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Un complot, la «ville des 15 minutes»?

Urbanisme et théories du complot vont rarement de pair. Des conspirationnistes ont pourtant récemment décrié le modèle de la «ville des 15 minutes», qu’ils voient comme un plan visant à confiner les citoyens chez eux et à restreindre leurs déplacements ou leurs libertés individuelles. Qu’en est-il vraiment? Voici ce qu’il faut savoir.

Le concept de la ville du quart d’heure, que les anglophones appellent la ville des 15 minutes, n’est pas nouveau. Il a été développé en 2015 par l’urbaniste franco-colombien Carlos Moreno, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne, où il est directeur scientifique et cofondateur de la Chaire ETI (Entrepreneuriat Territoire Innovation). Celui-ci lui a d’ailleurs valu l’Obel Award, un prix qui «honore les récentes contributions architecturales exceptionnelles au développement humain dans le monde», en 2021.

Avant lui, Portland, en Oregon, a lancé les quartiers 20 minutes aux alentours de 2009. Les deux s’inspirent des principes du nouvel urbanisme, un mouvement basé sur la réduction de la dépendance à la voiture.

L’idée est relativement simple. Dans une ville du quart d’heure, les habitants ont accès à pied ou en transport actif à tout ce dont ils ont besoin en 15 minutes (ou moins). Fini, donc, le temps perdu dans les bouchons de circulation pour se rendre au boulot. On marche pour se rendre à la pharmacie, pour prendre un café ou rencontrer les amis au parc et on enfourche son vélo pour aller au travail ou récupérer les enfants à la garderie.

Cette ville à échelle humaine présente en théorie de nombreux avantages. En plus de réduire la longueur de nos déplacements, elle permet de limiter la pollution, de revitaliser les rues commerciales, d’améliorer le sentiment de sécurité et de créer des liens entre les citoyens tout en gardant la forme.

Portland, en Oregon, a lancé les quartiers 20 minutes aux alentours de 2009. Photo: Cole Keister, Unsplash

De plus en plus prisé

Depuis 2016 – et encore plus depuis la pandémie – le concept fait des adeptes. C’est le cas notamment de Paris. Milan et Dublin ont aussi intégré les principes dans leur aménagement. Barcelone et ses super-blocs, des mini quartiers complets où le piéton a la priorité, s’inscrivent également dans cette mouvance. Copenhague va plus loin, et veut transformer son quartier de Nordhavn en ville des cinq minutes.

Même O’Fallon, une ville de banlieue de 32 000 habitants en Illinois, y adhère. Selon le plan de la municipalité, devenir une ville des 15 minutes contribuera à rendre la vie des citoyens plus pratique, moins stressante et plus durable. Au total, près de 100 maires ont embrassé le concept autour du monde.

Au Québec, même si l’idée n’a pas encore été proprement testée, Valérie Plante lui avait consacré une place de choix dans son plus récent programme électoral.

Pour les experts, comme l’architecte Daniel Pearl, un modèle montréalais serait d’ailleurs tout à fait possible. En entrevue avec La Presse le mois dernier, il suggérait de rebâtir des secteurs du Sud-Ouest actuellement «dépeuplés et sans infrastructures» dans Verdun, Pointe-Saint-Charles, Saint-Henri, La Salle, Ville-Émard et Côte-Saint-Paul, et de les transformer en zones à haute densité, avec services essentiels à proximité.

Pour les experts, un modèle montréalais de la ville aux 15 minutes serait tout à fait possible. Photo: Randy Laybourne, Unsplash

Un cauchemar dystopique?

Qu’est-ce qui fait donc tiquer les complotistes dans ce concept où parcs, écoles, hôpitaux, bureaux et magasins sont à deux pas? Il faut remonter à 2020 pour connaître la réponse.

La pandémie a donné un nouveau souffle à l’idée d’une ville à échelle humaine. Le Forum économique mondial et le C40 (aussi appelé le Cities Climate Leadership Group), de même que d’autres grandes organisations comme ONU-Habitat, la promeuvent depuis 2020. Cet appui, jumelé à la théorie du complot voulant qu’un confinement climatique serait imminent, a mis le feu aux poudres.

