Plaidoyer d’une casanière
La culpabilité a quitté ma maison. C’est la seule affaire qui a le droit d’en sortir par les temps qui courent. J’entends par là que, tout en travaillant sur mes contrats comme journaliste, j’ai enfin une excellente raison pour rester habillée en mou toute la journée, éviter les gyms, les lancements, le small-talk qui vient avec, faire des gâteaux, soupes et muffins pour les douze enfants que je n’aurai jamais, tout manger sans trop paniquer (plus personne ne me verra), et, j’ajouterais, me coucher à 20h, boire du vin avant 17h (il faut bien combattre l’anxiété).
J’ai parfois eu honte de ces comportements casaniers dans ma vie de travailleuse autonome. La journaliste et essayiste suisse Mona Chollet le décrit bien dans Chez soi: une odyssée de l’espace domestique: «Une journaliste casanière: voilà un oxymore embarrassant. Je suis à peu près aussi crédible qu’une charcutière végétarienne. […] j’en ai croisé un certain nombre, de ces confrères qui rongent leur frein tant qu’ils n’ont pas un reportage en vue, dont les yeux brillent lorsqu’ils vous annoncent un départ prochain, et qui ne se sentent jamais aussi vivants que lorsqu’ils débarquent dans un pays dont ils ont tout à apprendre. Je les admire, et ils ne manquent pas de me donner des complexes. J’hésite à leur dire que la sédentarité me convient très bien. Quand je le fais, j’ai du mal à les persuader que je ne souffre pas d’un manque de curiosité, mais que je dirige simplement la mienne ailleurs.»
Si Legault l’a dit
Désormais, je peux lire et écrire en paix dans ma maison sans me sentir jugée comme si je passais ma vie à regarder des séries: tout le monde est dans le même bateau. Le premier ministre François Legault l’a dit et, ma foi, il est fort convaincant. On l’écoute.
D’ailleurs, s’il y a quelques années encore je vivais de nuit en écumant les bars; vadrouilleuse, critique culturelle, sorteuse, agente de contamination pour trouver une expression au goût du jour, depuis l’arrivée des petits, dans ma vieille maison remplie d’objets sans rapport entre eux, je savoure la chorégraphie du passage de la baignoire au divan, du transport de l’ordinateur de la table à thé au sofa déchiré près du calorifère pour y coller mes pieds en hiver, du nouveau roman de machin, du lit conjugal à celui des invités, de l’ordinateur, encore, de la cuisine à la salle à manger, là où la lumière entre le mieux en fin de journée.
Oui, notre maison, en ce moment plus que jamais peut-être, est ce que nous avons de plus utile. Autant l’apprécier. Nul besoin d’habiter un manoir de beau quartier, de déposer nos fesses sur un Montauk, que nos quatre murs soient sertis d’authentiques Séguin – on peut en rêver, certes, mais j’ai connu des malheureux dans leur palace et des bienheureux dans leur hutte –, le mieux, c’est d’y avoir ses repères, ses espaces, ses zones d’apaisement. «Si l’on nous demandait le bienfait le plus précieux de la maison, nous dirions: la maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix», écrivait le philosophe français Gaston Bachelard.
Paradoxalement, en confinement, la présence des autres membres de la famille apporte aussi, qu’importe la manière, des cris, rires, chicanes, silences, siestes, jeux et partages de tâches. Tout le monde est au poste comme dans le temps des Fêtes, sans la neige et sans les fêtes, justement.
«Rien de tel que des amis à la maison pour enlever les araignées du plafond», notait le psychiatre français Philippe Obrecht. Justement, j’essayais d’expliquer à ma fille hier que les copains ne viendront plus, que je ne sais pas quand ils reviendront et que les grands soupers faits de musique, de rires, de blagues et de niaiseries autour de la table se feront désormais à quatre avec son petit frère tannant et son papa. «Ensemble, c’est tout», écrivait Anna Gavalda. On s’énerve déjà tous un peu. Imaginez dans quelques jours…
Non, je ne crois pas à la théorie du baby-boom dans neuf mois; c’est une blague ou quoi, ils sont toujours dans nos pattes. Ouf. Oui, il faudra s’armer de patience, tourner nos langues 27 fois, respirer par le nez, se raccrocher à notre maison, l’utiliser, changer de pièce, de bout de divan, de bord de lit, humer l’air du dehors, je ne sais trop, mais oui, la maison sera le seul rempart possible. Autant le rendre agréable, même si démodé, laid, minuscule, poussiéreux.
