La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

2021 commence sur une bonne note: Rafael Payare nommé chef de l’OSM

L’Orchestre symphonique de Montréal a un nouveau directeur musical. À 40 ans, le Vénézuélien Rafael Payare est choisi pour succéder à Kent Nagano. On pourra faire connaissance avec lui dès dimanche alors qu’il dirigera son nouvel orchestre dans un concert présenté en direct et gratuitement sur le web.



Rafael Payare a dirigé deux fois l’OSM, en 2018 et 2019, et à chaque occasion on a parlé de coup de foudre entre lui et les musiciens. En 2018 dans le journal Le Devoir, le critique Christophe Huss décrivait ainsi ses débuts à Montréal: « tout cela avait de la tenue, du nerf, des tripes et de l’âme. Bref, ce qu'on est en train de chercher dans le processus d'embauche du nouveau chef.»

Deux ans plus tard, la décision du comité de sélection de faire de Rafael Payare le nouveau directeur musical en titre de l’OSM pour une période de 5 ans à partir de la saison 2022-2023 a été prise à l’unanimité des 11 membres. Le communiqué annonçant son arrivée précise qu’il agira comme directeur musical désigné dès le 1er septembre prochain.

Né le 23 février 1980 à Puerto La Cruz, Rafael Payare a une formation de corniste. En 2012, il remporte le premier prix du prestigieux Concours international Malko pour jeunes chefs d’orchestre. En 2019, il devient directeur musical du San Diego Symphony. Comme son prédécesseur, Rafael Payare est marié à une musicienne (la violoncelliste américaine Alisa Weilerstein) et a une fille (de 4 ans). Comme Nagano, il a aussi une chevelure qui ne passe pas inaperçue. Sa dégaine cool et son sourire à la Julien Clerc devraient plaire aux Montréalais. Le seul hic: son français est encore plus limité que celui de Nagano à son arrivée à Montréal.

Le concert qu’il dirigera dimanche à la Maison symphonique était déjà prévu. Au programme: Le carnaval romain de Berlioz et la Symphonie no1 en do mineur, op. 68 de Brahms. La webdiffusion gratuite commence à 14h30 sur le site de l’OSM et sur medici.tv.

VU: 14 jours 12 nuits, un film de Jean-Philippe Duval

Combien d’œuvres n’auront pas rencontré leur public durant la pandémie? Un jour, on en fera peut-être le décompte. Pour le moment, permettez-moi de jouer les entremetteurs en vous proposant le film 14 jours 12 nuits de Jean-Philippe Duval. Pour mémoire, ce film est sorti le 6 mars, pas de chance, une semaine avant le premier grand confinement.

C’est un film magnifique qui mérite d’être vu. L’annonce, à la mi-décembre, que 14 jours 12 nuits devenait le concurrent canadien dans la course à l’Oscar du meilleur film international devrait encore plus vous en convaincre.

L’histoire tourne autour d’Isabelle (Anne Dorval), qui se rend pour une deuxième fois au Vietnam, le pays où elle est allée chercher sa fille adoptive aux débuts des années 1990. Contrairement au premier voyage, qui l’a faite mère, ce second séjour prend des allures de pèlerinage.

Photo: Laurent Guérin

 

Il y a dans ses bagages une urne contenant les cendres de sa Clara, morte dans un accident. Son désir, aussi flou qu’il demande du courage: partager son deuil avec celle qui a mis au monde cette enfant. Il faut d’abord trouver Thuy Nguyen (Leanna Chea), cette mère biologique aujourd’hui guide touristique, gagner sa confiance, et oser lui faire l’aveu cruel de la mort de leur enfant commune.

Photo: Laurent Guérin

Le scénario de Marie Vien est magnifiquement construit. Rien n’est précipité, tout est amené avec délicatesse, avec des allers-retours dans le temps qui nous permettent de comprendre pourquoi Thuy Nguyen a dû abandonner son bébé, tout comme les circonstances de son décès sur les rives du fleuve Saint-Laurent.

Plusieurs scènes se passent en vietnamien, mais Thuy Nguyen, qui a des liens avec la culture française, parle parfaitement la langue de Molière. On croit alors parfaitement à la rencontre de ces deux femmes qui ont sensiblement le même âge. Une rencontre faite dans un premier temps de curiosité l’une pour l’autre, ensuite de malaises parce que la vérité n’arrive pas à s’exprimer, et finalement de colère, de tristesse profonde et d’espoir de pardon.

