La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

L’indécence des riches

Est-ce juste moi qui ai remarqué la quantité indécente de luxe «flashé» sur les réseaux sociaux par les temps qui courent? C’est fou comme l’écart entre les classes se creuse, fou aussi à quel point ça me pompe l’air de voir l’opulence de certains très affichée, souvent naïvement, sur des pages en ligne fort suivies. Être «discret» sur ses avoirs, c’est aussi savoir faire preuve d’élégance...



Dans un contexte d’après dépenses des Fêtes, de crise pandémique, de pénurie de logements, d’inflation et de hausse du prix des aliments, alors que justement les demandes d’aide alimentaire explosent un peu partout dans la province et qu’il n’est même plus rare d’avoir près de soi des gens qui mangent à peine ou sautent des repas, faute de moyens, je n’arrête plus de sursauter en voyant monsieur ou madame mettre à l’avant-plan sur son compte Facebook ou Instagram la somptuosité de son chalet, parfois même d’une troisième résidence à l’extérieur de nos frontières, son vol en première classe, son tout-inclus hyper luxueux aux Bahamas (pas à Cuba, là…), sa tablée remplie d’huîtres et de champagne, etc.

Les démonstrations de luxe distillées ici et là comme autant de pépites d’or sont complètement indécentes. Elles l’ont toujours été, elles le sont aujourd’hui plus que jamais alors que la misère humaine est criante, que la caissière monoparentale du IGA près de chez moi ne réussit pas à se loger décemment à Montréal avec ses deux fils de 5 et 8 ans. Pour un quatre et demi dans Rosemont, on lui préfère les petits couples sans enfants… Sortir de la ville? Pour changer ses flos d’école? Pour s’éloigner de son boulot et repartir à zéro quelque part ailleurs alors que somme toute, elle est rendue au top de son «échelon» d’employée et peut «au moins» avoir quelques jours de congé aux Fêtes pour être avec sa famille? Quant à avoir une voiture pour faire le voyagement d’une banlieue «pas chère» à son boulot… Voulez-vous rire d’elle ou quoi? 

Que vous soyez riche, tant mieux pour vous, mais de grâce, laissez ça briller sur votre rue à Outremont ou dans vos réceptions privées au club de golf, où d’autres riches pourront admirer, se comparer, prendre des idées! Photo: Hassan Nizam, Unsplash

«FB, besoin de tes lumières: vos meilleures adresses aux îles Vierges?»

Alors que vous soyez riche, tant mieux pour vous, mais de grâce, laissez ça briller sur votre rue à Outremont ou dans vos réceptions privées au club de golf, où d’autres riches pourront admirer, se comparer, prendre des idées! Le «monde entier» n’a pas besoin d’assister au spectacle de loin, bien aguiché, se rappelant qu’il y a le prochain compte de taxes à payer. Respectez au moins un peu, ne serait-ce que par décence, ceux qui vous suivent sur les réseaux – parce que vous aimez avoir plusieurs abonnés sur vos comptes quand même… – surtout si vous êtes une personnalité publique, que vous êtes friqué en partie grâce à cet amour, ce respect des autres à votre endroit, cette admiration… Surtout si, en plus d’être plein aux as, vous êtes ultra commandité, et que ce que vous prenez plaisir à présenter à la face du monde vous a été offert gratuitement en échange d’une petite story mettant en valeur la «perfection» de votre existence. Certes, nous sommes tous libres de se «désabonner» d’un compte, de masquer ou rompre une «amitié» Facebook. Bien sûr. Or, l’indécence, elle, ne sera pas réglée.

À mon commentaire qui allait en ce sens sur Twitter, un comptable bien connu a ajouté que «pour vivre le monde fiscal, l’opulence et le luxe riment aussi avec emprunt, location, crédit et fraude». Il a raison. C’est encore plus inquiétant quant à la nature humaine et sa facilité à se vautrer dans la fausseté et à faire l’étalage de mirages qui brouillent la réalité, envoyant par ricochet des mensonges à la face du monde. Comme si tourner le fer dans la plaie était une activité excitante. 2023 ne devrait pas commencer d’une manière si individualiste. Viendrons-nous un jour à bout du quant-à-soi?