Les jours heureux, un film sur le long chemin qui mène au bonheur d’être soi
Yannick Nézet-Séguin, Rafael Payare, Kent Nagano, pour ne mentionner qu’eux, de plus en plus, la musique classique est dirigée par des superstars. Pas étonnant de voir le septième art s’intéresser à la direction d’orchestre, un thème extrêmement riche, et surtout très visuel.
Récemment, au cinéma, il y a eu Tar, avec Cate Blanchett, Divertimento, de Marie-Castille Mention-Schaar, Maestro(s), avec Pierre Arditi et Yvan Attal. Cette semaine, c’est au tour de la réalisatrice québécoise Chloé Robichaud de nous proposer sa vision du podium. Dans son splendide film Les jours heureux, c’est une aspirante-chef, Emma, qui tient la baguette.
Cette Emma vit un moment charnière de son existence. La musicienne, extrêmement douée, se voit offrir une résidence dans un grand orchestre, une occasion en or de lancer en orbite la carrière de chef dont elle rêve depuis toujours. Maîtriser un répertoire est une chose, mais maîtriser sa vie en est une autre, surtout quand on est dans la jeune vingtaine et qu’on vit sous le joug d’un père-gérant manipulateur.
Rien pour nourrir son besoin de sérénité, Emma est par ailleurs follement éprise de Naëlle, qui est à la fois violoncelliste de l’orchestre, fraîchement séparée, mère d’un bambin, et pas prête à avouer à sa famille arabe qu’elle aime une femme.
Ce scénario multicouche est habilement construit. Les histoires s’imbriquent les unes dans les autres avec fluidité grâce à des dialogues bien écrits et extrêmement naturels. Et quel bonheur d’explorer le monde de la musique classique, un univers mystérieux qui a ses intrigues, ses codes et sa faune si particulière!
Comparativement à Sarah préfère la course, son très cérébral premier long métrage sorti en 2013, ce nouveau film de Chloé Robichaud joue sur la gamme des émotions que la musique, très présente durant les deux heures de la projection, exacerbe allègrement.
Car en plus d’Emma, de son père Patrick et de son amoureuse Naëlle, il y a un personnage omniprésent à l’écran, du début à la fin, j’ai nommé l’orchestre. La contribution de l’Orchestre Métropolitain (OM) et de son directeur artistique Yannick Nézet-Séguin à ce projet est remarquable. Elle confère un sceau de qualité à cette production qui sera, à n’en point douter, reconnue partout où le film se promènera dans le monde.
Conseiller musical de la production, Yannick Nézet-Séguin y a mis toute sa fougue et sa crédibilité. Il a guidé Sophie Desmarais pour qu’on croie parfaitement à sa direction d’orchestre à l’écran. Il a suggéré les pièces au programme, de Mozart à Mahler en passant par Schoenberg. Et il a dirigé lui-même ses musiciens de l’OM pour obtenir le meilleur d’eux dans les séquences du film qui se passent en répétition à la salle Pierre-Mercure et en concert à la Maison symphonique.
La caméra d’Ariel Méthot est comme une extension de la baguette du chef. Les images virevoltent sur la musique, mais réussissent aussi à scruter la moindre émotion du personnage principal. Au son, Sylvain Bellemare, Stephen de Oliveira et Luc Boudrias font sonner l’orchestre comme une tonne de briques, alors que le montage de Yvann Thibaudeau agglomère le tout à l’écran pour le ravissement de nos yeux et de nos oreilles.
Quel plaisir de voir en gros plan et d’entendre à plein volume ces musiciens de l’OM qu’on aime tant! Comme toujours, ils jouent avec émotion, intensité, et maestria. Au prochain Gala Québec Cinéma, il faudrait créer une nouvelle catégorie: l’Iris du meilleur orchestre!
La distribution n’est pas en reste. Emma est incarnée par une Sophie Desmarais totalement investie dans son personnage. Sa manière d’exprimer les émotions sans dire un mot fascine, tout autant que sa façon de bouger sur le podium.
Sylvain Marcel tient là un de ses plus beaux rôles en carrière, toujours sur la fine ligne qu’empruntent les pervers narcissiques pour arriver à leurs fins. Même nous, comme spectateur, on se fait embobiner.
Nour Belkhiria, dans le rôle de Naëlle, est une belle découverte.
Tel un chef d’orchestre, Chloé Robichaud tire le meilleur de chacun, y compris les seconds rôles, tenus par de gros noms: Yves Jacques, Maude Guérin et Vincent Leclerc. Jusqu’au petit Rayan Benmoussa, sept ans, qui joue juste.
On a l’impression que la direction d’acteurs de Chloé Robichaud a gagné en finesse depuis que la réalisatrice est devenue maman. J’ose en parler parce qu’elle dédie son film à ses enfants, des jumeaux qu’elle a eus avec sa conjointe Katherine Levac, qui incidemment fait partie de la distribution.
«Le fait d’être devenue mère à peine quelques mois avant le tournage m’a peut-être emmenée à vouloir être plus vraie avec moi-même et vraie comme cinéaste. J’avais envie d’ouvrir. Les jours heureux, c’est mon film le plus généreux.»
Cette citation, tirée du dossier de presse, aide à comprendre pourquoi ce film sur la grande douleur qu’il peut y avoir à s’affranchir s’intitule Les jours heureux. Même si le chemin pour y arriver peut être long, il y a en fin de compte du bonheur à être soi.
Le vieil âge en trois temps, selon Fernand Dansereau
Le saviez-vous? Rien n’arrête le réalisateur Fernand Dansereau. À 95 ans, il s’amuse, comme il dit, à peindre dans la gratuité de son vieil âge.
Du 19 octobre au 11 novembre, la galerie Valence art expo du 2456, rue Beaubien, à Montréal, présente son travail pictural dans une exposition intitulée Ma quête en couleur.
Au même moment, à quelques portes de là, le Cinéma Beaubien en profite pour présenter ses trois documentaires sur le vieil âge: Le vieil âge et le rire (le 26 octobre), L’érotisme et le vieil âge (le 2 novembre), et Le vieil âge et l’espérance (le 9 novembre). Les projections auront lieu à 14 h en présence de Fernand Dansereau, une démonstration supplémentaire de sa conviction que «vieillir n’est pas s’arrêter, mais demeurer engagé par le désir de contribuer».