La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Le Je me souviens lumineux de Marc Laurendeau

Je ne connais pas grand Québécois qui honorent autant la devise du Québec que Marc Laurendeau. Cet homme, qui scrute nos réussites comme nos travers depuis la profondeur de la Grande Noirceur jusqu’à notre ère drapée de wokisme, n’a pas seulement la plus vive des mémoires, il s’ingénie depuis toujours à s’en servir pour faire des liens, expliquer, et nous faire voir lucidement le monde dans lequel on vit. L’autobiographie Marc Laurendeau: du rire cynique au regard journalistique, qui paraît cette semaine aux Éditions La Presse, est une invitation à se souvenir avec intelligence, déférence et humour de toutes ces années durant lesquelles il n’a jamais cessé de nous accompagner.



En effet, il n’y a pas une génération toujours vivante au Québec qui peut plaider ne pas le connaître. Il a été un Cynique, ce groupe d’humoristes qui a marqué le début des années 1960, un éminent journaliste de la presse écrite (Montréal-Matin, La Presse), électronique (CKAC, TVA, Télé-Québec, 23 ans de revue de presse le matin à la radio de Radio-Canada), un documentariste dont les films ont été diffusés en heure de grande écoute (Parti québécois, Jean Drapeau, Pierre Nadeau), un concepteur de balados (la crise d’Octobre, le 11-Septembre), professeur à l’Université de Montréal depuis 1995. Encore tout récemment, lors du décès de la reine Élisabeth II, il nous a tous éblouis par sa connaissance fine de la monarchie britannique, tenant l’antenne pendant des heures aux côtés de Céline Galipeau, sans baisse de régime, malgré son âge vénérable.

Les Cyniques, groupe d’humoristes qui a marqué le début des années 1960. Photo: Les Éditions La Presse / Collection personnelle

Marc Laurendeau a l’étoffe d’un marathonien. Son intelligence vive et son élégance verbale sont l’équivalent des jambes et du cardio du coureur. Faites pour faire beaucoup de millage sans coup férir.

Quel plaisir de se faire raconter autant d’épisodes marquants de l’Histoire par cet analyste formé chez les Jésuites! Mentionnons que Pierre Huet a eu aussi les mains sur le gouvernail de cette aventure littéraire. Plus jeune que Laurendeau, mais aussi formé chez les Jésuites et issu du monde de l’humour, Huet a certainement contribué dans ce duo à en rajouter une couche en matière de détails et de moqueries.

Marc Laurendeau, éminent journaliste. Photo: Les Éditions La Presse / Collection personnelle

On n’est jamais en rade. Avec un style charmeur, didactique, et narquois, voilà un équipage qui nous fait naviguer à travers les époques avec fluidité. Vous avez oublié, ou jamais su, que des femmes ont fait partie des Cyniques (Paule Beaugrand-Champagne, Mireille Dansereau), qui était Pacifique Plante, à quoi correspondaient les différentes étapes du cours classique, comment les ravisseurs de Pierre Laporte et James Cross ont réellement vécu la crise d’Octobre, ce qui s’est passé de dramatique en août 1991 en URSS? Tout est expliqué en prenant soin de préciser chaque détail nécessaire à la compréhension. Et ce n’est jamais lourd, et surtout pas un prétexte pour Marc Laurendeau de se mettre en valeur.

Rarement voit-on une autobiographie donner autant de place aux personnages qui ont gravité autour du sujet principal. On reconnaît l’humilité de Marc Laurendeau. Au fil des 340 pages du livre, on a droit à des portraits de personnalités qui l’ont impressionné: Amulette Garneau (sa sœur), René Lévesque, Pierre Nadeau, Jean Drapeau, le caricaturiste Normand Hudon.

Au fil des 340 pages du livre, on a droit à des portraits de personnalités qui l’ont impressionné, dont René Lévesque. Photo: Les Éditions La Presse / Collection personnelle

On reconnaît aussi son sens de la collégialité lorsqu’il nous entretient avec un attachement évident de ses trois compagnons: Marcel St-Germain, le proverbial chanteur du groupe, André Dubois, le surprenant compositeur musical et imitateur, et l’ineffable Serge Grenier. Ce dernier est le seul du quatuor qui n’a pas fait son droit, amenant une tonalité différente dans l’humour du groupe. Cela nous a valu, entre autres, des personnages moins connus, mais qu’on n’a jamais oubliés, notamment Rita Robitaille, Chiquita Tétreault et Guy Guay (souvenez-vous du célèbre: «t’as fait caca Guy Guay?»).