Le débat s’est poursuivi quand Oxford, en Angleterre, a annoncé vouloir mettre en place un projet pilote très controversé. Ce plan de filtrage du trafic vise à réduire au maximum la circulation des véhicules sur six rues de la ville. Ceux qui y circulent devront demander une autorisation ou payer une amende. Des conspirationnistes ont alors lié ce plan à la ville du quart d’heure, en affirmant faussement que les résidents allaient être confinés dans un rayon de 15 minutes autour de leur domicile et mis sous surveillance.

Oxford, en Angleterre, veut mettre en place un plan de filtrage du trafic visant à réduire au maximum la circulation des véhicules sur six rues de la ville. Photo: James Coleman, Unsplash

Environ 2 000 manifestants sont descendus dans les rues d’Oxford en février pour protester contre les projets du conseil municipal. Ceux-ci craignent entre autres d’être bloqués à l’intérieur de leur zone.

Carlos Moreno, «l’ennemi public numéro un», comme il se décrit lui-même, admet avoir été surpris par l’ampleur de la haine à son endroit, lui qui reçoit désormais des menaces de mort. En entrevue avec Dezeen, il persiste et signe. «Mon combat est de savoir comment nous pourrions améliorer la qualité de vie», insiste-t-il.

Même si le nom est accrocheur, les 15 minutes ont peu d’importance pour l’urbaniste. Celui-ci croit que le concept est adaptable aux réalités de chaque ville. «Nous pourrions avoir une ville de 10, 18, 25 ou 39 minutes. La question n’est pas le temps. La vraie question est celle d’un nouveau modèle d’urbanisme.»

Délice Network: la gastronomie comme outil de développement urbain

Qu’ont en commun Barcelone, Bordeaux, Buenos Aires, Chicago, Helsinki, Lausanne, Lisbonne, Madrid et Montréal? Elles font toutes partie du Délice Network, un réseau regroupant une trentaine de villes sur trois continents et dont les membres sont convaincus que la gastronomie représente un puissant facteur de développement économique et d’attractivité des villes. Petit tour du monde urbain par les papilles.

C’est à Lyon, en 2007, qu’a été créé Délice, le réseau des villes gourmandes du monde, avec l’idée qu’à notre époque, la scène gastronomique est devenue essentielle dans le développement des grands centres, autant pour leur promotion à l’international que pour la qualité de vie des citoyens.

Selon l’organisation, les villes ont un rôle important à jouer dans le développement de la scène gastronomique afin de la garder attrayante et compétitive. C’est ainsi que des villes à travers le monde qui considèrent avoir un héritage gastronomique et une culture culinaire forte se sont mises ensemble pour développer des outils, pour s’entraider et pour mieux rayonner.

Au fil des années, divers événements de réseautage et rencontres thématiques ont été organisés un peu partout à travers le monde, toujours dans la même optique: offrir aux gestionnaires des villes des outils afin de mieux faire rayonner l’unicité et les attraits de leur gastronomie.

Chacune sa spécialité

Que ce soit la cuisine méditerranéenne, l’art de vivre et les vins locaux de Barcelone, l’influence des diverses communautés, les chefs iconiques et les microbrasseries de Chicago, ou encore la riche histoire culinaire et les plats typiques comme le mole et le chile en nogada de Puebla, au Mexique, chaque ville est unique et c’est ce que le Délice Network souhaite faire découvrir.

Une des façons de ce faire a été, il y a quelques années, de commander à une artiste lyonnaise des illustrations sur quelques villes qui font partie de l’organisation. Colorées et éclatées, les illustrations de Carole Barraud à elles seules valent le coup d’œil. On y résume en quelques images des éléments clés de la scène gastronomique de la ville choisie. Par exemple, saviez-vous qu’à Izmir, en Turquie, il fallait goûter les artichauts garnis de riz, de légumes, d’herbes et d’huile d’olive, tout comme les moules farcies de riz? Que l’on comptait 2774 restaurants dans la ville? Que 10 000 tonnes de figues séchées sont exportées de la région chaque année? Ou que dans les rues, pour célébrer divers événements, on offre gratuitement un dessert traditionnel, le izmir lokma? Tout ça y est raconté en quelques images.

Colorées et éclatées, les illustrations de Carole Barraud à elles seules valent le coup d’œil.

