La chronique Vins et alcools avec Jessica Harnois

Auteur(e)

Jessica Harnois

Sommelière et animatrice, Jessica Harnois a travaillé pour les plus grands établissements au monde, a occupé le poste de sommelière en chef à titre d’acheteuse de vins pour les Services SAQ Signature, a été responsable du Courrier vinicole et de la prestigieuse Cave de garde de la SAQ, en plus d’avoir été présidente de l’Association Canadienne des Sommeliers Professionnels et Vice-Présidente de l’APAS (Alliance Pan-Américaine des Sommeliers). Avec l’agence d’animation Vins au Féminin, elle a conceptualisé le jeu Dégustation Vegas qui démocratise le vin. Vous pouvez la voir à la télé, l’entendre à la radio et la lire dans plusieurs magazines.

Le merveilleux univers des whiskies japonais

On connaît le Japon pour ses sakés qui y sont perfectionnés depuis des siècles. Nous pouvons d’ailleurs les découvrir encore une fois cette année grâce à Kampai, le festival du saké, qui a lieu le 3 décembre 2020 à 19h, en version virtuelle. Va pour le saké, mais saviez-vous que le Japon produit aussi des whiskies, dont certains sont parmi les meilleurs au monde? Continuez à lire pour faire de belles découvertes!


De l’Écosse au Japon: un savoir importé

L’histoire commence en 1918, alors que le chimiste Masataka Taketsuru se rend à l’Université de Glascow, en Écosse, pour étudier l’art des distillateurs de scotchs. Quelques années plus tard, il rentre au Japon avec une épouse et tout un nouveau savoir à développer.

Il se fait rapidement engager par Shinjiro Torii, un représentant en pharmaceutique, pour fonder la première distillerie du pays. Taketsuru savait déjà où il voulait s’établir: à Hokkaido, l’île la plus au nord du Japon et l’endroit, selon lui, qui ressemblait le plus à l’Écosse en ce qui a trait à la géographie et à la climatologie. Malheureusement pour lui, Torii s’oppose au projet et choisit plutôt d’installer la distillerie en banlieue de Kyoto. Ensemble, ils fondent Yamazaki, qui deviendra plus tard la géante et légendaire Suntory.

Ce qui devait arriver arriva: 10 ans plus tard, les routes des deux hommes se séparent, alors que Taketsuru décide de réaliser son rêve initial. Il fonde alors sa distillerie à Yoichi, sur l’île convoitée. Cette distillerie deviendra Nikka, l’autre géante nipponne. Ces deux rivales sont encore à ce jour les plus importants producteurs de whisky du Japon. Depuis, bien d’autres distilleries ont vu le jour. Par contre, c’est surtout à partir des années 2010 que le whisky japonais connaît un essor remarquable en se démarquant dans des concours internationaux, raflant des médailles d’or et battant même les whiskies d’Écosse au titre de «meilleur whisky au monde».

La «japonisation» du whisky: quand l’élève dépasse le maître

J’ai souvent entendu le verbe «japoniser» (ce n’est pas un vrai mot!), qui désigne l’action de rendre japonais ce qui ne l’était pas auparavant, bien sûr en l’améliorant. Et c’est ce qui est arrivé au spiritueux le plus populaire d’Écosse. Certains clament que les whiskies japonais ont le même style que les scotchs, mais les experts s’entendent maintenant pour dire que leur identité a désormais acquis ses propres couleurs et son propre style. Xérès, fruits exotiques, caramel, vanille, parfois une petite pointe de tourbe et de fumée: voilà quelques notes que l’on retrouve régulièrement dans ces spiritueux. Ils se situent en quelque sorte entre le scotch et le bourbon et occupent d’ailleurs la quatrième position mondiale des whiskies les plus vendus après ceux d’Écosse, d’Irlande et des États-Unis.

Chose certaine, ils sont reconnus pour être délicats, raffinés et complexes. Certains utilisent même le mot «éthérés», soit légers comme l’air. En revanche, la popularité des dernières années et la hausse de la demande qui a suivie se sont aussi traduites par une production parfois de moins bonne qualité qu’auparavant. Aussi, les produits millésimés sont de plus en plus rares.

En revanche, n’ayez pas peur des blends (assemblages). Ils sont populaires au Japon et ne sont pas du tout le signe d’une qualité douteuse. Au contraire, plusieurs champions japonais, comme le Hibiki ou le Nikka from the Barrel (qui ne sont malheureusement pas offerts à la SAQ), sont des assemblages. Les grandes maisons ont toutes leur maître assembleur et ces derniers font de la magie, année après année, tout comme les œnologues pour le vin.

Photo: Shirota Yuri, Unsplash

Twice up, mizuwari et highball

Il existe plusieurs façons de déguster le whisky au Japon. On peut le boire sec ou sur glace, bien sûr, mais d’autres options sont populaires dans les izakayas, les pubs japonais. Ces choix incluent les twice up, mizuwari et highball. Dans ces versions, on utilise en général du soda ou une autre boisson pétillante ou encore de l’eau minérale plate. Le twice up consiste simplement en une part de whisky pour une part d’eau. Or, il est encore plus fréquent de voir l’alcool dilué davantage. Deux fois son volume d’eau sur glace et on boit alors un mizuwari. Finalement, si on remplace l’eau du mizuwari par une boisson pétillante, on obtient un highball, le plus populaire des drinks japonais.

