Nouveau Guide alimentaire canadien: quelles sont les réactions?

Après une dernière version qui datait de 2007, on a (enfin!) lancé la nouvelle mouture du Guide alimentaire canadien. Qu’en pensent les experts? Survol des réactions à propos de ce nouvel outil de santé publique et entretien sur le sujet avec la nutritionniste Hélène Laurendeau.



Le nouveau Guide était attendu avec impatience par la plupart des nutritionnistes, qui estimaient que celui qui servait encore était désuet et n’était pas en phase avec l’évolution des nouveaux savoirs alimentaires (dans ce Guide, le jus de fruits comptait encore comme une portion de fruits!).

La nutritionniste Hélène Laurendeau est de ceux qui avaient hâte de voir sortir le nouveau document. «Je ne m’en sers pas nécessairement dans ma pratique, a-t-elle expliqué lors d’une entrevue accordée à Avenues, mais il était dépassé depuis longtemps! Il ne tenait pas compte des changements alimentaires et ne faisait aucune nuance.»

Elle donne en exemple le fait que l’ancien Guide ne faisait parfois pas de distinction entre différents produits d’un même groupe alimentaire. «Entre autres, dans le groupe des viandes et substituts, choisir de la viande rouge ou des charcuteries, ce n’est pas la même chose que d’opter pour du poisson ou des légumineuses! Pourtant, tout était regroupé!»

Changements majeurs

Visuellement, ce nouveau Guide, lancé le 22 janvier 2019 par la ministre de la Santé Ginette Petitpas-Taylor, a laissé tomber l’arc-en-ciel des quatre groupes alimentaires pour plutôt présenter une assiette remplie à moitié de fruits et de légumes variés, au quart d’aliments à grains entiers comme du pain, des pâtes ou des céréales, et au dernier quart d’aliments protéinés comme des produits laitiers (qui formaient autrefois un groupe alimentaire à eux seuls), des œufs, des noix, de la viande, du poisson ou du tofu. À côté de l’assiette: un verre d’eau, un liquide qui, selon le nouveau Guide, devrait devenir la boisson de choix des Canadiens.

Outre ce changement visuel et cette modification des groupes alimentaires, entre l’ancien Guide et le nouveau, les différences sont nombreuses. Hélène Laurendeau remarque trois changements majeurs.

D’abord, elle souligne le fait que le Guide a été élaboré sans subir ni l’influence ni les pressions de l’industrie, en écartant les lobbys et les études subventionnées par l’industrie alimentaire. Ainsi, selon la nutritionniste, contrairement à ce qui avait été fait dans le passé, les recommandations de ce nouvel outil de santé publique sont uniquement basées sur ce que la science estime qu’il faut manger pour être en bonne santé.

Ensuite, Hélène Laurendeau fait remarquer que les groupes et les portions ont été éliminés afin de faciliter la compréhension. «Il ne s’agit plus de portions, mais de proportions», a d’ailleurs illustré dans les médias le Dr Hasan Hutchinson, directeur général de la politique et de la promotion de la nutrition chez Santé Canada.

Hélène Laurendeau souligne une dernière grande nouveauté: «Le nouveau Guide ratisse beaucoup plus large que le contenu de notre assiette et prend aussi en considération notre façon de manger. Il met l’accent sur d’autres facteurs qui peuvent favoriser une meilleure santé, comme l’importance des compétences alimentaires et culinaires et des repas maison pris en bonne compagnie, entre autres.» D’ailleurs, pour la première fois, puisqu’on encourage les consommateurs à faire des choix alimentaires éclairés, la nutritionniste estime que l’assiette proposée est plus pérenne pour l’environnement.

Un nouveau Guide apprécié

La nouvelle mouture du Guide comporte plusieurs aspects positifs si on en croit les experts qui, pour la plupart, l’accueillent favorablement.

C’est l’absence de l’influence de l’industrie alimentaire «que l’on sent pour la première fois dans cet outil» qui réjouit le plus la nutritionniste Isabelle Huot.

Bernard Lavallée, de son côté, applaudit la disparition du concept de portions puisque selon lui, «nos problèmes de santé publique nécessitent qu’on mange moins et moins transformé». Il ajoute: «Recommander un minimum de certains aliments à consommer avait du sens à l’époque où les gens manquaient de vitamines et de minéraux, mais plus aujourd’hui.»

