La chronique Vins et alcools avec Jessica Harnois

Auteur(e)

Jessica Harnois

Sommelière et animatrice, Jessica Harnois a travaillé pour les plus grands établissements au monde, a occupé le poste de sommelière en chef à titre d’acheteuse de vins pour les Services SAQ Signature, a été responsable du Courrier vinicole et de la prestigieuse Cave de garde de la SAQ, en plus d’avoir été présidente de l’Association Canadienne des Sommeliers Professionnels et Vice-Présidente de l’APAS (Alliance Pan-Américaine des Sommeliers). Avec l’agence d’animation Vins au Féminin, elle a conceptualisé le jeu Dégustation Vegas qui démocratise le vin. Vous pouvez la voir à la télé, l’entendre à la radio et la lire dans plusieurs magazines.

Vigneronnes, maître de chai et brasseuses: ces femmes qui osent

On voit de plus en plus de femmes s’impliquer dans ces domaines traditionnellement réservés aux hommes. Je pense à celles qui travaillent dans l’industrie vinicole et brassicole, qu’elles soient à la tête d’entreprises, vigneronnes, brasseuses ou encore maîtres de chai.



Surmontant les obstacles encore liés au fait même d’être femme, elles acquièrent la reconnaissance de leur compétence et le respect de leur expertise, faisant bouger l’industrie à leur manière et pour le mieux.

Il est plus que temps que les femmes soient mieux représentées dans ces industries. Il s’agit d’une étape charnière pour démocratiser le monde du vin et le rendre accessible à toutes les femmes, peu importe leur âge, leur historique et leur expérience. La présence de ces joueuses contribue à normaliser la diversité et apporte un vent de fraîcheur à un art millénaire.

Créer les occasions de s’entraider

L’un des traits qui caractérisent l’entrepreneuriat au féminin, c’est l’entraide. Justement, un peu partout, des événements de mentorat sont organisés par et pour les femmes qui évoluent dans l’univers du vin et des alcools. C’est le cas ici même au Canada («Women in wine mentorship event»), mais aussi en Europe («Elles font bouger le vin 2020») et ailleurs.

De plus en plus de regroupements se forment. Par exemple, la Californie a son Red Cabinet pour les femmes occupant des postes de direction dans l’industrie du vin, alors qu’en Italie, Le Donne del vino se donne comme mission de promouvoir les initiatives menées par des femmes dans le domaine vinicole. Aux États-Unis, on retrouve la Pink Boots Society pour les femmes œuvrant dans le monde de la bière.

Il existe aussi une association internationale, Women Do Wine, qui regroupe près de 500 sommelières, vigneronnes, chroniqueuses et même amatrices à travers le monde. En effet, pas besoin d’être une experte pour aimer le vin, le goûter, l’étudier et le découvrir.

Des femmes inspirantes

On sait que les femmes ont encore tendance à se faire moins confiance et donc à se sentir plus intimidées lors des dégustations. Pour vous inspirer, voici quelques femmes leaders dans leur domaine. Non seulement elles nous offrent des produits exceptionnels, mais elles prouvent aussi que le vin n’est pas une affaire de genre, mais plutôt de passion.

Angela et Marianna Velenosi: de mère en fille

Quand Angela Velenosi s’est lancée dans l’industrie vinicole il y a 30 ans, les femmes étaient rares dans le domaine! Les défis n’ont d’ailleurs pas manqué durant sa carrière. Tout d’abord, sa région, Les Marches, était jusque-là méconnue dans le monde du vin. Située entre la Toscane, le Piémont et les Abruzzes, elle avait de la forte concurrence. Cela ne l’a pas empêchée de créer un vignoble de A à Z, à partir de ses neuf premiers hectares de vignes, pour éventuellement devenir l’une des plus importantes productrices de vin des Marches. De plus, 50% du domaine est déjà bio et toutes les parcelles seront bientôt certifiées. Ces valeurs sont partagées par sa fille Marianna, qui a joint l’entreprise tout récemment.

