de Pangnirtung, au Nunavut.

Il faut savoir que tout ce qui se trouve dans les épiceries du Nunavut doit être transporté par avion. C’est pourquoi les fruits et légumes frais sont rares. Et c’est aussi la raison pour laquelle les aliments les plus lourds sont les plus chers. «Ici, un melon d’eau peut coûter 50$», raconte Becky. Ainsi, sur un territoire où le sol est trop aride pour accueillir une agriculture, l’accès à des fruits et légumes est excessivement limité. «J’ai grandi en entendant parler des quatre groupes alimentaires, mais il y a plusieurs fruits et légumes que je n’ai jamais vus ici», expose la jeune nunavimiute.

Comme l’accès à une nourriture de qualité à bon prix est difficile sur son territoire, ce sont les animaux chassés et pêchés qui représentent la solution, croit Becky. Et ici, aucun gaspillage n’est toléré. «Dans notre culture, quand un animal s’offre à nous, nous mangeons toutes les parties parce que c’est une richesse incroyable.»

Changer les mentalités

C’est parce que les communautés du nord ont besoin de cette source de nourriture que Becky se fait un devoir, lors de ses voyages à l’international où elle est souvent appelée à performer en tant que chanteuse de gorge, de parler de la chasse aux phoques. «Je fais part de notre réalité aux Européens par exemple, pour faire cesser ce lavage de cerveau qui dit que c’est mal de tuer un phoque, pour faire comprendre que pour notre survie, c’est important, et que ça fait partie de notre culture.»

Cimetière de Sisimiut. Photo: Véronique Leduc.
Cimetière de Sisimiut. Photo: Véronique Leduc.

À Sisimiut, au Groenland, on avait d’ailleurs pu prendre toute la mesure de cet attachement et de cette reconnaissance à l’animal devant le cimetière installé dans une côte. «Ici, il y a deux Dieux, avait dit Rolf, celui du ciel et celui de la mer. Quand ils meurent, les gens sont enterrés face au ciel, mais sur un terrain en pente qui tombe vers l’eau. Le paradis inuit, c’est de glisser dans la mer pour s’assurer une abondance de nourriture même dans la mort.»
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Pour ceux que le sujet intéresse, le film Vanishing Point, disponible sur le site de l’ONF, aborde le sujet de la chasse et de la pêche dans les communautés inuites.

Merci à Adventure Canada, au Westin Bristol Place Toronto Airport et au Courtyard by Marriott Ottawa East d’avoir permis une telle aventure.