La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Le «social fitness» ou la nouvelle tendance joie

«L’enfer, c’est les autres», a écrit Jean-Paul Sartre. Il semble pourtant que ce ne soit pas si vrai, si on en croit la nouvelle tendance dont on commence de plus en plus à vanter les mérites, études à l’appui: le «social fitness», ou l’entraînement social, sorte de pratique de la sociabilité qui gagne du terrain et que les médecins prescrivent même de plus en plus.



Vous ne serez pas surpris d’apprendre que l’expression, née d’abord en anglais, est apparue il y a quelques mois à peine, alors que la pandémie tirait à sa fin et qu’une foule de personnes s’étaient isolées, plusieurs se retrouvant même esseulées, au point d’être dans un piteux état de santé physique et mental. Vu l’état de notre réseau, les difficultés d’être pris en charge rapidement ou dans un délai jugé raisonnable par la médecine générale et psychiatrique, on a tout intérêt à s’évertuer à garder la forme en adoptant ce social fitness qui, selon le site Health.mil, se caractérise par notre «capacité à nous engager dans des relations personnelles et professionnelles productives, à interagir positivement avec différents réseaux, et à utiliser des ressources qui favorisent le bien-être général.»

Il semble même que plus que la richesse, le quotient intellectuel ou la classe sociale, ce seraient les relations sociales solides et sincères qui rendraient les gens heureux. Ça semble évident? Il semble que ce ne soit pourtant pas ce qui vient en tête en premier à ceux qu’on questionne sur la provenance de la joie. Beaucoup tableront sur l’argent ou la manière d’être entouré de luxe et de plaisirs qui y sont liés. Bien que ça doive aider – je suis persuadée que les riches améliorent leurs chances d’être heureux en général, ne serait-ce que par l’absence de soucis financiers qui alourdissent le quotidien –, des chercheurs de Harvard en sont néanmoins arrivés à cette conclusion nette au sujet de la sociabilité, 85 ans après le lancement d’une étude, en 1938, sur l’épanouissement personnel. Selon L’ADN, un média en ligne sur les tendances, pour en venir à ces résultats, ces universitaires ont recruté 724 participants pour décortiquer leur vie tous les cinq ans à partir de leurs dossiers médicaux.

Il semble même que plus que la richesse, le quotient intellectuel ou la classe sociale, ce seraient les relations sociales solides et sincères qui rendraient les gens heureux. Photo: Jacqueline Munguia, Unsplash

À la lumière de ces récents résultats obtenus après tout ce temps, le terme social fitness s’inscrit désormais comme une solution à tenter – et qui pourrait porter ses fruits – pour bonifier sa joie de vivre. Or, je suis d’accord pour dire que nous ne sommes pas tous doués des mêmes aptitudes relationnelles. Néanmoins, les pistes sont si nombreuses pour mettre à profit ces séances de mise en forme sociale qu’on ne perd rien à tenter le coup, juste pour voir. À pratiquer dans les limites de notre appréciation de la chose. Certains jours, la simple idée de devoir sourire à son voisin donne le tournis. La pause est alors permise, voire recommandée, pour le bien de tous. Sinon, entamer une conversation avec autrui, inconnu ou pas, dans le métro, suivre des cours du soir, faire du bénévolat, participer à des conseils d’administration, ou à toutes sortes de comités, ne serait-ce qu’un comité de parents à l’école des enfants, sortir dans un bar, aller jouer aux quilles, manger au restaurant et s’installer au comptoir pour favoriser les conversations avec d’autres ou ne pas annuler ses plans (tchoker) font partie des manières parmi tant d’autres de créer des liens, aussi futiles en apparence soient-ils. Le simple fait de saluer un autre skieur croisé sur une piste ou le facteur venu déposer le courrier est une manière d’exercer son social fitness.

J’aime cette tendance, j’ai même essayé de la mettre en branle, deux fois plutôt qu’une hier, en provoquant une conversation avec une autre maman en allant chercher mes enfants à l’école, puis à la piscine, en essayant de faire un compliment à un nageur particulièrement doué. J’avoue, chaque fois, cette «sortie de bulle» m’a procuré un effet de bien-être quasi instantané alors que sous des apparences sociables, je suis habituellement portée à rester dans mon clan, concentrée à mes propres petites affaires. Entrer en relation est un art à ne pas négliger donc. Bien sûr, comme dans tout, nul n’est à l’abri des rencontres malencontreuses ou de l’intervention lourde de tatas dont on se passerait bien, fitness ou pas. Le pifomètre, l’instinct, l’intuition – appelons ça n’importe comment – n’est pas infaillible. Le cas échéant, ça fait juste une bonne histoire de plus à raconter. Mais de grâce, cassons la coquille un peu, ressortons la tête, délions nos langues. Le bonheur se trouve aussi sur le pont qui mène à l’autre.