La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Toutes les nuances de la rentrée

Mes poupous sont en classe. C’est fait. Sains et saufs après leur été à courir les chalets et les camps orientés autour de leurs passions respectives. Ils sont gâtés pourris et, bien sûr, ils ne s’en rendent pas compte.



À leur âge, ma sœur et moi passions les vacances scolaires à faire des coups au téléphone, à manger des pogos cuits au micro-ondes et à regarder des reprises de soaps américains.

Attendez, non seulement ils sont en classe, mais, ô miracle – c’est presque devenu un luxe –, ils ont une enseignante. Une vraie de vraie avec brevet, expérience et tout le bataclan. Ma fille, elle, a un enseignant, Olivier, qu’elle aime déjà! Je pense qu’ils avaient peur de me voir prendre leur classe en charge entre deux piges (gnacgnacgnac).

Maintenant, prions pour que ces anges de l’enseignement restent toute l’année. Je ne ferai pas la mère chialeuse, promis juré. Je peux même offrir le vin le vendredi.

N’empêche qu’en cette rentrée, il reste encore 2707 postes d’enseignant à combler dans les écoles primaires et secondaires de la province, selon la plus récente mise à jour du tableau de bord du ministère de l’Éducation du Québec (MEQ).

Je comprends qu’avec de telles urgences, le Lab-École lancé en 2017 par le Parti libéral du Québec (PLQ) et maintenu par la Coalition avenir Québec (CAQ) ne devait plus être au cœur des priorités du gouvernement, qui vient d’y mettre un terme.

Je comprends aussi la déception de Pierre Thibault, Pierre Lavoie et Ricardo Larrivée, qui étaient au cœur de cette initiative orientée autour de l’architecture, de la nutrition et du sport dans les écoles, mais je n’ai jamais compris pourquoi la lecture ne faisait pas partie intégrante du projet. Attention, je ne fais pas que prêcher pour ma paroisse: chiffres et statistiques à l’appui, la présence accrue de livres et d’espaces dédiés à cet effet dans les institutions scolaires a des impacts concrets sur le mieux-être des jeunes.

La présence accrue de livres et d’espaces dédiés à cet effet dans les institutions scolaires a des impacts concrets sur le mieux-être des jeunes. Photo: Depositphotos

Je ne cesserai jamais de cogner sur ce clou. Surtout après qu’une étude de l’Université du Colorado à Boulder a révélé cet été dans la revue PNAS que, sur plus de 1500 ouvrages interdits dans des bibliothèques publiques américaines en 2022-2023 – une liste établie par la section américaine de PEN, un regroupement international d’écrivains qui défend la liberté d’expression –, la plupart étaient des livres pour enfants, en majorité écrits par des auteurs de minorités ethniques. On les jugeait trop sulfureux (à 39%) ou trop sexuels (à 19%).

Ça se passe chez nos voisins du Sud, vous me direz. N’oublions pas qu’en février dernier, la Bibliothèque publique juive de Montréal avait décidé de retirer les livres de l’auteure Élise Gravel de ses étagères. Restons vigilants. La censure est la première arme des dictatures des extrémistes et des fanatiques religieux ou autres. Quant aux autodafés, ils ont notamment été pratiqués par l’Inquisition et les nazis. Même comme société industrialisée, nous ne sommes pas complètement à l’abri des libricides.

Au chapitre des aberrations dont nous parviennent des échos, depuis le retour des talibans au pouvoir, en Afghanistan, le 15 août 2021, il n’y a que les filles d’âge primaire qui peuvent aller à l’école. Plus de rentrée scolaire possible pour elles après l’âge de 12 ans. Facile d’imaginer à quel point la scolarisation des femmes au pays a pu régresser, déjà qu’elles ne peuvent désormais plus laisser paraître le moindre bout de peau, faire entendre leur voix en public, chanter ou lire à voix haute. On les supprime à petit feu. Elles peuvent encore respirer. Fiou.

C’est pour ça qu’en contrepartie, ici, il faut faire de l’école et de la lecture des priorités nationales. Continuer de parler, d’écrire et de lire, redoubler d’ardeur même, c’est ajouter nos voix à toutes celles qui s’élèvent contre ces grossièretés talibanes. Du coup, sachant cela, notre rentrée québécoise n’a déjà plus la même saveur.