Contrairement à la croyance populaire qu’il ne faut pas diluer les whiskies, la plupart des whiskies japonais sont créés pour être servis avec de l’eau. N’hésitez donc pas à faire des tests et à trouver ce qui vous plaît; c’est une affaire de goût! De mon côté, j’ai essayé avec un cidre pétillant, juste pour voir. J’ai utilisé l’Original Draft de McKeòwn pour faire un highball et j’ai beaucoup aimé! La pomme est subtile et elle ajoute une légère touche d’acidité à l’ensemble, ainsi qu’une fine pointe d’amertume en finale. Explorez et amusez-vous!

Prêts pour la dégustation? Voici quelques bouteilles présentement en vente à la SAQ, pour découvrir cet univers merveilleux et pour vous gâter. Pensez à en offrir en cadeau pour les Fêtes aux amateurs de spiritueux. Vous pourrez trinquer en version Zoom.

White Oak Tokinoka Japon Blended Whisky

L’histoire de Taketsuru et Torii est la plus connue et la plus racontée quand on parle du whisky japonais, mais une autre distillerie a reçu quelques années avant, en 1919, une licence de distillation de whisky et autres spiritueux. Située dans la ville d’Akashi (préfecture de Hyogo), cette société produisait déjà du saké depuis 1679. Il faut quand même attendre 1984 pour que la distillerie se modernise et se mette à produire des whiskies pour le marché.

Cet assemblage de whisky de grain (25%) et de single malt japonais (75%) présente au nez des notes de céréales quand même puissantes, mais qui s’adoucissent en s’aérant. En bouche, la puissance s’exprime encore avec des notes de céréales, d’épices, de pêche et de vanille, avec une texture moelleuse. Il est bien équilibré dans l’ensemble et demeure une belle option pour se lancer, mais aussi pour la mixologie.

Photo: SAQ.com

 White Oak Tokinoka Japon Blended Whisky. Whisky, 500 ml. 56,25$.

White Oak Tokinoka Black Japon Blended Whisky

Ce deuxième produit de White Oak a une teneur en alcool plus élevée: on passe de 40% à 50%. Le maître assembleur change ici les proportions du mélange: 50% de whisky de malt et 50% de whisky de grain. Ce mélange séjourne ensuite en fûts de bourbon, de xérès, puis de chêne neuf, ce qui lui confère des notes plus caramélisées, mielleuses, voire chocolatées. Le nez est complexe et délicat, avec des notes d’orange qu’on retrouve aussi en bouche. À cela s’ajoute une variété de saveurs fruitées, vanillées et épicées. Sa texture est plus ronde que le précédent, avec une belle finale allongée et chaleureuse.

Photo: SAQ.com

White Oak Tokinoka Black Japon Blended Whisky. Whisky, 500 ml. 85$.

Yamazakura Blended Whisky

Sasanokawa Shuzo a une longue histoire, produisant aussi du saké depuis quelques siècles (1765). C’est en 1946 que l’entreprise inclut le whisky à son répertoire. Utilisant quatre variétés de whiskies de grain et de malt, cet assemblage a un nez légèrement fumé et fruité où l’alcool domine. En bouche, il est puissant, s’ouvrant ensuite sur des notes de caramel salé et de tarte à la poire vanillée, le tout quelque peu fumé et épicé. Si vous êtes déjà allés au Japon et que vous avez la nostalgie des highballs, ajoutez-y des glaçons et une boisson pétillante pour vous replonger dans l’atmosphère festive d’une izakaya de Kyoto, habituellement minuscule, mais bondée et joyeuse!

Photo: SAQ.com

Yamazakura Blended Whisky. Whisky, 700 ml. 63,85$.

Nikka Taketsuru Pure Malt

Celui-ci est un classique. Si vous avez déjà visité le regretté bar Big in Japan, rue Saint-Laurent (difficile de ne pas penser à la chanson d’Alphaville de 1984!), vous en aurez peut-être vu plusieurs bouteilles accrochées au plafond en rangées, attendant la prochaine visite de leurs propriétaires. Ce Nikka a été nommé en l’honneur de son fondateur. Légèrement plus ambré que les précédents, il a un nez caramélisé et aussi des arômes de fruits confits. D’abord puissant en bouche, il s’adoucit rapidement sur des notes d’amande et de bourbon, suivi d’une agréable touche de fumée. Sa texture est ronde, onctueuse et sa finale est très, très longue, remarquable et parfaite pour les froides soirées d’hiver qui finiront bien par arriver.

Photo: SAQ.com

Nikka Taketsuru Pure Malt. Whisky, 700 ml. 80$. 

Nikka Miyagikyo Single Malt Whisky

Pour finir en beauté, terminons cette exploration avec un single malt, le Miyagikyo, au nez absolument délicieux. Délicatesse, fraîcheur et limpidité sont les adjectifs qui me viennent spontanément en tête. À cela s’ajoutent d’indéniables arômes de butterscotch. En bouche, l’équilibre est atteint. La fumée est présente, mais sans être trop puissante et sans écraser les notes de fruits séchés et de caramel qui se dévoilent vers la finale. Celle-ci est réconfortante et invite à siroter son verre au coin du feu.

Photo: SAQ.com

Nikka Miyagikyo Single Malt Whisky. Whisky, 700 ml. 92,50$.

Pour en savoir plus, je vous recommande le bel ouvrage de Brian Ashcraft, Japanese Whisky, publié aux éditions Tuttle en 2018. Ça fera un beau cadeau de Noël, pour vous ou pour une personne à gâter, surtout s’il est accompagné d’un whisky japonais!

Bonne dégustation!

Jessica et son équipe