Montréal, ville gastronomique

Sur le site du Délice Network, du côté de Montréal, on souligne que la «bonne bouffe» fait partie du mode de vie de la ville. «Les locaux ont leurs restaurants testés et approuvés, leur casse-croûte préféré et une liste de nouveaux endroits et de cafés à essayer.» Puis, on y parle de poutine (bien sûr!), de bagels et de foie gras, et on précise que les visiteurs pourraient avoir besoin de plus d’une visite pour arriver à choisir leurs endroits favoris. Aussi, on met de l’avant des événements gastronomiques tels que MTL à table et Montréal en lumière, et on assure que le marché Jean-Talon, installé dans la Petite Italie depuis 1933, est un incontournable.

D’ailleurs, Stéphanie Laurin, gestionnaire de l’Office montréalais de la gastronomie, créé en 2021, est membre du comité exécutif du réseau international. Cela a du sens puisque «dans la politique de développement culturel 2017-2022 de la Ville de Montréal, il a été conclu que l’offre alimentaire de la ville était un attrait touristique et qu’elle méritait d’être reconnue comme une industrie culturelle et créative», évoquait la gestionnaire en entrevue.

C’est ainsi que la métropole et celle qui chapeaute l’Office qui a comme mission de faire en sorte «que Montréal soit reconnue mondialement comme destination de premier choix en Amérique du Nord sur le plan gastronomique» font partie de l’important réseau de professionnels.

Les actions et les activités du réseau Délice, certes, ne s’adressent pas directement aux citoyens. Elles se passent plutôt à l’interne, entre les gestionnaires et les professionnels des villes qui, eux, travailleront à faire rayonner l’unicité et les saveurs de leur ville auprès de leurs résidents et des touristes. Mais si ces derniers sont mieux outillés pour ce faire, les scènes culinaires des villes du monde seront plus vues et mieux connues, ce qui devrait être une richesse pour tous: producteurs, chefs, restaurateurs, commerçants, citoyens et visiteurs.

Mariages collectifs: autres temps autres mœurs avec Marie-Lyse Paquin

Avez-vous déjà entendu parler des mariages collectifs? Des églises et des parcs remplis de dizaines de couples convolant tous en même temps, pour le meilleur et pour le pire, en juste noces. C'était à une autre époque, mais ces mariages ont tout de même marqué l'imaginaire populaire.

Vos parents ou vos grands parents ont peut-être été de ces cohortes de nouveaux mariés? Mais pourquoi se mariait-on en groupe? Comment se déroulaient ces mariages réunissant parfois plus de 100 couples? La guerre? Pas seulement... On lève le voile sur cette époque dans ce nouvel épisode de la série L'Histoire en balados avec la journaliste et historienne Marie-Lyse Paquin, qui s'entretient avec la rédactrice en chef d'Avenues.ca, Françoise Genest.

Écoutez cet épisode

Ou écoutez cet épisode et tous les autres sur:

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À voir:

Photos souvenir du mariage collectif de 105 couples le 23 juillet 1939

Marie-Lyse Paquin est détentrice d'une maîtrise en histoire, elle enseigne l'histoire au Collège Lionel-Groulx et au Cégep André-Laurendeau. Elle a une longue feuille de route comme journaliste et chroniqueuse dans plusieurs médias et publie actuellement chaque semaine sur Avenues.ca, L'Histoire en photos. Elle a également publié un premier roman, Un mixtape en héritage, chez Québec Amérique en 2016.

Pour voir la galerie de photos préparée par Marie-Lyse sur le mariage collectif de 105 couples le 23 juillet 1939, cliquez ici.

En complément

Art de rue: 5 destinations qui ont capté notre attention

Alors que la neige n’en finit plus de neiger, on se tourne vers l’art de rue, qui insuffle une bonne dose de couleur et de gaieté à la ville, même en plein hiver. De Reykjavik à Paris, en passant par Montréal, voici cinq destinations qui ont capté notre attention.

Montréal

Montréal prend l’art urbain au sérieux! La métropole donne en effet libre cours aux artistes d’ici et d’ailleurs chaque année en juin. Ceux-ci transforment le boulevard Saint-Laurent en véritable musée à ciel ouvert lors du festival MURAL.

Le reste de l’année, les murales se taillent une place un peu partout. Elles enjolivent les écoles, les commerces, les stations de métro ou les bâtiments résidentiels. On peut également admirer plusieurs œuvres en déambulant dans les ruelles.