Même son de cloche du côté d’Hélène Laurendeau, qui estime que la disparition des portions et des groupes d’aliments et des chiffres est «révolutionnaire». Ainsi, les gens doivent écouter leur faim et prendre le temps de manger.

Selon la nutritionniste, le nouveau Guide propose une assiette rassasiante et pleine de bons ingrédients. Elle ne s’inquiète pas de la disparition des portions puisque l’outil propose désormais une assiette qu’il faut «mastiquer». En effet, exit les jus de fruits qui remplacent les fruits. Et pour Hélène Laurendeau, ce temps qu’il faut prendre à manger permet de se sentir plus rassasié.

De plus, pour la nutritionniste, les recommandations restent assez simples et offrent des centaines de combinaisons «pour bien manger». Selon elle, «nul besoin d’être un chef pour suivre les nouveaux conseils».

Tout de même, pour continuer à guider les écoles, les milieux de travail ou les établissements de santé à penser leurs menus en fonction des quantités, comme ils en avaient l’habitude, Santé Canada proposera plus tard cette année des lignes directrices plus détaillées.

Le professeur de nutrition à l’Université de Montréal Jean-Claude Moubarac a quant à lui souligné «ce grand pas en avant» qu’a fait le nouveau Guide en indiquant clairement pour la première fois que certains produits peuvent devenir malsains lorsque trop souvent consommés. Ainsi, le nouvel outil met en garde contre les boissons gazeuses, les laits aromatisés, les jus de fruits, les aliments transformés et l’alcool.

Bémols à propos du Guide

Mais attention: tout n’est pas parfait dans ce nouveau Guide et certaines personnalités publiques le dénoncent ouvertement, disant que le document vient renier notre histoire et notre culture culinaire. Des experts ont aussi plus posément exprimé leurs réserves.

Hélène Laurendeau, par exemple, se demande ce que les consommateurs vont comprendre de ce nouveau Guide. «Déjà, après 24 heures, j’ai plusieurs indices qui prouvent que la compréhension du grand public peut être erronée.»

Selon elle, dans la nouvelle assiette illustrée, le groupe des fruits et légumes est visuellement bien représenté. On peut ensuite à son avis deviner que tout n’a pas pu être représenté du côté des grains entiers ou des viandes et substituts. Mais pour elle, le groupe «qui souffre le plus, c’est celui des produits laitiers». En effet, l’ensemble de ce groupe d’aliments n’est représenté sur l’image que par un petit pot de yogourt. Cela inquiète la nutritionniste, qui redoute une mauvaise compréhension. «Ce que les gens pourraient interpréter, c’est qu’il ne faut plus boire de lait. Pourtant, le lait est quand même un aliment local qui fait partie de notre culture alimentaire, minimalement transformé, à très haute valeur nutritive et qu’on peut incorporer à l’alimentation à toute heure du jour.» La nutritionniste nuance: «On peut très bien se passer de lait, mais le fait qu’il n’y ait qu’un seul représentant de toute la grande famille des produits laitiers me fait craindre les raccourcis.»

Bernard Lavallée dénonce quant à lui le fait que Santé Canada n’encourage pas assez clairement la diminution de la consommation d’aliments transformés.

Le professeur Jean-Claude Moubarac se questionne de son côté sur l’accessibilité des produits sains mis de l’avant dans le nouveau Guide, qui ne sont pas, selon lui, toujours les moins chers.

Un Guide pour l’avenir

Tout de même, Hélène Laurendeau, positive, estime que le nouvel outil de santé publique est suffisamment clair et fort pour arriver à changer certaines habitudes alimentaires. «L’objectif du Guide, c’est de dire aux consommateurs quoi choisir pour être en santé. Aujourd’hui, 60% du panier des gens est constitué d’aliments transformés. Je crois que le nouveau Guide peut faire diminuer ce chiffre, et je l’espère, parce qu’en choisissant des aliments sains, chaque consommateur fait un meilleur placement pour sa santé. Et la santé, c’est ce qui te permet de faire toutes les activités désirées et de profiter de la vie. La santé, c’est la liberté!»