Photo: Laurent Guérin

Anne Dorval et Leanna Chea sont poignantes dans ce face-à-face aux multiples teintes. Ayant à son compte la réalisation du film Dédé à travers les brumes et de la série Unité 9, Jean-Philippe Duval prouve encore une fois sa grande sensibilité pour tout ce qui est humain.

Aussi, alors que nous sommes privés de voyages, son film est une occasion formidable de s’évader. Le Vietnam, magnifiquement représenté à l’écran, est en soi un personnage, enveloppant et mystérieux.

J’espère de tout mon cœur que 14 nuits 12 jours sera retenu pour la course aux Oscars, car voilà un film québécois qui a le calibre pour se mesurer aux meilleures productions du monde. On saura le 9 février s’il est retenu dans la première liste de dix films qui sera réduite à cinq le 15 mars. Encourageons nos représentants en regardant 14 nuits 12 jours en grand nombre. Le film est disponible sur plusieurs plateformes dont YouTube, Crave, Super Écran, et Bell.

ÉCOUTÉ: Pourquoi Marie?, un balado de Stéphane Leclair

J’ai profité du temps des Fêtes pour découvrir un nouveau mode de communication que je n’avais pas encore expérimenté: le balado! Le balado, c’est une série d’épisodes préenregistrés sur un thème précis, en format audio. De la radio pas en direct.

Parce que le contenu est important et concentré, c’est donc les deux pieds sur le pouf, le regard vers la fenêtre, que j’ai écouté les 147 minutes de Pourquoi Marie? Ce balado est une quête, celle du chroniqueur culturel Stéphane Leclair, qui veut comprendre pourquoi la chanteuse Marie Carmen a décidé, en 2000, de troquer les feux de la rampe pour l’ombre, de renoncer à la gloire pour œuvrer dans l’humanitaire.

Dès le départ, Stéphane Leclair met cartes sur table et avoue être un fan fini de la chanteuse. On sent en effet l’immense plaisir qu’il a à ressasser ses propres souvenirs d’enfant en lien avec Marie Carmen, à refaire l’histoire de cette artiste qui a marqué les décennies 1980 et 1990, à interroger les gens qui l’ont côtoyée professionnellement (son pianiste, Danny Jobidon, sa choriste, Agnès Sohier), d’autres, qui ont couvert sa carrière (l’animatrice Sonia Benezra, la journaliste Marie-Christine Blais), à démontrer qu’elle a été une inspiration (Lara Fabian, Stéphanie Boulay), et à donner la parole au clan qui partage son retour à la scène dans le spectacle Pour une histoire d’un soir (Marie-Denise Pelletier, Joe Bocan, Michel Poirier, metteur en scène, Martin Leclerc, producteur).

Stéphane Leclair a beau être groupie, il a aussi des années de journalisme dans le corps. Cela veut dire qu’il sait étoffer son propos pour sortir de l’anecdote. Avec Marie-France Bazzo, il s’assure d’ajouter une perspective sociologique au portrait qu’il fait de Marie Carmen. Parce que la gloire a été lourde à porter pour elle, il aborde le poids de la réussite avec le psychologue sportif Bruno Ouellette. Avec Sandria P.Bouliane, professeure au département de musicologie de l’Université Laval, et la rappeuse Jenny Salgado, il évoque l’impact que la chanteuse a eu comme auteure de ses propres chansons.

Évidemment, ce que Stéphane Leclair souhaitait par-dessus tout, c’est un entretien avec son idole. Ce n’était pas donné d’avance. Depuis dix ans, Marie Aubut (véritable nom de Marie Carmen) refuse toutes les demandes d’entrevues qui lui sont faites. Devant la lettre de cinq pages, manuscrites, ornées de fleurs dessinées avec des crayons Prismacolor, aux propos candides et transis, elle a cédé.

On comprend que si Stéphane Leclair avait opté pour une approche plus journalistique, elle n’aurait jamais accepté de se prêter à cet exercice. J’avoue que ce côté-là me désespère un peu. Il me semble de plus en plus difficile de pratiquer le journalisme culturel avec distance. C’est ainsi! Il y a donc eu entrevue, et il faut être patient pour l’entendre. Les premiers extraits de cette rencontre de trois heures n’arrivent que dans le troisième des quatre épisodes.