La murale de Marc-Olivier Lamothe sur l’école Édouard Laurin, dans l'arrondissement Saint-Laurent. Photo: Facebook MURAL

Si les thèmes sont variés, la célébration de la culture occupe une place prépondérante. Dans Centre-Sud, par exemple, Laurent Gascon a réalisé des œuvres dédiées entre autres à Yvon Deschamps, Janine Sutto et Gilles Vigneault.

La série Les bâtisseurs culturels montréalais, une initiative de MU, permet de son côté de voir la ville à travers 25 artistes qui ont marqué Montréal ou s’en sont inspirés. Le gigantesque portrait du musicien Leonard Cohen fait partie du lot. Même chose pour l’hommage à l’artiste Armand Vaillancourt ou à l’architecte Phyllis Lambert.

Photo: designwallah, Flickr

Envie d’en savoir plus sur les artistes de rue qui ont laissé leur trace dans la ville — et qui continuent de le faire? Ça tombe bien, la Galerie L’Original leur consacre une exposition du 31 janvier au 14 février. Les œuvres d’une dizaine d’avant-gardistes, comme Astro et MONK.E, y seront affichées. Tous les détails se trouvent ici.

Berlin

À Berlin, l’art de rue (de l’anglais street art) permet souvent de raconter les périodes tumultueuses qu’a connues la ville. C’est par exemple le cas à l’East Side Gallery. Cette portion de 1,3 km du mur de Berlin se pare de 118 peintures murales réalisées par des artistes provenant d’Allemagne et d’un peu partout dans le monde. Le Baiser fraternel, mettant en scène Erich Honecker et Léonid Brejnev, et signé Dimitri Vrubel, est sans doute l’œuvre la plus connue.

Le Baiser fraternel, mettant en scène Erich Honecker et Léonid Brejnev, et signé Dimitri Vrubel est sans doute l'œuvre la plus connue à Berlin. Photo: Jeison Higuita, Unsplash

Certains quartiers, comme Kreuzberg et Fredrichshain, accueillent aussi de nombreuses œuvres d’art urbain, que l’on peut découvrir à sa guise.

Œuvre du quartier Kreuzberg. Photo: Marcus Lenk, Unsplash

La capitale allemande abrite également depuis 2017 un musée dédié aux peintures murales. L’URBAN NATION Museum se veut à la fois un espace d’exposition et un projet de quartier. La visite se continue ainsi à l’extérieur, puisque plusieurs bâtiments résidentiels et commerciaux avoisinants se parent d’œuvres.

La devanture du URBAN NATION Museum change souvent d'apparence. Photo: Facebook URBAN NATION

New York

New York est une pionnière de l’art de rue. Les graffitis sont apparus dès la fin des années 1960 et le mouvement s’est rapidement développé dans les années 1980. Aujourd’hui, on peut retrouver des murales dans tous les arrondissements, du simple tag à la fresque ornant un gratte-ciel.

New York est une pionnière de l’art de rue. Photo: Stephen Mease, Unsplash

Le Bushwick Collective, qui existe depuis 2012, présente plus de 50 murales à ciel ouvert. De grands noms de l’art urbain, dont Blek le Rat et Banksy, y ont réalisé des œuvres au fil des ans. Le Graffiti Hall of Fame, à Harlem, vaut aussi le détour. La High Line, le parc surélevé, abrite également les œuvres de nombre d’artistes urbains.

Vue sur une murale, de la High Line. Photo: Rawpixel

Reykjavik

La capitale la plus nordique au monde est loin d’être la plus grise. Les rues se colorent sous les coups de pinceau de plusieurs artistes urbains, qui rendent la petite ville créative et joyeuse.

Le tunnel Hlíðargöngin était un incontournable dans les années 1990, puisque les graffiteurs pouvaient se consacrer à leur art en toute légalité. Le projet Wall Poetry, une collaboration entre Urban Nation et le Festival Icelandic Airwaves en 2015 et 2016, a donné un second souffle au mouvement. Des artistes internationaux se sont inspirés des mélodies et des paroles des musiciens qui se produisaient au festival pour créer leur murale.

Le centre-ville regorge d’art de rue. En marchant le long des rues Laugavegur et Grettisgata, on peut en trouver plusieurs. On peut notamment y voir les œuvres de Sara Riel. Le quartier Grandi est quant à lui le terrain de jeu de l’Australien Guido van Helten, qui produit d’énormes peintures photoréalistes en noir et blanc.

