Photo: PIxabay
14 septembre 2021Auteure : Sophie Ginoux

À la recherche des aliments perdus

La cenelle, le radis queue de rat, la grosse blonde paresseuse, l’ail penché, le melon de Montréal, le bison sauvage des grandes plaines… Ces quelques noms originaux peuvent prêter à sourire, mais ils évoquent aussi pour certains des souvenirs de cuisine, de repas et de traditions culinaires qui se sont perdus avec le temps. Et ce sont surtout des témoins vivants de notre patrimoine immatériel, un patrimoine que l’organisme Slow Food essaie à travers le monde d’identifier et de préserver de la disparition. Alors, faisons aujourd’hui des Indiana Jones de nous-mêmes et plongeons dans l’univers des aliments québécois qu’il ne faut surtout pas oublier.



Depuis 1996, l’organisme international Slow Food, présent dans 160 pays, s’est donné trois missions principales: l’éducation au goût, la promotion d’une agriculture paysanne pour contrer les ravages d’une agriculture industrielle, et la préservation de la biodiversité.

Dans ce dernier volet, plus spécifiquement, figure l’Arche du goût, une sorte de catalogue qui sert à identifier des produits issus d’un territoire dont le patrimoine alimentaire est menacé en raison de la standardisation du goût et de l’industrialisation des systèmes alimentaires. En voici un aperçu en images.

Célébrer les goûts et la culture du Québec

Même si cette liste est loin d’être complète, le Canada compte aujourd’hui une quarantaine de produits à préserver, dont une bonne moitié vient du Québec. Pourquoi? «Parce que nous avons développé ici une agriculture qui nous est propre, avec des variétés et des races adaptées à notre territoire, sans compter toutes les plantes indigènes que nous retrouvons sur notre territoire», indique le chef et consultant Bobby Grégoire, qui a été membre de Slow Food Montréal pendant huit ans avant de devenir un des 42 administrateurs de Slow Food International.

Parmi les produits répertoriés par l’Arche du goût, on retrouve aussi bien les vaches de race Canadienne, qui ont été réintroduites il y a quelques années pour l’industrie fromagère (pensez aux délicieux fromages 1608 et Pied-de-Vent), les œufs de harengs sur varech, les herbes salées du Bas-Saint-Laurent, les baies d’amélanchier et le pouding chômeur. Cela peut paraître un peu fourre-tout au premier abord, mais comme l’explique M. Grégoire, «l’Arche sert à répertorier tout ce que nous mettons traditionnellement dans notre assiette. Il peut s’agir de produits qui se cultivent, se préparent, se consomment. Nous tenons aussi compte de la valeur sociétale de ces éléments. Se consomment-ils seuls, en groupe, à certaines occasions seulement? Tout cela participe à l’affirmation d’un goût, d’une identité propre à un territoire qui s’actualise sans cesse. Il faut donc les reconnaître et les célébrer».

Le chef rappelle d’ailleurs que la plupart des fêtes culturelles traditionnelles du Québec sont en lien avec la saisonnalité alimentaire. Effectivement, les cabanes à sucre, l’arrivée du homard ou des asperges, les épluchettes de blé d’Inde sont toutes des reliquats d’un passé que les fêtes commerciales n’ont heureusement pas encore réussi à faire disparaître.

Mais que reste-t-il, par contre, des variétés de légumes, fruits, plantes, ainsi que des races et des produits sacrifiés au fil du temps sur l’autel de la productivité et de la standardisation? Comme le souligne régulièrement l’organisme Équiterre, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que 75% des variétés agricoles cultivées dans le monde ont disparu depuis 1900. «Et seulement 2% de notre population travaille aujourd’hui dans la production alimentaire, tous secteurs confondus», ajoute Bobby Grégoire. Une raison de plus à ses yeux pour défendre et préserver des goûts qui, en disparaissant, effacent aussi une partie de notre mémoire personnelle et collective.

Trois aliments à sauvegarder

Il serait difficile de faire dans cet article le décompte de tous les produits québécois perdus ou à sauver de l’oubli, mais en voici trois qui méritent comme d’autres notre attention parmi la liste détaillée de ceux figurant dans l’Arche du goût.

La tomate Savignac

Commençons cette petite présentation avec la tomate Savignac, aussi appelée «Dufresne», que Bobby Grégoire a choisie, car «la tomate est souvent le premier légume que les Québécois font pousser et ont du plaisir à partager». De taille moyenne et de couleur rose-rouge, cette tomate très goûteuse et juteuse présente au Québec depuis le 18e siècle et commune dans les jardins jusque dans les années 1950 ne faisait pas bon ménage avec les intrants chimiques et a donc progressivement disparu. Il ne reste aujourd’hui que deux producteurs qui continuent à la produire.

Photo: Facebook Terre Promise semencière artisanale

Le melon d'Oka

En deuxième lieu, même si l’on parle plus souvent de son cousin le melon de Montréal, le melon d’Oka a été développé en 1912 par un des moines trappistes de l’Institut agricole d’Oka, qui a jusqu’en 1962 formé des centaines d’agronomes et se rendit célèbre pour ses recherches en agriculture. Connu comme un melon avec beaucoup de saveur et une chair épaisse, il peut arriver à maturité en moins de 90 jours, ce qui rendait sa culture possible dans la plupart des régions du Québec. Toutefois, ses semences se sont perdues après la fermeture de l’institut agricole par le gouvernement, si bien qu’aujourd’hui, il n’est plus vendu commercialement.

Photo: Facebook Souvenirs d'Amérique française

La poule Chanteclerc

Enfin, pour clore cette petite incursion dans le patrimoine alimentaire du Québec, pourquoi ne pas parler de la poule Chantecler, elle aussi développée par un frère aviculteur au monastère trappiste d’Oka qui s’était rendu compte qu’il n’existait aucun poulet vraiment adapté au climat canadien? Il en a résulté la naissance d’une nouvelle race avec un peigne et des barbillons résistants au gel sur le plan physique, mais surtout à la capacité de ponte importante tout au long de l’année (jusqu’à 210 œufs par poule) et à la chair généreuse puisque chaque poulet pèse de 2,5 à 4 kilos. Même si, malheureusement, la poule Chantecler a souvent disparu des fermes d’élevage – on en dénombre entre 1750 et 2250 dans le monde, dont la majorité se trouve au Québec –, quelques petites exploitations agricoles travaillent à les réintégrer. On le souhaite vivement!

Photo: Facebook Jasmine Ricard