31 mars 2016Auteure : Véronique Leduc

Des insectes dans votre assiette

Un scorpion avec votre cocktail? Des fourmis dans votre chocolat? Des grillons pour faire croustiller vos salades? Voilà le genre d’offres qui pourraient bientôt vous mettre l’eau à la bouche…



Terminé le temps où la dégustation d’insectes se limitait à une expérience unique et farfelue à l’Insectarium de Montréal. Aujourd’hui, les insectes prennent tranquillement leur place dans nos assiettes.

Il y a un an, je rencontrais, pour dresser son portrait dans le magazine Caribou, Marie-Loup Tremblay, une entrepreneure qui lançait alors sa compagnie de vente de barres tendres faites à base d’insectes. L’été dernier, la trentenaire était convaincue que uKa protéine arrivait juste au bon moment sur le marché. «Je pense que les Québécois sont prêts à manger des insectes s’ils comprennent pourquoi ils le devraient.» Et pour faire connaître les bienfaits de l’entomophagie (consommation d’insectes), Marie-Loup donnait alors des conférences et évoquait le fait que les insectes sont riches en fibres et en protéines, mais ne contiennent ni noix, ni gluten, ni produits laitiers, ni OGM, et sont très peu caloriques. C’est sans parler de la très faible quantité d’eau nécessaire à leur élevage. «L’insecte possède tout ce qu’on cherche!», assurait-elle.

Les mois qui ont suivi sont venus prouver que Marie-Loup avait raison. En début d’année, les insectes faisaient leur place dans mon billet sur les tendances alimentaires annoncées pour 2016. C’est Le nutritionniste urbain qui prédisait leur adoption dans les prochains mois. «D’un point de vue environnemental et de la santé, les insectes n’ont absolument rien à envier à la viande. Ils demandent des quantités infimes de nourriture et d’eau, dégagent peu de gaz à effet de serre et sont hautement nutritifs», pouvait-on lire dans son billet au sujet de ses cinq prédictions.

Des insectes pour tous les goûts

Devant tant d’avantages, certains, comme Marie-Loup Tremblay, voient une opportunité d’affaires.

En décembre dernier, un article du Journal de Montréal énumérait d’ailleurs quelques entreprises mettant en vedette l’insecte. On y apprenait qu’on propose entre autres des sauterelles frites, des tacos de sauterelles ou des crèmes brûlées avec de la farine de fourmis sur les menus de deux restaurants mexicains à Montréal.

Puis, en morceaux ou en poudre, les insectes sont intégrés à des mélanges d’épices ou à de la salsa chez Gourmex, une entreprise qui importe aussi des insectes déshydratés et qui encourage leur intégration à l’alimentation.

Au 132 Bar Vintage, à Montréal, on offre un margarita au sirop de scorpions, ce qui, selon le mixologue Jean-François Laurence, adoucit les lendemains de veille grâce au taux élevé de protéines que contient l’insecte.

Même les animaux ne sont pas en reste dans cette nouvelle tendance. Patates douces, pois chiches, bananes, arachides et farine de grillons : voilà ce qu’on trouve dans les gâteries pour chiens BugBites, créées par Hexa Foods, une jeune entreprise d’ici dont La Presse Affaires dressait le portrait la semaine dernière.

Cette tendance à la transformation était aussi annoncée par Le nutritionniste urbain qui affirmait en janvier dernier: «il y a fort à parier que c’est sous une forme plus transformée que les insectes apparaîtront ici». Parce que s’ils sont prêts à accueillir les insectes dans leur alimentation, les Québécois leur feront une place graduellement, remarquent les entrepreneurs qui exploitent le créneau. «Au début, je voulais offrir des produits avec des insectes apparents, m’expliquait l’été dernier Marie-Loup Tremblay, de uKa protéine, mais après des études de marché, j’ai réalisé que si pour moi c’était correct de les voir, ça ne l’était pas pour tout le monde.» C’est pourquoi ses barres à saveur de thé vert, matcha et cerises ou de chocolat-cayenne sont faites à partir de farine d’insectes qui sont donc invisibles à l’œil.

Mais, selon Marie-Loup, «pour que la mentalité change, c’est simplement une question de culture et d’éducation. Un bon marketing fera le reste», me disait l’entrepreneure qui pouvait même imaginer des tarentules au menu du Toqué! en 2050.

Laura Shine, étudiante au doctorat, est du même avis. Récemment en entrevue à Radio-Canada, celle qui s'intéresse au développement commercial des insectes, mais aussi à la perception des consommateurs, disait chercher le moyen de faire passer les Québécois du dégoût au désir. Voilà, selon elle, le plus grand obstacle pour les bestioles: contrer ce stigmate de saleté et cette réticence culturelle dont font preuve ici les consommateurs. D’ailleurs, selon elle, le Canada est en retard comparativement aux États-Unis ou encore plus à l’Europe en ce qui a trait à la consommation d’insectes.

Approvisionnement local

Preuve que la tendance est là: si la plupart des insectes consommés ici jusqu’à aujourd’hui sont importés du Mexique ou d’une ferme d’élevage en Ontario, un projet de ferme est en développement au Québec, dans les Cantons-de-l’Est, ce qui permettrait bientôt aux entreprises qui s’intéressent aux insectes de s’approvisionner localement.

Nourriture du futur

Vous restez malgré tout réticents? Vous n’aurez peut-être bientôt plus le choix de vous régaler d’insectes. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture prévoit d’ici 2050 «une augmentation constante de la population mondiale jusqu’aux 9 milliards de personnes, forçant une augmentation de la production alimentaire humaine et animale résultant à une grave pression sur l'environnement». Devant ce constat, l’organisation voit les insectes comme une solution alimentaire viable.
Pourtant, ce n’est pas sous cet angle que les amateurs d’insectes veulent qu’on les perçoive. C’est plutôt leurs qualités nutritives et leur goût qui devraient nous séduire. Êtes-vous prêts à leur faire une place?