Photo: Rob Oo, Flickr

Paris

Pochoirs, graffitis, murales, collages: de Belleville à Montmartre, la capitale française est couverte d’art de rue. Le 13e arrondissement est notamment devenu un musée à ciel ouvert. Depuis 2009, il abrite les fresques monumentales d’artistes reconnus, tels que Shepard Fairey, C215 ou Pantónio. Plus de cinquante œuvres sont à explorer.

Les rues de Montmartre abritent quant à elles les pochoirs de Miss Tic et les animaux étranges de Codex Urbanus.

Lors de votre prochaine visite à Paris, ouvrez l’œil pour trouver les jolis pixels de mosaïque de l’artiste Invader ou les altérations de Clet Abraham, qui s’amuse à transformer les panneaux de signalisation. Profitez-en aussi pour flâner sur la Street Art Avenue, qui longe le canal Saint-Denis. Des balades urbaines sont organisées aux quatre coins de la ville jusqu’à la fin 2024 pour ne rien manquer.

Sir Hormidas Laporte. Homme d’affaires et maire de Montréal, 1850-1934, Marjolaine Saint-Pierre

On aime les success story au Québec. Étonnant que l’histoire d’Hormidas Laporte ne soit pas davantage connue. L’auteure Marjolaine Saint-Pierre corrige cette lacune en publiant une biographie passionnante de cet homme qui s’est bâti un empire à partir de rien, qui a amélioré la vie de ses concitoyens canadiens-français par l’exemple de sa détermination, sa probité et son sens de la justice.

Élevé dans le village de Sault-au-Récollet, sur le bord de la rivière des Prairies, Hormidas Laporte quitte l’école à 14 ans pour aider sa famille à subsister. L’adolescent ne se satisfait pas longtemps de fabriquer des clous dans une usine du canal de Lachine. Il suit des cours du soir pour parfaire ses notions de français et de calcul, et apprendre l’anglais. Ce supplément d’éducation, couplé à une grande volonté de réussir, l’amène à se réaliser dans un domaine dont il flaire le riche potentiel, celui de l’alimentation.

À 20 ans, il a une épicerie à son nom! À 28 ans, son entreprise se spécialise dans le commerce de gros. Il approvisionne Montréal en vins de Bordeaux, en whiskies et ryes britanniques, en huiles d’olive d’Italie, en thés japonais, et même en fruits frais, comme les raisins de Valence, ou confits, qu’on pense aux pruneaux de Smyrne, de Bosnie ou de France.

Le développement de l’entreprise connaît des hauts (croissance et expansion phénoménale) et des bas (pertes dues aux inondations dans le Vieux-Montréal, incendie d’un entrepôt de cinq étages en 1894, krach de 1929) que l’homme d’affaires traverse avec une résilience qui mérite le respect.

Sa réussite lui vaut d’être élu président de l’Association des épiciers en gros du Canada. Dans un Montréal dominé par les Anglais, il prouve que les Canadiens français peuvent aussi avoir la bosse des affaires.

Portrait du jeune commerçant Hormisdas Laporte dans Souvenir maisonneuve: esquisse historique de la ville de Montréal avec portraits et biographies de quelques-uns de nos Canadiens français distingués,Montréal, Maisonneuve et Cie, 1874, BANQ numérique, cote 52327/1956613.

Il utilise son ascendant pour élever les gens de sa race. Il fait partie des fondateurs de la Chambre de commerce du district de Montréal, il compte parmi les administrateurs de la Sauvegarde, première compagnie d’assurance-vie sous contrôle de Canadiens français, il préside la Banque Provinciale du Canada (il figure sur le billet de 5$ qu’émet l’institution), il gravite autour de l’Association Saint-Jean-Baptiste, qui fait construire le Monument-National, un lieu voué à l’éducation des masses populaires et qui conduira éventuellement à la création de l’École polytechnique, l’École des beaux-arts et l’École des hautes études commerciales. Il s’emploie aussi à faire entendre la voix des francophones dans les lieux de décision dominés par les anglophones. Il est le seul francophone à la Commission du havre de Montréal, qui repense le port de Montréal. La biographe d’Hormidas Laporte souligne à plusieurs reprises que l’homme d’affaires exerce ces différentes fonctions bénévolement.