Nous ne sommes pas si importants
Je pense sincèrement que, sans accorder de lettres de noblesse au sacripant coronavirus, cet arrêt quasi généralisé, du moins ce ralentissement de la cadence, a un côté bénéfique en ce sens qu’il force une certaine réflexion sur notre mode de vie. On ne peut pas dire que nous vivions au royaume du Dalaï-Lama.
Les affaires qu’on pensait essentielles au sujet de ce qu’on peut projeter, laisser entrevoir ou éclairer avec les paillettes qui ornent nos beaux blasons sur les réseaux sociaux ne le sont pas vraiment, y compris notre présence dans la sphère professionnelle, à l’exception de celles et ceux qui sauvent vraiment des vies. Je l’ai toujours dit, ce sont elles et eux les vraies «veudettes», pas les mêmes personnalités médiatiques que notre société québécoise (et ailleurs) de divertissement a créées comme des septièmes merveilles du monde placées en une de revues à potins à ressasser toujours les mêmes rengaines, assez futiles au fond, quand on y pense.
Toujours dans Chez soi, Mona Chollet explique qu’en occupant la maison d’amis en leur absence, l’écrivain et voyageur suisse Nicolas Bouvier (L’usage du monde, 1963), dans une lettre qu’il leur adressait, avait eu cette réflexion: «Je ne comprends pas que les gens ne fassent pas retraite au moins une fois l’an. C’est si nécessaire ces trêves à la faveur desquelles le travail se retourne comme un gros chat, se modifie profondément.» «À la faveur desquelles, aussi, on peut relier plus solidement le passé et l’avenir, réfléchir à la direction que prend sa vie», poursuit Chollet. Il faudra au moins que le confinement serve à ça. À ça et à savourer simplement le fait d’être en vie alors que le Québec commence à compter ses premières victimes du COVID-19.
Je craque pour…
La vie que tu t’étais imaginée de Nelly Alard, éd. Gallimard
De la bombe que ce roman de l’écrivaine, scénariste et actrice française Nelly Alard (Le crieur de nuit, Moment d’un couple) et co-créatrice du prix littéraire Anaïs Nin.
D’abord, il s’agit d’elle décrivant les origines de sa fascination pour Élisabeth de Wittelsbach, impératrice d’Autriche et reine de Hongrie, née en 1837 à Munich et morte assassinée en 1898 à Genève, que nous connaissons surtout sous le surnom de «Sissi», en référence aux films de Marischka dans les années 1950 et qui avaient d’ailleurs révélé Romy Schneider dans le rôle-titre.
Ensuite, Alard mène carrément une enquête pour essayer de démêler le vrai du faux entourant Karoline Zanardi, appelée «La petite fille de Sassetot», et sur la possibilité qu’elle soit la fille de Sissi, donc que Elissa Landi, célèbre actrice américaine qui a vécu de 1904 à 1948 et fille de Zanardi soit sa petite-fille illégitime…
Comme un fil rouge qui relie le tout, l’écrivaine revient sur ses propres débuts d’actrice à Paris, l’absence de succès, la difficulté du métier, la compétition féroce, ses exils à Hollywood où elle est devenue l’amie et confidente d’un cinéaste qui la présente aux Susan Sarandon, Jack Nicholson, Robin Williams de ce monde, etc.
Qu’on aime ou pas le monde de Sissi et ses relations, le travail colossal de Alard est réussi et passionnant. J’y ai aussi trouvé une réflexion sur nos quêtes de vérité dans un monde rempli de faux semblants et sur le piège du confinement, de censure dans lequel étaient prises toutes ces générations de femmes, jusqu’à Alard elle-même, qui brise la chaine avec et grâce à l’écriture.
Finalement, que l’histoire soit vraie ou fausse, ce qui compte, c’est qu’au-delà du plaisir de lecture qu’on y puise, il s’agit d’une prise de parole salutaire.