J’aime tous les styles de voyage, et après?
À l’ère des réseaux sociaux et de la mise en scène de soi partout, tout le temps, les vacances ne sont plus cette douce parenthèse qui nous permettait de retrouver nos proches dans l’intimité, mais une énième occasion de prouver à quel point nos choix sont toujours les meilleurs.
Alors que dans certains cercles, il est de bon ton d’opter pour une destination tendance et un hôtel huppé, dans d’autres, mieux vaut en baver un maximum – mais dans un décor de rêve – pour maximiser ses chances de faire exploser le «likomètre». La validation d’autrui jusque dans les derniers replis de son «me time»? Je dis non. Juste non.
J’écris ces quelques lignes alors que je reviens d’Orlando, en Floride, où je me suis éclatée dans les manèges des parcs Disney. Depuis le début de l’année, j’ai dormi sous la tente dans des parcs tanzaniens, dans un hôtel luxueux et une auberge écolo à Zanzibar et logé chez l’habitant au Cambodge. J’ai rejoint Morphée dans un établissement cinq étoiles à Saint-Malo, suivi les traces des personnages du film Dirty Dancing en Virginie, traversé le Canada en train et sillonné différentes régions du Québec. Ce que j’ai préféré? Mais TOUT!
Fière touriste!
J’assume pleinement ma condition de touriste et le plaisir que je tire à visiter des attractions populaires (en basse saison, idéalement). J’aime le luxe, mais je m’adapte à des conditions plus rudimentaires quand rencontres et expériences sont au rendez-vous. Je trouve important de m’ouvrir à l’autre et d’expérimenter, mais je ne dis jamais non au calme d’un spa et à une belle bulle de solitude. J’essaie de rester consciente de l’impact de mes actions et de conserver un esprit critique, mais je refuse de sombrer dans un cynisme qui m’empêcherait d’apprécier certains plaisirs coupables.
En clair, j’aime tous les styles de voyage et il n’est pas question que je choisisse un clan. Pourquoi faudrait-il à tout prix suivre un seul chemin? Moi, je me perçois d’abord comme une exploratrice, que je voyage pieds nus ou avec des chaussures dernier cri.
Dis-moi c’est quoi ta «niche»
Aujourd’hui, tenir un blogue de voyage ne suffit plus: il faut déterminer «une niche» (existe-t-il un mot plus laid?). Pour se démarquer, on conseille aux nouveaux venus de cocher une case et de rester bien sagement dedans, histoire de plaire à de potentiels partenaires.
En créant Taxi-Brousse en 2008, j’avais envie d’un espace de liberté. D’un endroit où mon amour pour le choc des cultures pourrait s’exprimer et se décliner de mille et une manières, selon mes humeurs du moment. Même si le nom de mon blogue fait référence à un moyen de transport ouest-africain plutôt bric-à-brac, je ne me suis jamais empêchée de fréquenter certains endroits plus bourgeois quand j’en avais envie.
Une semaine en formule «tout compris» dans les Caraïbes alors que je rêve d’un tourisme plus éthique, où chacun aurait sa juste part du gâteau? Je fais le maximum pour garder les yeux grands ouverts, m’informer et trouver des solutions de rechange pour que mon passage puisse avoir un impact positif sur les populations locales, mais parfois, j’ai moi aussi seulement besoin de repos dans un cocon aseptisé et d’arrêter de me poser des questions. Oui, je suis parfaitement consciente qu’il y a parfois un décalage entre mes idéaux et mes actions.
La hiérarchisation des destinations
Vous l’avez sans doute remarqué, l’annonce de votre départ imminent pour un lieu dit «tendance» provoque immédiatement des réactions enthousiastes, alors qu’un voyage dans une contrée sans hashtag officiel laisse de glace. Un récent reportage publié dans L’Obs parle carrément de hiérarchisation de destinations. «Pourquoi partir en Birmanie plutôt qu’en Chine ou en Argentine? s’interroge Jocelyn Lachance, socioanthropologue de l’adolescence. Il y a derrière des notions de prestige, car il y a des hiérarchisations de destinations: si vous dites que vous êtes allés en Birmanie, votre interlocuteur ne va pas réagir de la même manière que si vous êtes allés en Thaïlande. Pareil si vous avez voyagé au Congo ou en Iran.»
À l’inverse, j’avoue prendre un malin plaisir à observer les réactions quand j’annonce que ma prochaine escapade m’emmènera dans un lieu qui n’a pas la cote. Mais comme tout ce qui n’est pas à la mode le devient instantanément dès qu’on réalise à quel point il ne l’est pas (appelons cela de «l’anti-hipsterisme» ou «l’englamourisation par l’absence de hype»), soudainement, il arrive que le simple «Ah!» attendu se transforme en «Oh! Il paraît que c’est LA nouvelle destination, non?». Après tout, rien n’est plus cool que ce qui ne l’a jamais été.
Je revendique haut et fort mon amour des villages africains ET de la magie de Disney, des galères improvisées ET des séjours douillets, mes besoins de m’amuser ET d’en prendre plein la gueule dans des lieux où je ne maîtrise pas les codes culturels. Je vis plutôt bien autant avec ma personnalité «tout en contrastes» (comme une bonne vieille brochure touristique), mon désir de voyager de manière plus responsable qu’avec mes failles (quelqu’un a parlé de pâtisseries hors de prix?).
Pour moi, le voyage, c’est d’abord la liberté, qu’il y ait ou non des «likes» à la clé.