La poésie comme succédané d’antidépresseurs
«Alain [Crête], il faut que tu t’élèves au niveau de la poésie, surtout en ces temps difficiles…» C’est Paul Arcand qui l’a dit à la blague à son collègue des sports, un de ces matins, à Puisqu’il faut se lever, sur les ondes du 98,5 FM, alors que Crête revenait sur des exclamations pour le moins imagées lors de parties de mini-putt reprises à la télé en ces temps de COVID-19.
Ce n’est qu’un exemple cocasse mais, c’est bel et bien vrai, ce serait super de «s’y élever», bien que j’aie toujours cru que la poésie était à hauteur d’hommes, qu’à force de la croire perchée aux nuages, on la rendait inaccessible, renforçant le mythe qui l’auréole encore trop souvent de manière exaspérante.
La poésie est partout; chez David Goudreault, chez Richard Desjardins, chez Anne-Marie Desmeules, qui vient de remporter le Prix des libraires en poésie pour Le tendon et l’os, chez des poètes en résidence au sein d’équipes de soccer (oui! oui!), chez la fabuleuse Joy Harjo, dont le mandat de poète lauréate des États-Unis a été renouvelé pour une deuxième année à la bibliothèque du Congrès américain, chez votre petite-fille qui dit aimer «défaire les étoiles d’araignées».
Tandis qu’on imagine au pays des programmes d’aide à la santé mentale, j’aime penser qu’on pourrait insister socialement et financièrement (j’ai le droit de rêver) sur les bienfaits de la poésie qui, en tout temps, mais surtout maintenant, sauve la peau ou, du moins, l’allège en titi. Parce que n’est-ce pas qu’on l’a un peu à l’envers, la peau, ces derniers mois?
Je ne sais pas pour vous, mais il me semble que je ressens avec plus d’intensité les grandes virevoltes covidiennes qui sèment l’effroi et l’impatience. Ça use l’épiderme à la longue. Côté intensité, c’était déjà «pas pire» dans mon cas, j’imagine qu’il y en a d’autres qui ont l’âme mélancolique et le spleen «facile».
Je rêve encore, mais on pourrait envoyer un recueil de poésie québécois par foyer de la province: un Louise Dupré au 1514, Préfontaine, un Denise Desautels au 1700, Sherbrooke Ouest, un Catherine Lalonde au 5916, Chabot, un Benoit Jutras au 476, des Fauvettes, un Bertrand Laverdure au 1246, avenue des Pins, un Marie Uguay au 5001, boulevard Chomedey…
Marie Uguay.
Aux matins d’eau morte
châssis d’abîme aux labours des mois et des amours
sous les paupières du demi-sommeil
j’entends ton souffle pénétrer la lumière
Le printemps rose et suant
monte des forêts
L’été chauffé à blanc
Octobre dans son sang
et ses écorces vermoulues
L’hiver avec le rythme sourd de l’espace
Mesures du temps et toi dans l’ardente substance
Tout un voyage est resté en nous
et notre rêve dérive
vers le reste du monde
Ne venez pas me dire que ces vers-là ne font pas leur sacro-saint chemin de bienfaits, de la tête aux jambes, en passant par le cœur et le ventre, là où s’excitent les papillons? Assez pour donner envie de marcher encore, d’avoir un but dans sa journée, d’aller vers l’autre, non?
Ils sont plein de poètes talentueux chez nous qui font de la magie avec leur clavier. Parce que c’est un peu magique, la poésie, et pour en écrire brillamment, ça prend une configuration spéciale des neurones du cerveau, un cœur qui ne bat pas au même rythme que les autres, des yeux qui voient (aussi) des fantômes, un sixième sens qui ressemble à celui des sorcières.
Garder un de leurs recueils sur la table de chevet, ce n’est peut-être pas comme s’enfiler des cachets d’Effexor, mais il me semble que ça fasse son effet, car certains d’entre eux parlent certainement la même langue que nous, semblent être de connivence comme des complices de destinée qui portent des lunettes ajustées à notre vision. Il faut trouver les nôtres, en faire nos succédanés d’antidépresseurs, les rendre déductibles d’impôts, tiens!
C’est assez méconnu, mais au Canada, les présidents du Sénat et de la Chambre des communes nomment un poète officiel au terme d’un processus d’appel de candidatures ouvert. Le candidat choisi est nommé pour deux ans et est tour à tour francophone ou anglophone.
Pour 2018 et 2019, c’est Georgette Leblanc qui avait été élue, avec pour responsabilités l’écriture de poésie, notamment pour des occasions importantes au Parlement, le parrainage des séances de lecture de poésie, la promulgation de conseils au bibliothécaire parlementaire sur la collection de la bibliothèque et les acquisitions propres à enrichir celle-ci dans le domaine de la culture, etc.
Le processus de nomination pour choisir le neuvième poète officiel est en cours, sans doute retardé pour les raisons que nous connaissons. Plusieurs grandes villes canadiennes (Vancouver, Ottawa, Sudbury…) ont aussi leur poète en résidence. Montréal en a déjà eu et mise désormais sur le programme Poésie dans la cité soutenu par le Conseil des arts de Montréal et l’Union des écrivaines et des écrivains du Québec (UNEQ), qui s’en occupe. Assorti d’une bourse de 15 000$, il s’agit de récompenser un projet artistique qui fait rayonner la poésie en zone montréalaise. Quant au provincial, je rêve de voir la naissance du poète – ou de l’écrivain – de l’Assemblée nationale, qui pourrait avoir son bureau tout à côté, pourquoi pas à l’épatante et dynamique Maison de la littérature.
Tiens, je le ferais commencer tout de suite, avec pour mandat de choisir des milliers d’extraits de poèmes à coller sur les murs des CHSLD, des résidences pour personnes âgées et des hôpitaux. Je serais curieuse de voir ce que ça donne. Quand est-ce qu’on l’embauche?