La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Voyager en Asie pendant la folie du COVID-19

Après avoir bourlingué onze jours au Sri Lanka et trois à Singapour, je m’apprête à prendre un train qui m’emmènera jusqu’à Bangkok. Comment se vit la crise du coronavirus, de l’intérieur? Je vous résume mon expérience…



D’abord, bien qu’on nous montre des images de gens masqués dans les médias, sachez que le continent ne s’est pas non plus transformé en armée de mutants. Oui, certains le portent, mais ce n’est pas non plus la majorité. Ensuite, on sait maintenant que les masques chirurgicaux ne filtrent pas l’air de manière adéquate à protéger du virus, de toute façon. Ils peuvent toutefois protéger les autres de nos microbes.

Photo: Marie-Julie Gagnon

Avant mon départ, j’ai tenté de dénicher des masques plus rigides, les N95, qui, eux, offrent une meilleure protection. Devant la pénurie, ma mère est allée m’en acheter près de chez elle, au Lac-Saint-Jean. J’ai ainsi pu partir avec quatre masques qui, bien ajustés, pouvaient faire une différence. Le hic? En lisant sur le sujet, j’ai appris que l’efficacité dudit masque ne dure que quatre heures. Considérant les quelque 23 heures de vol qui m’attendaient – sans parler des escales –, j’ai décidé d’en porter un seulement lors du trajet entre Hong Kong et Colombo.

Si, dans l’avion, peu de gens étaient masqués, à l’aéroport de Hong Kong, ils étaient tout de même plus nombreux. C’est aussi à cet aéroport qu’on a pris ma température pour la première fois, en un clic sur le front. J’ai également dû remplir une déclaration attestant que je n’avais pas visité la Chine continentale au cours des 14 jours précédents et que je ne présentais aucun symptôme de rhume ou de grippe. L’exercice s’est répété chaque fois que je me suis rendue dans un aéroport depuis.

La température se prend un en clic sur le front, dans les aéroports et à l'hôtel. Photo: Marie-Julie Gagnon

En arrivant au Sri Lanka, j’ai bien aperçu des poubelles installées exprès pour les masques, mais en me baladant à travers le pays, j’ai vu très peu de gens en porter. J’ai consulté distraitement les gros titres des journaux au cours des jours suivants, refusant que mon voyage soit teinté par le sensationnalisme ambiant.

Une poubelle pour les masques, à l'aéroport de Colombo. Photo: Marie-Julie Gagnon

À Singapour, toutefois, l’actualité m’a rattrapée. Impossible d’oublier qu’on nage en pleine crise: on nous le rappelle constamment, à grands coups d’affiches résumant les mesures de base à prendre – se laver les mains fréquemment, notamment – tous les dix pas (ou à peu près!). Ici, on ne blague pas avec les règles. Avant d’entrer dans les hôtels, on prend notre température. Le tout est fait dans la bonne humeur. Personne ne semble au bord de la panique: on fait ce qu’il y a à faire avec le sourire, poussant même des blagues de temps en temps. Je me suis par contre vu refuser l’accès à un temple, interdit aux touristes, peu importe leur provenance, à cause du virus.

À l'aéroport de Singapour, les affiches nous rappellent qu'on est en pleine crise. Photo: Marie-Julie Gagnon

Un chauffeur de taxi m’a dit évaluer à environ 50% la perte de ses revenus depuis le début de la crise. Un couple vivant dans la cité-État croisé à Sentosa Island, secteur très touristique pourtant désert lors de mon passage, m’a confié trouver la ville particulièrement calme. «Les Chinois ne viennent plus, et les Indiens non plus!» a lancé la jeune femme.

À l'hôtel, où on prend régulièrement ma température. Photo: Marie-Julie Gagnon

Les bons côtés?

Je dois cependant admettre trouver rassurante la mise en place de ces mesures. J’étais beaucoup plus stressée avant de partir, devant les bilans martelés dans les médias, que je le suis maintenant. Un peu comme chaque fois qu’il m’est arrivé de vivre un typhon quand j’habitais à Taïwan: sur place, on s’y prépare et on gère, alors que les médias internationaux semblent rapporter l’apocalypse… Bien sûr, la comparaison est un peu boiteuse puisqu’il s’agit ici d’un nouveau virus et qu’on ne comprend pas encore tout à fait la bête, mais constater de visu que tout est mis en place pour éviter la contagion m’apaise beaucoup plus que de lire les journaux. Loin de moi l’idée de minimiser le problème, mais je ne crois pas que de sombrer dans la paranoïa règle quoi que ce soit.

Je me suis vu refuser l’accès à un temple, interdit aux touristes, peu importe leur provenance, à cause du virus. Photo: Marie-Julie Gagnon

Si ne pas faire la file dans les attractions touristiques constitue sans contredit un avantage de la situation actuelle, pour moi, le bon côté s’est surtout avéré économique. J’ai non seulement déniché une chambre dans un hôtel 4,5 étoiles au tiers du prix à Singapour, mais on m’a en plus surclassée. En me baladant dans les boutiques de Little India, j’ai rapidement réalisé que l’absence de touristes pouvait aussi être un bon argument pour négocier, même si les vendeurs, eux, tentaient de tirer parti de la situation à leur avantage.

En me baladant dans les boutiques de Little India, j’ai rapidement réalisé que l’absence de touristes pouvait aussi être un bon argument pour négocier. Photo: Marie-Julie Gagnon

Je rédige ces lignes quelques minutes après avoir effectué l’enregistrement de mon voyage en train, qui durera trois jours. Quand j’ai demandé au préposé aux bagages s’il était complet – il l’est toujours, des semaines à l’avance! –, il m’a glissé que 60% des passagers avaient choisi d’annuler leur voyage à cause du virus. Est-ce la raison pour laquelle j’ai été ici aussi surclassée?

Voyager ou pas?

Maintenant, est-ce une bonne idée de venir en Asie en ce moment? Les avis sont partagés. A priori, ce n’est pas idéal de partir alors qu’on nage en pleine incertitude. Certains cas sont plus extrêmes: le fils d’un ami a vu son voyage scolaire au Cambodge annulé pour des raisons d’assurances. Je pense que c’est surtout dans ce genre de questions que réside l’essentiel de la prise de décision. Contacter sa compagnie d’assurances me semble la première chose à faire si l’on a prévu un voyage dans l’une des zones touchées ou si on souhaite en préparer un.

Cela dit, il n’est pas dit non plus qu’il sera possible d’annuler pour ceux qui souhaitent le faire! Les agents de voyages sont actuellement débordés. «Si le ministère des Affaires étrangères du Canada émet un avis recommandant aux Canadiens d’éviter un pays, les voyageurs qui détiennent une assurance voyage pourront assez facilement se faire rembourser leur billet d’avion», rappelle Radio-Canada.

Pour ma part, je n’ai pas regretté une seconde d’avoir effectué ce voyage. J’espère toutefois ne présenter aucun des symptômes surveillés d’ici mon départ parce que la moindre petite poussée de fièvre pourrait transformer ce voyage de rêve en cauchemar… Pour le moment, en tout cas, je sais que ma température oscille entre 36 et 36,8 degrés de manière assez constante tous les jours. Alors, autant tirer profit de la situation!