Le monde dans les yeux d’Alexandra Szacka
Sa voix, son visage ne sont pas inconnus pour qui aime l’information internationale. Y compris sa signature de fin de topo, sa pensée soudain plus éditoriale, toujours juste, humaine, posée. Ça fait un bail que la journaliste Alexandra Szacka couvre l’actualité internationale à partir de Montréal, mais aussi de Moscou et Paris, où elle a été également correspondante pour Radio-Canada. Dans Je ferai le tour du monde, un récit, elle livre une synthèse passionnée et franche à souhait de sa carrière, certes, mais plus encore, un supplément d’âme qui ne laisse pas indifférent.
Les journalistes de profession ne se livrent généralement pas autant, ne se mettent pas en vedette sur le terrain à travers leurs reportages. Jadis, du moins. C’est ce qu’on apprenait aussi en classes de journalisme. L’espace était dédié en entier aux gens qui font la nouvelle, aux acteurs de l’événement en tant que tel. Puis, autres temps, autres mœurs, de plus en plus, ils se vedettarisent, ce qui ne me gêne pas, quand la job se fait avec rigueur. Rien à voir avec ceux qui s’improvisent journalistes – parfois même des influenceurs – et qui, pour se faire voir, donnent dans l’humeur aux demi-heures, mais ça, c’est une autre histoire.
Quand j’ai vu, donc, que la sérieuse Alexandra Szacka, sorte de modèle pour moi, et dont je suis le travail depuis longtemps sur ICI Radio-Canada, à la télé comme à la radio, avait pris la plume pour se raconter, brisant pour ainsi dire les digues contenant une certaine intimité, j’ai été interpelée.
S’il s’agit dans Je ferai le tour du monde d’une succession d’histoires percutantes couvertes dans quelques-uns des nombreux pays et zones de guerre visités et de portraits d’individus qui frappent l’imaginaire, elle revient aussi, ici et là, sur les comportements et les paroles empreints de machisme et de sexisme de certains collègues qui n’auraient pas survécu par les temps qui courent. Je l’ai d’ailleurs trouvée courageuse, des noms apparaissent, certains personnages sont connus.
Bien sûr, le livre ne porte pas là-dessus. Or, ayant moi-même fait les frais des derniers relents de ce courant persistant dans une salle de nouvelles près de chez vous au début des années 2000, il n’y a donc pas si longtemps, ces mots ne sont pas tombés dans le regard d’une aveugle. Je salue alors sa franchise au passage et vous invite, entre autres pour cette raison, à prendre connaissance de ce récit, ne serait-ce que parce que, à mon avis, il faut documenter ces événements, les ancrer dans un «avant» historique, montrer le chemin poursuivi, ce que nous devons aussi, nous, plus jeunes journalistes, mais pas que, à celles qui ont débroussaillé le chemin «à la dure» juste juste avant.
J’ai eu le plaisir d’interviewer l’autrice devant un public captif, le 4 avril, à la fabuleuse Librairie Gallimard du boulevard Saint-Laurent à Montréal. Elle m’a corrigé quand, sur ce sujet précis, j’ai utilisé le mot «victime» en parlant d’elle en lien avec certains événements «de bureau». Elle ne s’est jamais vue comme telle. Je m’en excuse et je comprends aussi à quel point le terme a été galvaudé, surtout depuis le mouvement #metoo. Bien sûr, c’est beaucoup plus complexe que ça, d’autant plus que des victimes de régimes et dictatures, elle en a vu, mettons… Il n’en demeure pas moins qu’il y a eu injustices et qu’à ce sujet elle avait aussi un peu à dire. Ne serait-ce qu’en ce qui concerne les écarts salariaux entre hommes et femmes. Hélas, dans certains milieux, ils persistent. Des actrices avec lesquelles je fais des entrevues m’en parlaient encore il n’y a pas si longtemps. En guise d’appui, certains de leurs collègues masculins ont d’ailleurs décidé de révéler leur salaire, question de s’assurer des équivalences.
Parlant comédiennes, celle qui est débarquée à Trois-Rivières de sa Pologne natale à 16 ans à la fin des années 1960 voulait jouer, porter des textes sur scène à une époque où le joual avait la cote avec Les Belles-Sœurs de Michel Tremblay. Avec son accent, elle a renoncé au projet, ce qui ne l’a pas empêchée de trouver sa voie dans le vrai rôle de sa vie: celui de journaliste, OK, mais aussi celui de maman. D’ailleurs, comment une mère de deux enfants réussit-elle à embrasser une carrière comme la sienne, qui l’amènera aux quatre coins du monde, et pas les plus reposants? Ça aussi, il en est question dans ce livre. À 19 ans, son fils lui a écrit une de ses lettres… Bien sûr que je retiens de ses mots ce qui me préoccupe personnellement. Nos angles de prédilection sont aussi ceux qui dictent nos vies, d’où cette impossible absence de subjectivité en journalisme. Le jour où ChatGPT fera ses propres reportages internationaux, on en reparlera; ça risque de manquer de chaleur, de vérité. Idem pour l’écriture de fiction. Alexandra Szacka doute d’avoir assez d’imagination pour s’y aventurer éventuellement, qu’elle me disait. Je l’encourage néanmoins. Elle a du style et une manière de scruter la psyché humaine qui lui ferait honneur comme écrivaine. Comme le fait sa sœur, la journaliste Agnès Gruda.
À défaut d’être moins mise en contact avec les reportages de l’ancienne permanente à Radio-Canada demeurée pigiste, mais moins présente, on va se le dire, je me plais à imaginer d’autres portraits d’ailleurs qu’elle doit bien avoir gardés dans sa besace. De «sa gang», ils sont trop nombreux à quitter les ondes par les temps qui courent. Beaucoup ont été des modèles pour mes collègues et moi, représentant une manière de faire de l’info. J’ai hâte de voir ce qu’on gardera de ce précieux héritage.
Alexandra Szacka sera présente au Salon International du livre de Québec qui se déroulera du 12 au 16 avril.