À la découverte des fromages fermiers
Nous disposons de six appellations réservées destinées à mettre en valeur des produits distinctifs d’ici: l’agneau de Charlevoix, le vin de glace, le cidre de glace, le fromage de vache de race canadienne, le maïs sucré de Neuville et le vin du Québec. Depuis le 30 mars 2022, un nouveau terme valorisant s’est officiellement greffé à cette liste, celui du Fromage fermier.
Un terme valorisant identifie une caractéristique particulière d’un produit, recherchée par le consommateur. Plus concrètement, cette certification assure qu’un fromage fermier est fabriqué par un producteur-fromager selon des techniques traditionnelles à partir de lait provenant uniquement de son exploitation. En résumé, la production fromagère fermière se fait dans le respect du principe suivant: une ferme, un troupeau, un fromager.
Ce principe semble simple, mais il a tout de même fallu sept ans de démarches aux fromagers fermiers pour obtenir cette certification. «Ça a été un processus long et ardu», reconnaît Jean Morin, propriétaire de la Fromagerie du Presbytère, située à Sainte-Élizabeth-de-Warwick, dans le Centre-du-Québec. «Si nous n’avons pas baissé les bras, c’est que nous croyons vraiment dans nos produits, dans nos valeurs et dans notre savoir-faire, ajoute-t-il. Nous nous sommes fait voler le nom et l’imagerie de fromagers-artisans par des fromageries industrielles au cours des dernières années. Il nous fallait donc une appellation distinctive qui puisse nous démarquer de gros joueurs comme Saputo sur le marché.»
Des fromages qui viennent de la terre
Vous avez sans doute dégusté ou entendu parler de certains fromages québécois qui récoltent régulièrement des prix. Le Louis-D’or de la Fromagerie du Presbytère, par exemple, sur lequel a été produite une vidéo récemment, mais aussi le Alfred Le Fermier de la fromagerie La Station (Compton, dans les Cantons-de-l’Est), ou encore le Kénogami de la Fromagerie Lehmann (Saguenay–Lac-Saint-Jean). Mais saviez-vous qu’ils sont tous des fromages fermiers?
Comme le terme valorisant le précise, tous ces fromages ont une particularité: ils sont créés par des agriculteurs-fromagers qui mettent autant de soin à la culture des fourrages qui nourriront leurs vaches, chèvres et brebis, qu’à la production fromagère. «Je voulais devenir fromager depuis longtemps, mais si je n’avais pas eu accès au lait de mes propres vaches pour en faire, je ne me serais pas lancé dans ce métier», explique M. Morin, issu d’une lignée de quatre générations d’agriculteurs.
Le fait que les terres agricoles et, du même coup, la production laitière de sa famille se soient converties au biologique au début des années 1990 – une rareté à l’époque – a aussi joué dans sa décision. «Faire du fromage fermier a été immédiatement naturel pour moi, car j’avais déjà intégré des valeurs comme la préservation de l’environnement, l’autonomie alimentaire et l’éthique agricole. J’ai conscience que mon métier, c’est de nourrir des humains avec leur intérêt et celui de la planète en tête. C’est un lien précieux qui se tisse entre les consommateurs et un fromager qui fait pousser les cultures qui nourrissent ses vaches, qu’il traie lui-même pour ensuite transformer leur lait.»
Un goût de famille
Comme ses pairs, Jean Morin souligne la qualité propre aux fromages fermiers, reconnaissables à un goût unique lié au terroir, à la saisonnalité et à l’élaboration artisanale dont ils bénéficient. On pourrait aussi y greffer l’étiquette familiale, car la plupart de ces fromageries fermières sont menées par des familles comme celle de Jean Morin, qui travaille avec ses enfants Thomas, Charles, Alexis et Èva.
«C’est comme cela qu’est née la fromagerie à la base, il y a 12 ans, raconte-t-il. Quand j’ai vu que le vieux presbytère en face de nos champs était à vendre, je me suis dit que ce serait une occasion de réaliser mon rêve et de le leur faire partager.»
Une mission réussie, puisqu’en plus d’avoir restauré à l’identique un élément important du patrimoine bâti local, la famille Morin produit et distribue à présent 11 fromages, dont certains très populaires, comme le Bleu d’Élizabeth et le Pionnier. M. Morin admire d’ailleurs cette dimension familiale chez d’autres fromagers fermiers: «Je trouve la famille Lehman inspirante. Une toute petite exploitation, avec un travail respectueux des animaux, de l’environnement et des fromages. J’apprécie aussi beaucoup la famille Bolduc de la fromagerie de La Station, car ils ont intégré l’humain dans toutes leurs décisions d’affaires.»
L’avenir des fromages fermiers
Maintenant que la certification fromage fermier est officielle, les fromagers souhaitant afficher cette caractéristique sur leurs produits peuvent se porter candidats à l’analyse de leur dossier. M. Morin sera évidemment l’un d’entre eux… mais combien seront-ils, à travers le Québec, à pouvoir s’en targuer?
«Je dirais qu’une cinquantaine de fromagers pourraient dès maintenant le demander, mais le feront-ils tous? Je l’ignore», dit-il, avant d’ajouter en souriant: «Peut-être y en aura-t-il 20 au début, puis 40 ou même 60 plus tard!»
Si M. Morin est aussi positif, c’est qu’il croit sincèrement en l’avenir des fromages fermiers, qui répondent selon lui aux critères de qualité, de proximité et de valeurs que recherchent de plus en plus de consommateurs québécois. «J’espère même que cette certification convaincra d’autres agriculteurs à la tête de terres et d’un troupeau de produire du fromage. Et si elle peut amener les gens à un retour à la terre, tant mieux!»