Son omniprésence dans les différentes sphères de la société l’amène à s’intéresser à la politique, car il considère que son action risque de ne rimer à rien si la chose publique continue à être gérée par des gens corrompus. Parmi ses combats: l’abolition des trusts qui contrôlent l’électricité, le gaz et les tramways.

Élu échevin, il s’attaque aussi à des dossiers très concrets, comme la qualité de l’eau, la protection contre les incendies, l’hygiène publique. Il travaille aussi à la création d’une bibliothèque technique pour l’instruction scientifique et industrielle. L’homme croit au pouvoir de l’éducation et de la culture.

On fatigue à le voir aussi proactif sur tant de dossiers.

D’ailleurs, lorsqu’il est élu maire de Montréal en 1904 pour un terme de deux ans, il n’arrive pas à réaliser ses promesses. Ses activités protocolaires lui demandent beaucoup de temps et la fatigue le rattrape, aggravant son asthme. Il passe les derniers mois de son mandat en convalescence en Floride, et renonce à se présenter en 1906.

Le maire Hormisdas Laporte s’adressant à la foule durant la fête de la Saint-Jean-Baptiste. L’album universel, vol. 22, no. 1 107, 8 juillet 1905, p. 296.

Sa carrière n’est pas finie pour autant. Il revient à ses affaires et passe beaucoup de temps à voyager pour rencontrer ses clients et vérifier la qualité des produits qu’il importe. Le livre évoque des séjours en Belgique, en Hollande, en Italie, en Espagne, au Portugal, et bien sûr en France, la mère patrie, où sa fille réside.

Ses séjours en Europe s’interrompent en 1914 en raison de la guerre. Ce conflit mondial sera l’occasion d’accepter un nouveau mandat. On le sollicite pour travailler à l’élaboration d’une politique d’achats pour le gouvernement du Canada. Il en viendra à présider la Commission des achats du matériel de guerre. Ses loyaux services au gouvernement Borden lui valent d’être anobli par le roi George V.

Le petit Hormidas qui fabriquait des clous devient, 50 ans plus tard, sir Laporte, une gloire qu’il ne pourra partager avec la femme de sa vie. Mirza Gervais, qui lui a donné 13 enfants, dont seulement deux survivront, est décédée cinq ans plus tôt.

Il sera donc veuf pendant 21 ans, passant beaucoup de temps dans sa résidence du 2232, boulevard Dorchester (aujourd’hui René-Lévesque), près de la rue Atwater.

L’ouvrage se termine avec une description fascinante de cette immense maison bâtie sur la falaise Saint-Jacques, un quartier résidentiel qui attire les grands bonzes du rail, du charbon et du bois. Le texte, écrit en 1996 par sa petite-fille Jacqueline Le Cavelier, rappelle les particularités de cette demeure qui n’existe plus aujourd’hui, le terrain ayant été repris pour la construction des locaux de la Fondation Papillon, organisme de ressources et de soutien aux personnes en situation de handicap.

Il ne reste plus rien non plus de l’entreprise qu’Hormidas Laporte a bâtie. Dix ans après sa mort, la société Laporte-Hudon-Hébert, dirigée par son fils Joseph-Antoine, est emportée par une faillite, comme cela arrivera plus tard avec Steinberg, Dominion et Dupuis Frères.

Au moins, la Banque Provinciale, qu’il a présidée, se perpétue sous les couleurs de la Banque Nationale, et la Sauvegarde, qu’il a fondée, poursuit ses activités d’assurance sous l’ombrelle du Mouvement Desjardins.

Finalement, et c’est un peu affligeant, la seule évocation du personnage dans la toponymie de Montréal se trouve dans l’arrondissement du Sud-Ouest. L’avenue Laporte, baptisée en l’honneur d’Hormidas Laporte en 1907, fait moins de 400 mètres, de la rue Saint-Jacques à la rue de Richelieu. Bien peu pour un précurseur du Québec inc.

Heureusement qu’il y a ce livre pour entretenir le souvenir de ce bâtisseur de Montréal.

Sir Hormidas Laporte. Homme d'affaires et maire de Montréal, 1850-1934, Marjolaine Saint-Pierre. Éditions Septentrion. 2022. 186 pages.