Marcel St-Germain, le proverbial chanteur du groupe les Cyniques. Photo: Les Éditions La Presse / Collection personnelle

Évidemment, Anne-Marie Dussault, sa conjointe depuis plus de 40 ans, traverse le livre parce qu’elle a été à la fois sa recherchiste, sa coanimatrice, sa conseillère, son ancre, et surtout la mère de leur fils, Maxime, médecin-psychiatre, qu’ils ont toujours gardé à l’abri de leur notoriété malgré qu’il soit leur plus grande fierté.

Avec Anne-Marie Dussault, sa conjointe depuis plus de 40 ans. Photo: Les Éditions La Presse / Collection personnelle

Laurendeau explique très bien la différence qu’il y a à être l’époux de l’animatrice de 24/60 dans les années 2000 et le chum de Danielle Ouimet dans les années 1970. Alors qu’il était au sommet de la gloire des Cyniques et que cette précédente blonde brillait nue dans Valérie et L’initiation, il était impossible pour ce couple porte-étendard de la transgression d’échapper aux échotiers des journaux à potins.

Depuis la dissolution des Cyniques, sa discrétion est en effet exemplaire. Il a fait pratiquement un dogme de la séparation de la vie privée et de la vie publique en s’effaçant le plus possible derrière les sujets dont il traite. Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse, et de faire fi de son enseignement, pour me vanter ici d’avoir côtoyé ce monument.

En effet, ces dernières années j’ai fait partie de l’Académie Grévin, dont il était le président. Ce regroupement de personnalités des médias avait le mandat de suggérer les nouveaux venus que l’antenne montréalaise du Musée Grévin devrait intégrer à sa galerie de personnages exposés au dernier étage du Centre Eaton. J’ai eu le privilège de partager d’excellents repas à ses côtés, à discuter du meilleur choix à faire, et aussi à siffler quelques flûtes de champagne en sa compagnie les soirs d’inauguration des nouvelles statues de cire. Ces événements comptaient toujours un moment pour les photos officielles. J’ai donc une belle collection de portraits avec lui. Pendant ce temps, ma blonde devenait la gardienne du précieux sac à main de Monsieur Laurendeau, une affaire extrêmement lourde, rien de féminin, qu’il porte constamment au bout de son bras. Comme une enclume! Je me suis toujours amusé à imaginer que cette «sacoche» contenait le disque dur de sa mémoire et le dictionnaire contenant tous les beaux mots dont il émaille son discours fleuri. Fin de la parenthèse.

Lors de l'inauguration de la statue de cire de Justin Trudeau au Musée Grévin. Photo: Gracieuseté Claude Deschênes

Cette autobiographie est aussi l’occasion pour l’auteur d’évoquer ses nombreux voyages. Encore là, pas pour se glorifier d’être un globe-trotter, mais pour nous renseigner sur les particularités des pays qu’il a visités. Ses évocations du Liban d’avant la guerre civile, de la Syrie, de la Turquie font rêver d’une époque où le monde offrait tant de différences culturelles, et plus de paix aussi.

Cette autobiographie est aussi l’occasion pour l’auteur d’évoquer ses nombreux voyages. Photo: Les Éditions La Presse / Collection personnelle

On sent par contre dans le discours de Marc Laurendeau sur la Russie une amère déception. Le journaliste, qui a vu, sur place, ce pays s’approcher d’une grande ouverture sur le monde sous la gouverne de Gorbatchev, perd son habituelle réserve lorsqu’il parle de Vladimir Poutine. Il ne lui pardonne pas sa manière de tordre la réalité et de compromettre l’avenir de ce grand peuple de l’Histoire.

En tout cas, on sent que toutes ces dérives autocratiques dont nous sommes présentement témoins, de Trump à Poutine en passant par Xi Jinping, sont autant de raison pour Marc Laurendeau de continuer à enseigner, faire des analyses, des documentaires.

Tant mieux pour nous, nous n’aurons jamais trop de ses lumières. D’ailleurs, si je n’avais qu’un mot pour qualifier ce livre qu’il nous offre à 83 ans, ce serait «lumineux». Comme quoi, avec l’éducation, l’intelligence, la persévérance, le travail, et pourquoi pas de l’humour bien dosé, on peut triompher de tout, y compris de la Grande Noirceur.

Transfiguration: quand la harpe de Valérie Milot rencontre le violoncelle de Stéphane Tétreault

Il y a des gens comme ça auxquels on revient souvent parce qu’ils font toujours des choses remarquables. Je vous ai déjà parlé de Valérie Milot, dont le talent lui a valu d’être encouragée par un mécène qui lui a offert l’instrument de ses rêves, une harpe Apollonia. Même chose pour le violoncelliste Stéphane Tétreault, à qui on a un jour confié un Stradivarius. Cela ne s’invente pas, vers 2012, les deux artistes virtuoses se sont mutuellement choisis pour travailler ensemble.

