La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Trop de touristes?

L’histoire du tourisme est fascinante. Longtemps réservé à une certaine élite, le voyage est aujourd’hui accessible à une bonne partie de la population. En Europe et aux États-Unis, les vols «low cost» ont démocratisé le voyage en avion. Les multiples plateformes de location d’appartement ont permis à de nombreux voyageurs de voir du pays en consacrant un plus petit budget à l’hébergement. Le hic? On a parfois l’impression que le flux de touristes converge vers les mêmes destinations.



Quiconque est allé à Venise ou Barcelone ces dernières années l’a constaté: en haute saison, s’y balader peut rapidement se transformer en cauchemar. Je me souviens notamment d’une visite du Barri Gòtic où je devais éviter des groupes de touristes à vélo et en Segway. Ce jour-là, j’ai demandé à mon guide de traduire une affiche aperçue sur un balcon. Je ne me souviens plus des mots exacts, mais c’était quelque chose comme: «Allez vous-en, touristes!» Le ras-le-bol des résidents était perceptible. Le bruit des valises roulant sur le pavé constituant la bande sonore de leurs jours comme de leurs nuits, on peut les comprendre.

Photo: Wikipedia
Photo: Wikipedia

Quelques années plus tard, la situation ne s’est pas améliorée, si je me fie à ce reportage de l’AFP entre autres publié dans Courrier international, La Croix et La Presse+. L’article rapporte les propos d’un homme ayant vécu dans le quartier gothique de Barcelone pendant 25 ans. Après que l’appartement qu’il louait 500 euros par mois eut été vendu, il a cherché où se reloger, mais n’a rien trouvé à moins de 1500 euros. Résultat: il a dû se résoudre à chercher ailleurs. «Ici, c’était mon village. J’y avais tout: mes amis, mes commerces. Je m’y suis marié, mes enfants y sont nés et je pensais que j’y mourrais.»

Plusieurs villes européennes envahies par les touristes

L’AFP rapporte qu’on ne dénombrait plus que 15 624 habitants dans ce quartier en 2015, contre 27 470 en 2006. Embourgeoisement? Plutôt un centre-ville qui se vide de ses habitants pour se remplir de touristes. Selon Socorro Pérez, docteur en géographie humaine à Barcelone, dont les propos sont rapportés dans le reportage de l’AFP, «cela débouche sur des villes sans habitants, des quartiers morts. Les villes se transforment en clusters de divertissement et de consommation, en fast-foods touristiques».

Photo: Pixabay Montmartre sous influence touristique
Photo: Pixabay Montmartre sous influence touristique

Le même phénomène se produit également dans d’autres villes européennes, comme Madrid, Londres, Paris et Lisbonne. Le voyageur qui cherche à se fondre dans le quotidien des habitants peut-il encore vraiment vivre une expérience authentique dans ces conditions? On peut en douter.

L’extrême popularité des plateformes comme Airbnb et Homeaway est bien sûr pointée du doigt. En 2016, Barcelone a imposé une amende de 600 000 euros à ces deux gros joueurs de l’industrie de la location d’apparts, «en les accusant de louer des appartements sans la licence touristique exigée par la ville», rapporte Courrier international.

Le cas de Venise

Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), 1,8 milliard de personnes voyageront en 2030, près de trois fois plus qu’en 2000, a rapporté La Presse le 20 juin dernier. On prévoit que 30 millions de touristes déferleront cette année à Venise, ville déjà menacée par de nombreux problèmes. L’arrivée massive des touristes asiatiques fait croire à l’UNESCO que ce nombre doublera d’ici 2030.

Photo: Wikimedia Commons
Photo: Wikimedia Commons

Là aussi, les résidents en ont ras le bol. Des manifestations sont régulièrement organisées. La Presse rapporte que la population est passée de 100 000 habitants dans les années 1970 à 55 400 aujourd’hui. Un logement sur quatre est loué aux touristes, affirme Linda Bendali dans son documentaire Venise, récit d’un naufrage annoncé. De nombreux reportages ont été consacrés à l’exode de ses habitants au cours des derniers mois, notamment dans Le Figaro et L’Obs.

«Les Vénitiens ne sont pas contre les touristes, a confié un quadragénaire au Figaro. Il est juste que les touristes puissent visiter Venise, mais il est aussi juste que les Vénitiens puissent y vivre. Le défi est de réussir à concilier ces deux mondes.»

Que faire?

«Il y a cependant de l’espoir, a pour sa part écrit le journaliste et chroniqueur voyage Gary Lawrence dans Le Devoir en septembre 2016: aux Cinque Terre, en Italie, on compte limiter à 1,5 million le nombre de visiteurs (présentement de 2,5 millions); à Barcelone, on songe à ne plus délivrer de permis de construction pour de nouveaux hôtels; et en Islande, où le nombre de touristes a bondi de 264% en cinq ans, on veut adopter une nouvelle réglementation pour limiter la spéculation immobilière et l’évasion fiscale reliées au partage de résidences.»

Outre le fait que les habitants sont moins enthousiastes face à l’arrivée massive des touristes, la situation peut aussi teinter les vacances des touristes. Devoir constamment jouer du coude pour se frayer un chemin n’est pas exactement la définition de vacances reposantes.

Photo: Wikimedia Commons
Photo: Wikimedia Commons

Ainsi, chaque fois que je repense à ma visite de Dubrovnik en plein mois d’août, j’ai du mal à me rappeler autre chose que la cohue. Tellement dommage pour une cité à l’histoire aussi captivante! À Santorin, visitée en octobre, je me souviens d’avoir trouvé la très instagramable localité d’Oia trop achalandée. Je n’ose même pas imaginer si j’y étais allée en août!

Je comprends qu’il soit impossible pour certains de choisir des dates de vacances hors des périodes de pointe, mais de grâce, quand vous pouvez, faites-le! Vous apprécierez bien davantage votre voyage, et vos voisins temporaires vous en seront reconnaissants.