La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Vive nos lettres libres!

Alléluia. À défaut de voir son salaire augmenter, dès la prochaine rentrée scolaire, chaque enseignant du préscolaire et du primaire aura au moins un budget pour acheter jusqu’à 300$ de livres neufs pour sa classe, annonçait le 18 avril le ministre de l’Éducation Bernard Drainville, une des premières pierres à l’édifice du projet gouvernemental de faire de la lecture une priorité nationale à compter de 2023-24. Les bottines suivent les babines.



Je me réjouirai pleinement quand je verrai l’édifice érigé dans sa totalité, mais jusqu’à maintenant, il s’agit d’un pas qui fera une différence à plusieurs niveaux, en sachant d’abord que la présence de livres dans les classes varie considérablement au gré des passions et implications respectives de chaque enseignant, qu’il soit amoureux ou pas trop de littérature, qu’il puisse ou pas se permettre d’investir de sa poche pour renflouer les étagères de sa bibliothèque en classe. Parce que, oui, ils sont nombreux, ces profs, à courir les librairies pour que leurs élèves aient accès à la lecture en milieu scolaire. Geste d’une importance capitale, vu le nombre de jeunes qui n’ont pas la chance de grandir dans un foyer garni de livres. Ai-je besoin de rappeler que près de la moitié des Québécois n’arrivent pas à lire des textes denses ou longs nécessitant d’interpréter et de donner du sens aux informations?

Elles étaient sans surprise nombreuses (oui, que des femmes) à mon stand du Salon international du livre de Québec – la fin de semaine des 15 et 16 avril derniers – à faire la file pour que je leur dédicace un de mes livres jeunesse, choisi spécialement pour leur classe. Une signature sur trois était donc destinée à un groupe du primaire ou de garderie ou de centre de la petite enfance (CPE). Cet argent public servira. Les retombées se feront sentir assez vite, je dirais même. Lire, c’est mieux vivre. Vive le Québec qui sait lire. Surtout quand on sait qu’il se classe tristement au 10e rang des provinces et territoires canadiens au chapitre de la compréhension de textes écrits. Ce n’était pas un luxe, mettons.

En parlant du Salon international du livre de Québec, j’y étais justement comme écrivaine, mais aussi comme animatrice de rencontres et d’entrevues, comme c’est le cas depuis fort longtemps. Quelle ne fut pas ma joie de retrouver les foules enthousiastes revenues au sortir de la pandémie! Mis à part la crise qui sévit à l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ), qui représente la plupart des auteurs de chez nous, le monde du livre ici va bien, très bien, même. Ceux qui écrivent, au bas complètement de la merveilleuse chaîne, sont toujours aussi mal payés avec leur maigre 10% ou autour de redevances par livre vendu, sans parler de ceux qui ne récolteront que 5% ou autour s’ils sont accompagnés d’un illustrateur. Or, ils vendent et créent des œuvres magistrales qui se distinguent partout. C’est vraiment particulier pour une si petite province, c’est aussi ce qui me console un tantinet des dérapages de quelques ultraconservateurs qui crient au bannissement des lectures publiques de Barbada. Quelle honte de voir ça aller. Barbada œuvre d’ailleurs dans l’enseignement au primaire. Barbada aime sincèrement les jeunes. Vive Barbada.

En compagnie de Janette Bertrand dans les coulisses du Salon international du livre de Québec.

Je ne l’ai pas vue à Québec, mais au Salon, j’ai pu m’entretenir lors des événements Auteur.e Studio sur la scène du Capitole avec trois grandes dames des lettres: la Québécoise Janette Bertrand, la Belgo-Française Amélie Nothomb et la Canado-Française Nancy Huston. Trois généreuses penseuses de langue française qui réfléchissent à la création, mais aussi à la condition des femmes en abordant des sujets parfois inusités, voire progressistes ou audacieux. Elles ont donné beaucoup au public conquis durant ces soirées. La première m’aura fait pleurer, la deuxième, rire aux larmes et la troisième, danser. Oui, danser. Une spectatrice m’a envoyé la vidéo. Je voulais mourir de gêne. Mais, comme elle l’a écrit, j’aurai dansé avec Huston. J’aurai fait ça. Après avoir parlé d’avortement, d’amour libre, de prostitution, de sexualité débridée. Vive nos entrevues libres! C’est beau le Québec et ses lettres en français quand on pense à ce qu’on peut dire et faire, contrairement à nos voisins du Sud qui régressent par gros bouts.