Karine Awashish et son fils lors du tournage du documentaire sur l’économie circulaire Tes déchets, ma richesse, accessible sur Tou.tv. Photo: @PVP Média

Économie circulaire: l’exemple atikamekw

Alors que de plus en plus d’entreprises bioalimentaires s’intéressent au principe de l’économie circulaire, des représentants des Premières Nations comme Karine Awashish, originaire de la communauté atikamekw d’Obedjiwan, nous invitent à repenser notre consommation alimentaire en nous tournant vers nos racines.



Avant que l’industrialisation et le phénomène de consommation, puis de surconsommation et de gaspillage alimentaire n’apparaissent dans nos sociétés occidentales, nos aïeux vivaient au rythme des saisons, selon ce que la terre, la chasse, la pêche et la cueillette pouvaient leur offrir, et ils maximisaient chaque produit ou sous-produit alimentaire qu’ils avaient entre les mains.

Les membres des Premières Nations, qu’ils fussent sédentaires ou nomades, avaient la même approche, mais à un degré supérieur, puisque les notions de communauté et de nature y étaient et y sont toujours prépondérantes. Comme l’explique Karine Awashish, doctorante en sociologie et cofondatrice de la Coop Nitaskinan, un organisme autochtone de solidarité, «certains emblèmes centraux de la culture atikamekw, comme celui de l’orignal qui assurait notre survie, représentent bien le rapport étroit que nous entretenons traditionnellement avec l’économie circulaire. Effectivement, dans notre culture, nous utilisons l’animal au complet, synonyme de nourriture, mais aussi de confection d’outils, de vêtements et d’accessoires. Nous respectons aussi cette ressource et son environnement pour qu’elle soit durable et nourrisse les prochaines générations. Enfin, comme nous fonctionnons en communauté, il y avait à l’époque des individus ou des familles qui partaient à la chasse, et d’autres, doués pour l’artisanat, qui transformaient toutes les parties de l’animal qui restaient une fois la chair ôtée».

«Dans notre culture, nous utilisons l’animal au complet, synonyme de nourriture, mais aussi de confection d’outils, de vêtements et d’accessoires.» Photo: Clem Onojeghuo, Unsplash

Reprendre contact avec sa nourriture

L’économie circulaire ne s’arrête pas, aux yeux de Mme Awashish, à la revalorisation de fruits ou de légumes moches, ou encore à la récupération de sous-produits végétaux ou animaux, même si cette initiative est louable. Pour elle, il faut aussi penser à l’écosystème qui les sous-tend, ce qui implique de tenir compte de la saisonnalité, de l’environnement et des quantités de chaque ressource.

«Traditionnellement, les Atikamekws ne fonctionnent pas selon quatre, mais plutôt selon six saisons qui sont étroitement liées avec des activités pour s’alimenter, indique la sociologue. Actuellement, en hiver (Pipon), nous réalisons des trappes et de la pêche sur glace. Au pré-printemps (Sikon), les érables commencent à couler, ce qui nous permet de faire du sirop. Au printemps (Miroskamin), c’est le temps de la chasse aux outardes, aux grives et aux canards. À l’été (Nipin), nous pêchons et faisons de la cueillette. Lorsque l’automne (Takwakin) arrive, la pêche se poursuit, mais c’est la chasse à l’orignal qui domine. Enfin, pendant le pré-hiver (Pitcipipon), la trappe recommence, car c’est à cette époque de l’année que les fourrures des animaux sont les plus belles.»

Ce respect des cycles naturels est très important pour les Atikamekws, même si Karine Awashish admet qu’il y a aujourd’hui une différence nette de mode de vie lorsqu’on vit dans la réserve, gagnée par des habitudes de consommation modernes, et lorsqu’on part dans le bois, où les valeurs traditionnelles continuent d’être transmises aux nouvelles générations.

«Voilà pourquoi il est aussi important d’être en contact avec sa nourriture, dit-elle. En chassant, en pêchant, en cueillant, ou même en faisant son jardin, on retisse le lien sensible que nos ancêtres avaient auparavant avec leurs aliments et leur territoire. On redonne à la nourriture son caractère sacré.»

Il est effectivement nettement plus facile de comprendre ce que représente le sacrifice d’un animal quand on l’élève ou qu’on le chasse que quand on se contente de l’acheter sous forme de filets dans une barquette. De la même manière, il est plus évident de saisir que les fraises qu’on trouve en magasin en décembre sont contre nature quand on en fait pousser ou qu’on en cueille en été; et ce, même si certains fabricants revalorisent ces mêmes fruits invendus sous forme de compotes, de jus ou de smoothies.

Il est plus facile de comprendre ce que représente le sacrifice d’un animal quand on l’élève ou qu’on le chasse que quand on se contente de l’acheter sous forme de filets dans une barquette. Photo: Patrick Fischer, Unsplash

Un nouveau pacte alimentaire et social

L’économie circulaire est selon Karine Awashish le seul modèle économique viable à long terme pour l’humanité. «Le modèle capitaliste de croissance infinie qui est le nôtre est insoutenable, nous arrivons à un point de rupture», prévient-elle.

Cette logique est encore plus vraie selon elle dans le domaine alimentaire, alors que le gaspillage règne et que les procédés d’agriculture, d’élevage, de pêche et de transformation industriels appauvrissent le sol et les ressources, consomment énormément d’énergie et sont loin d’être écologiques.

«Nous devons impérativement changer nos habitudes de consommation, sinon je doute que nous survivions encore cent ans. Mais encore faut-il, ajoute-t-elle, ne pas penser qu’en matière d’habitudes ni même d’environnement. Il faut que tout cela s’accompagne d’une meilleure équité sociale.» Face à une petite partie de la société qui accumule toujours davantage, tandis qu’une autre bien plus importante se paupérise, le panier alimentaire bio hebdomadaire ou les produits revalorisés ne sont pas accessibles à tous aux yeux de la sociologue. Si une famille n’a pas d’argent, elle continuera en effet à s’alimenter avec ce qui lui coûtera le moins cher, à savoir ici des aliments ultra-transformés.

La militante voit quand même de manière positive l’attrait croissant pour l’économie circulaire. À la tête de sa coop Nitaskinan, dont les projets sont consacrés au développement socioéconomique et culturel porté par une vision et des valeurs autochtones, les initiatives à connotation circulaire s’enchaînent. Elle participe aussi à titre de conférencière à des rencontres touchant l’économie circulaire, à l’image du sommet lanaudois sur la question bioalimentaire qui aura lieu le 18 janvier prochain. Pour elle, la transmission des savoirs constitue, comme elle l’a été à travers l’histoire de sa Nation, la clé pour un avenir plus radieux. «Je mise sur les prochaines générations!» conclut-elle.