La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Pour plus de littérature en politique

Le premier ministre François Legault a beau avoir fait son bout de chemin en relayant ses lectures québécoises sur ses réseaux sociaux tout au long de son présent mandat, j’ai tout de même la certitude qu’en cette campagne électorale, comme dans les précédentes d’ailleurs, et à tous les paliers gouvernementaux, la littérature d’ici et d’ailleurs est sous-exploitée en politique. Comme si, dans notre société avide de spectacles, poésie, récits, essais, romans et autres genres littéraires ne servaient que de divertissement.



Dans son plus récent et ô combien pertinent essai La littérature est une affaire politique (éd. de L’Observatoire), le spécialiste de la littérature française contemporaine Alexandre Gefen, qui est aussi directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et fondateur du site Fabula.org, a mené une enquête auprès de 26 écrivains contemporains pour prouver l’impact et l’effet clair, voire parfois foudroyant des mots, pensées et réflexions des écrivains dans la société.

Annie Ernaux, Chloé Delaume, Marie Darrieussecq, Leïla Slimani, Laurent Gaudé, Philippe Forest et d’autres descendent de ce que plusieurs voient à tort comme une tour d’ivoire (on n’en peut plus de ce mythe) pour expliquer comment ils choisissent de faire de leurs textes un outil d’analyse des inégalités, de quelle manière il leur arrive aussi de voir venir les crises sociétales, etc. 

Alexandre Gefen a mené une enquête auprès de 26 écrivains contemporains pour prouver l’impact et l’effet clair, voire parfois foudroyant des mots, pensées et réflexions des écrivains dans la société.

Profiter des lettres

Je suis suffisamment la présente campagne électorale provinciale pour constater avec regret que jamais, ou trop rarement, les candidats se sont «servis» de littérature pour appuyer leurs idées, affirmer leur ligne de parti, démonter leurs adversaires, voire «instrumentaliser» à bon escient les propos d’écrivains, les intégrer dans leurs discours pour donner du tonus à leur campagne, rejoindre les gens autrement.

Le concept de Gefen met de l’avant les Français, mais nos plus brillants auteurs québécois aussi pourraient tellement être «récupérés» ici et là!

À quand un politicien pour citer Kevin Lambert au sujet du capitalisme à outrance que le jeune auteur relève plus particulièrement dans son plus récent roman Que notre joie demeure? Feue Marie-Claire Blais avec son «esprit punk» a tant écrit avec en filigrane un certain militantisme. Joséphine Bacon, elle, n’est-elle pas reine pour traduire dans une somptueuse poésie qui fait son effet à tous coups des réalités autochtones? Sans oublier les écrivains issus de l’immigration qui dépeignent leur réalité comme personne, et ceux qui traitent de la situation des aînés, etc. La Canadienne Margaret Atwood, avec ses dystopies à la Servante écarlate qui ne me semblent parfois pas si éloignées des ambitions d’une certaine droite conservatrice, aurait tellement, elle aussi, de quoi alimenter des discours… Bref, vous voyez l’idée?

«Toutes les grandes œuvres littéraires possèdent une portée politique», affirme l’écrivaine française Camille de Toledo, interrogée par Gefen. Oui, la vie démocratique dans son ensemble aurait tout à gagner à profiter des lettres.

«Certaines convergences subsistent entre radicalité politique et radicalités littéraires […] c’est le cas pour les narrations écologiques contemporaines ou les récits féministes en particulier, qui cherchent à transformer les structures mêmes de notre perception en rompant avec l’anthropomorphisme et le paternalisme: faire voir autrement, c’est déjà agir politiquement», écrit dans son introduction l’auteur de La littérature est une affaire politique. 

À quand un politicien pour citer Kevin Lambert au sujet du capitalisme à outrance que le jeune auteur relève plus particulièrement dans son plus récent roman Que notre joie demeure?

Trouver les bonnes lignes

Encore faut-il que nos élus et aspirants dans la présente course puissent trouver les bonnes lignes. Pour ça, ça prend l’envie, la curiosité, l’éducation, la culture, les réflexes… Et aussi un entourage solide pour orienter les choix, mettre en relief ce qui dans l’Histoire de la littérature vaut le détour.

Comment pouvons-nous espérer lutter contre le décrochage, notre haut taux d’analphabétisme, notre faible littératie, la pauvreté et la violence inscrites dans le cercle vicieux du manque d’instruction si nos propres politiciens n’arrivent pas à intégrer les grandes œuvres de la littérature à leur pensée?

Je fais un petit ricochet en insistant encore sur l’idée d’enseigner davantage les classiques dans les cours de français dès le secondaire. Victor Hugo, Simone de Beauvoir et Albert Camus n’ont jamais tué personne. Anne Hébert, Gaston Miron et Gabrielle Roy non plus. J’en suis encore à essayer de rattraper mes lacunes de ce côté tant j’ai l’impression de n’avoir quasiment rien lu dans ma scolarité secondaire et collégiale. La formation des dirigeants de demain se passe maintenant.

Les écrivains du 20e, mais tellement aussi ceux du 21e siècle, participent à la Cité, «par leur corps comme par leur œuvre», observe l’essayiste. Ils contribuent à renouveler le récit collectif social et historique et redonnent ainsi un sens politique au monde en l’auscultant comme seuls savent le faire les auteurs. La politique présente serait folle de s’en passer. Pourtant, pourquoi ai-je l’impression qu’on sort chaque fois nos auteurs autour du 12 août – j’achète un livre québécois! – comme on le ferait avec un lapin d’un chapeau? Bravo! Magie! Feux d’artifice! Puis, fin du spectacle dès le lendemain. Voyons! La littérature ne doit pas être qu’un événement divertissant pour faire cute et bien paraître. Elle doit servir la démocratie au quotidien et ça commence en campagne électorale. Hélas, en bruit de fond, beaucoup de chants de criquets et du réchauffé sur des fondations bancales alors que la littérature, elle, c’est du ciment avec du style.  

* Claire Legendre et Alexandre Gefen auront un échange autour de l’ouvrage de ce dernier, La littérature est une affaire politique, à la Librairie du Square à Montréal le mardi 20 septembre à 18h.