Ceux qui se disent les meilleurs amis du monde ont donc joué ensemble régulièrement, en duo, en trio, avec orchestre, dans des programmes de musique classique. Un jour, ils se sont dit, pourquoi ne pas s’inventer un concert à notre image, qui nous permettrait de rejoindre la marge, la fougue, l’audace qui nous habitent?

Pendant la pandémie, le duo Milot-Tétreault a profité du fait que leurs carrières respectives étaient à l’arrêt pour imaginer ce fameux concept qui bousculerait la tradition. Avec un titre à l’avenant, Transfiguration, ils ont créé un concert où le violoncelle et la harpe seraient sur un pied d’égalité dans le combat de notes qu’ils auraient à livrer.

Puisqu’il n’y avait pas de répertoire existant pour remplir tout un programme avec cet esprit en tête, les deux musiciens ont fait appel à la communauté des compositeurs pour qu’on leur écrive des œuvres pour violoncelle et harpe.

Résultat? Transfiguration est un concert de musique contemporaine qui nous fait découvrir des compositeurs comme Alexandre Grogg, Caroline Lizotte, Kelly-Marie Murphy.

Pour Valérie Milot, c’est une joie d’avoir des partitions écrites spécifiquement pour son instrument.

«Il n’y a pas beaucoup d’œuvres pour harpe dans le répertoire classique. Souvent, on transpose des partitions pour piano, car la harpe, c’est comme un piano. Ce qui est bien, c’est que les compositeurs qui ont travaillé avec nous ont des styles très différents qui, chacun à leur manière, nous sollicitent beaucoup. C’est de la haute voltige. Tantôt abstrait, tantôt immersif. Toujours dynamique, vivant. C’est techniquement difficile. À la fin du spectacle, je suis épuisée.»

On peut comprendre. Sa harpe pèse 100 livres, mesure 6 pieds de haut, et 4,5 pieds de large. Toute une bête à maîtriser.

«C’est un concert qui ne ressemble pas du tout à ce qu’on fait généralement, renchérit Stéphane Tétreault. Oui, il y a un répertoire nouveau pour lequel le public n’a aucune référence, mais dans le même esprit, on profite de cette nouveauté pour oser une mise en scène, un décor, des éclairages, des projections. On joue en symbiose, très près physiquement l’un de l’autre. On a poussé assez loin le visuel pour offrir une expérience totale au public. Je dirais que c’est un spectacle intergénérationnel. On est vraiment dans une optique de développement de public.»

«C’est un concert qui ne ressemble pas du tout à ce qu’on fait généralement. »

C’est la compagnie de Valérie Milot, Anémone 47, qui produit le spectacle, et elle n’a pas lésiné sur les moyens. Le concept nécessite un dispositif scénique important. Il faut quelques heures à trois techniciens pour installer la structure du décor et calibrer le son amplifié des instruments. Stéphane Tétreault s’amuse à souligner que le son de son violoncelle est capté par rien de moins qu’un micro Schoeps, celui que revendiquait Luciano Pavarotti pour ses tours de chant.

Nos créateurs sont d’ailleurs extrêmement reconnaissants au ministère de la Culture du Québec pour son accompagnement financier durant la pandémie.

Dans un même élan, Valérie Milot dit:

«On nous a demandé de nous réinventer en nous donnant des moyens pour le faire. Et on l’a fait!». Et Stéphane Tétreault d’enchaîner: «Grâce à cette aide, on a pu faire quelque chose de cette période où nos carrières étaient sur pause. Ça a été comme un phare dans la nuit.»

Transfiguration est un concert de musique contemporaine qui nous fait découvrir des compositeurs comme Alexandre Grogg, Caroline Lizotte, Kelly-Marie Murphy.

Transfiguration a vu le jour en version disque sur étiquette ATMA au printemps dernier. En mai, lors de la première montréalaise de la version spectacle, le critique du Devoir, Christophe Huss, n’a eu que des termes élogieux:

«[ils ont] réussi à faire de la première de leur spectacle l’événement mondain classique de la décennie dans la métropole. […] la soirée est à marquer d’une pierre blanche: la judicieuse créativité de Valérie Milot et Stéphane Tétreault et toute leur équipe mérite d’être saluée avec un respect infini. Ces artistes se sont tous posé de bonnes questions en termes de répertoire, du format du concert, du "rituel du concert" et de l’intégration de la technologie au service du message musical…»

Disons que ça pique la curiosité, n’est-ce pas?

Ça adonne bien, Transfiguration reprend la tournée en novembre. Le 10 novembre au Théâtre Maisonneuve, le 12 à la salle J.-A. Thompson de Trois-Rivières et le 20 novembre au Théâtre Banque Nationale à Saguenay. D’autres dates sont prévues en février et mars 2023 à Repentigny, Pointe-aux-Trembles et Sherbrooke, ainsi qu’une tournée à l’étranger.