Avec la franchise et la transparence qui ont toujours été sa marque de commerce, Marie Carmen explique pourquoi elle a quitté le devant de la scène, ce qu’elle a fait comme travail humanitaire au Pérou, comment cette expérience l’a changée, et finalement, comment elle explique son retour.

Comme auditeur, on en est quitte pour une bonne dose d’authenticité et un formidable exemple de foi en la vie. À 60 ans, Marie Carmen chante de nouveau!

À propos du projet de spectacle Pour une histoire d’un soir avec Marie-Denise Pelletier et Joe Bocan, elle dit: «Toutes les trois on a connu des heures de gloire effrayantes, et aussi des périodes plus creuses, des moments sombres dans nos vies personnelles. Aujourd’hui, nous sommes au début de la soixantaine, belles, assumées, fortes, en santé mentale, physique, vocale. On est victorieuses! Rien à voir avec l’ego, on est victorieuse de notre parcours. Ce spectacle est la rencontre de trois victoires.»

Si la pandémie peut finir, que ce spectacle revienne à la scène, et qu’on réentende Entre l’ombre et la lumière, Miel et venin, Faut pas que j’panique, T’oublier, J’ai le blues de vous, ces succès toujours bien présents dans nos mémoires! En attendant, ce balado nous permet de renouer avec une Marie Carmen qu’on n’avait pas oubliée, mais dont on avait peut-être sous-estimé l’impact.

Le balado Pourquoi Marie? peut être écouté gratuitement sur la plateforme QUB.Radio

LU: Victoire, un roman de Michel Tremblay chez Leméac Éditeur

À défaut de voir ma famille durant la période des Fêtes, j’ai visité celle de Michel Tremblay, plus précisément Victoire, personnage récurrent de son œuvre, inspiré de son aïeule.

Je dois dire que Victoire, le plus récent roman de Michel Tremblay, m’a plongé avec bonheur dans le pays de mes propres ancêtres maternels. L’action se passe dans la Petite-Nation, extrémité ouest des Laurentides où on retrouve les villages de Chénéville, Saint-Sixte, Ripon, Papineauville, Montebello, et Duhamel, où se trouve la fameuse Maison suspendue qui a vu naître Victoire et son frère Josaphat. La description qui est faite de cette région à la nature belle et sauvage, méconnue des Québécois, est un des grands plaisirs de cette lecture.

Si on suit l’auteur des Belles-Sœurs depuis longtemps, on connait Victoire comme une femme aigrie au cœur sec, mais on n’a jamais vraiment su d’où vient sa rage. On connait aussi Josaphat, pauvre hère qui n’a de cesse de traîner sa mélancolie et son violon. Mais d’où vient sa peine? Eh bien, c’est sur ces mystères que ce nouveau livre lève un peu le voile!

Nous sommes en 1898 (Tremblay n’est jamais remonté si loin dans le temps), Victoire revient au bercail après sept années passées au couvent. Plus rien n’est comme avant. À part son frère devenu un homme, la maison familiale est désormais déserte, leurs parents ayant péri atrocement dans l’incendie de l’église du village. En plus d’être orpheline de ses père et mère, Victoire ne peut plus compter sur le Bon Dieu. Comment lui pardonner d’imposer de telles épreuves à ses fidèles? Le fait d’avoir refusé d’entrer dans les ordres met Victoire encore plus en rupture avec cette société qui baigne dans l’eau bénite.

La seule âme qui trouve grâce à ses yeux, c’est de celle de son frère. Josaphat est son socle. Elle se sent protégée à ses côtés. Il est beau. Il joue du violon comme un Dieu. Est-ce de l’amour qu’elle ressent pour lui? Est-ce permis qu’une sœur et un frère s’aiment? Et Josaphat, qui a les mêmes sentiments, mais n’arrive pas à les exprimer autrement qu’avec son archet, créant de fausses pistes...

Michel Tremblay nous décrit ce malstrom du cœur sur fond d’interdit religieux avec doigté, délicatesse, et une grande empathie pour ses personnages. Il leur offre même la plus belle des pleines lunes. On lui en sait gré, puisqu’on connait les malheurs que Victoire et Josaphat endureront le reste de leur vie.