Cette dernière était justement de passage à Montréal en février pour présenter les produits de leur maison. La caractéristique qui décrit le mieux ces vins est leur incroyable rapport qualité-prix. Leur classique Brecciarolo, par exemple, se détaille à seulement 14,60$. Pour bien découvrir tout le potentiel de cette maison, je vous conseille le Roggio del Filare, un rosso piceno (montepulciano et sangiovese) supérieur qui s’est taillé une place à côté des meilleurs vins d’Italie, qui se vendent dix à vingt fois plus cher, comme le Tignanello. Révélant un bouquet complexe et intense de fruits noirs et d’épices, ce vin charme par sa texture généreuse et sa finale chaleureuse. À conserver dans sa cave plusieurs années.

Velenosi Roggio del Filare 2016. Vin rouge, 750 ml. 32$

Margo Van Staaveren, Château St-Jean, créatrice d’assemblage et de saveurs

Nommée «Wine Maker of the Year» par le magazine Wine Enthousiast en 2018, Margo Van Staaveren a plusieurs années d’expérience à son actif. Trente-huit, pour être exact. C’est dans la région de Sonoma, en Californie, qu’elle exerce son art, en particulier celui de l’assemblage. Reproduire le même style année après année est un défi qui la passionne, tout particulièrement avec ses vins de réserve et son produit signature, le Cinq Cépages, que j’ai eu la chance de déguster il y a deux ans. C’est un vin qui s’envole aussitôt arrivé sur les tablettes.

Pour vous donner une idée de ce qui se trouve dans ces bouteilles, vous pourrez essayer ce cabernet sauvignon composé du cépage du même nom ainsi que de merlot et de petit verdot. Juteux à souhait, équilibré, avec des arômes intenses de fruits noirs et une trame tannique agréable, il pourra être bu tout de suite ou conservé encore plusieurs années. Et malgré le plaisir qu’a Margo Van Staaveren à assembler les raisins, ses monocépages ne sont pas en reste, comme le prouvent leurs chardonnays fort bien équilibrés.

Château St-Jean Cabernet Sauvignon Alexander Valley 2012. Vin rouge, 750 ml. 30,25$

Anne-Marie Lachance et Élise Cornellier Bernier: 15 ans à brasser de la bière

Typiquement masculine, la bière? Oh, que non! Une chercheuse affirme même que des femmes, et non des moines, auraient été les premières brasseuses de cette boisson désaltérante (Noëlle Phillips, Craft Beer Culture and Modern Medievalism: Brewing Dissent). Être brasseuse au Québec n’est pas une nouveauté – la province ferait même office de pionnière à ce chapitre depuis 20 ans, selon Janine Marois, directrice générale du Mondial de la bière. Et, fait intéressant, la présence des femmes dans l’industrie serait directement liée à la popularisation des microbrasseries et des bières fines, plus près du terroir que des bières commerciales.

Anne-Marie Lachance et Élise Cornellier Bernier se sont installées aux Îles-de-la-Madeleine en 2002. Elles dirigent maintenant la merveilleuse brasserie À l’abri de la tempête, qu’elles ont créée et qui est aussi un pub. Elles produisent sans contredit des bières qui se classent parmi les meilleures de la province et peut-être même du monde! Mon coup de cœur est la Corne de Brume, une scotch ale extra-forte avec ses 9% d’alcool. Elle est tout ce qu’on espère d’une scotch ale: caramélisée, voire chocolatée, avec des notes de café, de fruits rouges, de fruits séchés et même de banane, ainsi qu’une belle amertume pas trop puissante. À découvrir avec des fromages!

Coup de cœur pour la Corne de Brume, une scotch ale extra-forte avec ses 9% d’alcool. Photo : À l'abri de la tempête

Corne de Brume, À l’abri de la tempête. Bière scotch ale extra-forte, 9%

Mesdames, n’hésitez pas à prendre votre place dans le monde du vin, des bières et des spiritueux. Nous sommes de plus en plus nombreuses dans ces domaines et c’est tant mieux. Faites-vous confiance et, si le cœur vous en dit, joignez-vous à des associations qui promeuvent le travail exceptionnel des femmes.

Je lève mon verre à toutes les pionnières qui n’ont reculé devant rien, ni les obstacles, ni les biais (inconscients ou non), et qui ont su réaliser leurs rêves, pour notre plus grand plaisir!

Bonne Journée internationale de la femme à toutes!