Rentrée théâtrale: ma sélection
L’ambition, l’envie irrépressible de se retrouver plus loin au bout du chemin, d’être renversé par plus grand que soi, quitte à y aller un peu du sien et des autres… en somme, s’en sortir, s’extirper d’une condition. C’est entre autres autour de ces thèmes plus grinçants et lucides que joyeux et ludiques que se dessine, il me semble, la rentrée théâtrale d’ici, avec, espérons-le, un public au rendez-vous pour réchauffer les salles, insuffler toujours plus d’âme au théâtre québécois.
«L’ambition est le dernier refuge du raté», disait le célèbre écrivain Oscar Wilde. C’est aussi une citation qui traduit bien l’esprit qui règne dans En cas de pluie, aucun remboursement de Simon Boudreault, qui signe aussi la mise en scène de cette pièce, une comédie «inspirée de Shakespeare et Wes Anderson», comme il le décrit lui-même, présentée du 7 septembre au 15 octobre chez Duceppe.
Louis Le Juste, dit Le King, règne sur un populaire parc d’attractions, mais l’heure de sa retraite a sonné, il doit penser à sa succession. Ça se bouscule au portillon… Parmi les volontaires, un nouvel employé mystérieux et bossu est prêt à tout pour obtenir le trône. La chicane ne risque pas d’être plate à regarder en connaissant le don de Boudreault pour les échanges de dialogues corsés et savoureux. Et v’lan! Du bonbon, assurément, surtout avec le grand Raymond Bouchard dans le rôle du King des manèges. Catherine Paquin Béchard, Lucien Bergeron, Jocelyn Blanchard, Louise Cardinal, Sébastien Gauthier et Mélanie St-Laurent sont aussi de la distribution.
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Le classique et l’Irlandais
Au TNM, rien de tel qu’un classique de Molière pour démarrer la saison 2016-2017. Surtout quand ce classique s’intitule Tartuffe et qu’il bénéficie des talents et visions du duo composé de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin à la mise en scène, avec une distribution forte sous les bons soins de Benoît Brière en père de famille exemplaire, Emmanuel Schwartz en Tartuffe, célèbre imposteur de Molière, et Anne-Marie Cadieux en séduisante épouse par qui la catastrophe risque d’arriver! Du 27 septembre au 22 octobre, ce trio saura donner un souffle réinventé à la célèbre pièce, qui ma foi, a si bien vieilli à une époque où imposture et hypocrisie sévissent toujours dans nos gouvernements.
S’il y a parfum d’imposture, il existe aussi l’envie de se reprendre pour repartir en neuf. C’est le cas de cette femme dans la quarantaine interprétée par Martine Francke, qui tente de racheter ses erreurs du passé en faisant du bénévolat dans Terminus de l’auteur irlandais Mark O’Rowe, traduit par Olivier Choinière dans une mise en scène de Michel Monty. Au théâtre La Licorne, du 20 septembre au 29 octobre, cette pièce met aussi en scène Alice Pascual et Mani Soleymanlou, respectivement dans les rôles d’une jeune femme qui vend son âme au diable en échange d’une faveur.
Les fabuleuses d’ici
Si vous ne connaissez pas Mark O’Rowe, vous savez certainement qui est la grande Anne Hébert, qui a traversé le siècle passé jusqu’à sa mort en 2000. Depuis, on la relit, on la joue, on la célèbre, on se souvient d’elle et de son regard unique sur le monde qui l’entoure. Parmi les textes dont on a souvent moins parlé, il y a son court roman Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais que Pierre Yves Lemieux a adapté pour la scène d’Espace GO, dans une mise en scène de Luce Pelletier (du 6 septembre au 1er octobre). Avec la très talentueuse Émilie Bibeau, François-Xavier Dufour, Alice Moreault et Étienne Pilon, ce texte poignant réintitulé Clara donne une voix à cette Clara, fille d’un homme qui s’isole à la campagne au décès de sa femme morte en couches. Elle aussi isolée et sans savoir, Clara s’éveille au contact d’une institutrice, puis d’un lieutenant anglais exilé au Québec. On imagine bien sûr que l’amour viendra gagner ses tripes pures et chastes. Et nous, on en redemandera. Après tout, il s’agit de l’imagination foisonnante et peu banale d’Anne Hébert.
Parmi ces autres fortes plumes féminines d’ici, les contemporaines de Hébert, notons Jennifer Tremblay qui offre, avec La délivrance, la troisième partie d’un triptyque théâtral entamé avec La liste et poursuivi avec Le caroussel, toujours avec la comédienne Sylvie Drapeau, qui s’empare si bien de cet univers pour le rendre vibrant, voire ensorcelant. Le public qui a déjà vu Drapeau jouer saura de quoi je parle… Mi-sorcière, mi-actrice, avec un don pour la transmission qui fait très certainement d’elle une de nos meilleures actrices québécoises, et intuitive par-dessus le marché, elle sera dirigée par Patrice Dubois sur les planches du Théâtre d’Aujourd’hui, du 20 septembre au 15 octobre. La musique originale de Ludovic Bonnier ne risque pas d’être moche non plus pour accompagner l’histoire de cette femme qui se voit confier par sa mère mourante la difficile mission de ramener auprès d’elle le fils qu’on lui a arraché vingt ans plus tôt. Désolée, je suis déjà gagnée.
887, la délicieuse en «rattrapage»
Gagnée comme je l’étais d’ailleurs, sans être déçue, par 887, le fameux solo de Robert Lepage dont tout le monde a parlé, emporté de jubilation ou de tristesse — de ne pas avoir réussi à mettre la main sur un billet. Ces derniers pourront se rattraper à Québec, au Théâtre du Trident, où cette pièce encensée de toutes parts sera à l’affiche du 13 septembre au 8 octobre dans une représentation de deux heures sans entracte. Deux heures durant lesquelles même les plus grands TDAH ne décrochent pas... Souvenirs, nostalgie, enfance, mémoire, filiation sont les thèmes présents qui font écho à l’histoire du Québec des années 60, violemment déchirée entre le nationalisme et le fédéralisme, sans compter le célèbre poème de Michèle Lalonde, Speak White, qui fait partie intégrante de l’histoire créée par un Robert Lepage dont on perçoit ici aussi bien le génie dramaturgique que scénographique. Oh! que je reverrais bien ça encore une fois, ne serait-ce que pour m’arrêter sur des détails qui auraient pu m’échapper la première fois à sa création sur les planches du TNM.
JE CRAQUE POUR…
La programmation 2016 du FIL (Festival international de la littérature)
Allons-y tout de suite en toute transparence: je suis membre du CA de ce festival québécois qui se déroule cette année du 23 septembre au 2 octobre. Donc, oui, j’ai un parti pris. Ce qui ne m’empêche pas d’aimer ce festival depuis que je suis en âge de le fréquenter, lui, avec ses spectacles incontournables qui nous comblent de découvertes certes, mais aussi de textes comme cette année ceux d’Anne Hébert, Jack Kerouac ou Réjean Ducharme, lus par des grands du théâtre (Robert Lalonde, Louise Marleau, Maxime Denommée, Sophie Cadieux, Evelyne de la Chenelière, etc.). Il est donc temps d’aller voir la riche programmation avant que tout s’envole.