Sucre dans le vin: faut-il se méfier?
En 2016, la SAQ prenait la décision d’afficher le taux de sucre résiduel contenu dans les vins vendus en succursale ou sur le web. Cette décision a eu un impact réel sur les consommateurs québécois, qui se tournent de plus en plus vers les vins secs. Tendance ou sage décision? On revisite cette semaine quelques croyances en lien avec le sucre et le vin.
«Les sucres résiduels sont un défaut dans le vin.»
La croyance que le sucre est un défaut du vin a des fondements qui se comprennent. Longtemps, au Québec, les vins tranquilles – c’est-à-dire sans bulles – les plus populaires ont été des produits industriels contenant parfois jusqu’à 40 grammes de sucre par litre (g/L), y compris des sucres ajoutés, alors que la moyenne se situe plutôt autour de 4 g/L. Malheureusement, les grandes entreprises peuvent se servir du sucre pour camoufler des défauts, comme on le fait d’ailleurs parfois avec un bois trop intense.
Or, il est naturel de trouver des sucres dans les vins. Ce dernier est fait à base de raisin, un fruit naturellement sucré. La plus grande partie de ces sucres est transformée en alcool lors de la fermentation; ceux qui restent sont appelés «sucres résiduels».
De plus, on ajoute parfois du sucre au vin pour l’équilibrer, ce qu’on appelle le dosage, une pratique très courante, notamment pour les mousseux qui sinon seraient trop acides et imbuvables. C’est pourquoi un champagne à 12 g/L ne goûte pas sucré. On dit alors qu’il est équilibré. Alors, non, les sucres résiduels ne sont pas un défaut, mais ils peuvent être mal utilisés.
«Les vins secs sont meilleurs pour la santé.»
Le sucre a la vie dure ces années-ci. On ne compte plus les documentaires qui l’accusent de tous les maux de santé de la société – et je ne dis pas qu’ils ont tort. Mais qu’en est-il du sucre dans le vin?
En réalité, son apport à notre diète sans sucre est en général minime. Un vin sec, sous la barre des 4 g/L, ne comptera par verre qu’environ 0,5 à 1 g de sucre. Même en prenant un vin à 13 g/L, comme l’ancien Ménage à Trois – qui est maintenant passé à 4 g/L –, on reste avec moins de 2 g de sucre dans son verre. En comparaison, un sachet de sucre dans son café équivaut à 5 g de sucre, un verre de jus d’orange, entre 20 et 25 g de sucre, et une cannette de Coca-Cola, 30 g.
En fait, ce qui est mauvais pour la santé est l’alcool lui-même, pas le sucre. C’est là aussi que se retrouvent les calories (environ 120 calories par verre). D’ailleurs, un rapport publié à la fin août 2022 par le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) recommande de passer à moins de six consommations par semaine, non pas à cause du sucre, mais à cause de l’alcool. En fin de compte, avec le vin, c’est à l’alcool qu’il faut faire attention plus qu’au sucre.
«Les vins sucrés s’accordent seulement avec le foie gras et les desserts.»
Erreur! Les vins demi-secs, doux et liquoreux s’accordent avec une multitude de plats. Ils sont certes plus difficiles à coupler avec des mets principaux, et les liquoreux sont, en effet, délicieux avec le foie gras et les desserts, mais on peut essayer une panoplie d’autres combinaisons. Ainsi, des mets thaïlandais épicés iront bien avec un vin demi-sec. Un autre accord classique: les sushis et les vins semi-doux. Saviez-vous qu’on peut aussi accorder un vin liquoreux avec un poulet rôti à la peau bien croustillante? Je l’ai encore essayé dernièrement, et c’était délicieusement surprenant!
«La préférence pour un vin sucré ou sec est simplement une tendance.»
Très possible, puisque les goûts – même au Québec – ont beaucoup changé depuis dix ans. Ainsi, en 2012, le vin rosé le plus populaire en était un qui contenait 40 g/L de sucre résiduel, alors qu’aujourd’hui le plus vendu en a moins de 2 g/L. De même, on voit que la préférence quant au taux de sucre dans le vin varie d’un pays à l’autre. En Italie, dans certaines régions, si on veut du blanc au restaurant, on vous demandera à tout coup: «Secco o dolce?» En Europe de l’Est, on peut même trouver des rouges liquoreux. Et que dire des célèbres rieslings allemands demi-secs qui accompagnent si bien les fondues au fromage? Finalement, il n’est pas rare qu’un producteur ajuste ses vins à un marché. Par exemple, les États-Unis sont encore aujourd’hui friands de vins plus sucrés, alors que le Québec s’est développé un goût pour les vins très secs, ce que les œnologues prennent en considération.
Quelques suggestions
Pfaff Pinot Blanc Tradition
Voici un classique alsacien qui contient 5 g/L, soit assez pour se classer comme un vin demi-sec. Or, grâce à son acidité bien marquée, on goûte à peine le sucre. L’ensemble est délicat et léger, de même que très passe-partout. On le servira avec à peu près n’importe quel plat, de la salade à la volaille, en passant par les plateaux de charcuteries et, bien sûr, la fondue au fromage.
Pfaff Pinot Blanc Tradition. Vin blanc, 750 ml. 15,95$
Monarc Domaine Côtes d’Ardoise
Dans sa robe dorée aux reflets ambrés, ce vin québécois s’approche d’une vendange tardive avec ses 88 g/L de sucre résiduel. Composé à 100% de vidal, un des meilleurs cépages cultivés au Québec, il s’en dégage des notes de fruits exotiques et de poire croquante. L’acidité et le sucre s’équilibrent joliment. Dans l’ensemble, on a là un vin agréable à boire seul en apéro ou avec un plateau de fromages québécois, même des plus relevés, comme la Religieuse de la Fromagerie du Presbystère et le Bleu Ermite de l’Abbaye Saint-Benoît. Vous allez vous régaler!
Offert au Domaine Côtes d’Ardoise et au Marché des saveurs (Montréal et Québec). 27$
Sauternes Château Bastor-Lamontagne
Si le Québec n’a rien à envier aux autres régions du monde quand on parle de vins liquoreux, avec nos merveilleux vins de glace et nos vendanges tardives, la France, quant à elle, a son célèbre sauternes. Dans cette spécialité bordelaise, le sucre est concentré dans le raisin – surtout du sémillon, mais aussi un peu de sauvignon blanc – par une moisissure noble appelée le botrytis. Il en résulte des vins allant de doré à ambré, aux notes de fruits confits, comme dans ce Château Bastor-Lamontagne (bientôt en SAQ – gardez l’œil ouvert!) à 110 g/L de sucre. Si les accords avec le foie gras et le fromage bleu sont de grands classiques, on peut aussi l’apprécier avec des crustacés grâce à sa légèreté, sa fraîcheur et sa longue finale. C’est une gâterie à se faire de temps en temps!
Château Bastor-Lamontagne 2017. Sauternes, 750 ml. 57,75$