20 livres qui ont marqué l’année littéraire de Claudia Larochelle
Tant de livres lus encore cette année… tout près de 100. Hélas, à défaut d’être plus brillante, je crois que ça m’a néanmoins donné de la perspective, de l’allant et davantage d’empathie. J’ai le luxe de pouvoir choisir les titres dont je fais la recension. Point de communion entre plusieurs d’entre eux cette année: l’écoanxiété, la lutte des classes et les effets du mouvement #metoo, l’envie de bienveillance aussi. Les prix ont beaucoup récompensé ces thèmes, les formes éclatées, la sincérité des plumes. Voici mes choix de l’année 2023. Certains n’y figurent pas par simple oubli au moment d’écrire ces lignes ou parce qu’ils m’attendent toujours sur la pile «A» à côté de mon lit. Je pense notamment à Autoportrait d’une autre d’Élise Turcotte, Le mois des morts de Chrystine Brouillet ou Tu vis à Paris, je pense de Sarah Rocheville. Prenez des notes. Ça fait plaisir!
Mise en forme de Mikella Nicol, éd. Le Cheval d’août
Merveilleux récit dans lequel la trentenaire montréalaise explore les effets sournois de la sculpture du corps, ses résonances intimes et sociales, de quelle manière aussi le fameux fitness devenu si accessible en ligne peut donner l’impression d’offrir un possible contrôle sur la vie de ceux et celles qui s’y adonnent. Mais il n’y a pas que ça. Dans cette histoire secouante, l’héroïne sombre après une rupture amoureuse qui ouvre une boîte de Pandore sur autre chose, tellement d’autres choses, en fait… Nommé au Prix littéraire des collégien.ne.s.
Galumpf de Marie Hélène Poitras, éd. Alto
Primé par le Prix littéraire du Gouverneur général dans la catégorie romans et nouvelles. Il s’agit justement de nouvelles, mais pas n’importe lesquelles; certainement celles d’une de nos plus grandes nouvellistes. Elles s’arriment si bien avec l’époque, flirtent avec le drame, tout en demeurant au seuil. Ses protagonistes s’en sortent juste avant l’heure fatale et exercent l’empathie là où on ne les attendait pas nécessairement.
Environnement toxique de Kate Beaton, éd. Casterman
Originaire du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, la bédéiste canadienne née en 1983 revient avec courage sur les deux années passées dans l’Ouest canadien au milieu des années 2000 dans des sites d’exploitation de sables bitumineux. Violence sexiste et désespérante fragilité des travailleurs sont traduites avec sincérité. Dans la liste préliminaire du Prix des libraires, catégorie BD hors Québec. Une grande découverte pour moi.
Les choses de la lumière de Maude Veilleux, éd. Marchand de feuilles
On peut lire la poésie de Maude Veilleux depuis maintenant dix ans. Ses mots oscillent entre souffrance et joie, ennui et occupation. Dans ce magnifique ouvrage, 48 poèmes inédits suivis de ses trois recueils: Une sorte de lumière spéciale, Last call les murènes et Les choses de l’amour à marde. Cet extrait parle de lui-même:
moi aussi j’aime ça les bains
j’adore les bains
total care
mais mon bain s’il est si doux c’est qu’il a une
fonction
il calme quelque chose comme un monstre
Ça aurait pu être un film de Martine Delvaux, éd. Héliotrope
Hollis Jeffcoat, peintre au milieu du couple formé par Joan Mitchell et Riopelle dans le Paris des années 1970, trouve une seconde vie dans ce livre qui la découvre avec grâce et audace. C’est presque par accident que ce personnage est entré dans la vie de l’écrivaine, dans une aventure qui prend des allures d’enquête à travers une collecte de fragments qui reconstituent une histoire intime quasi épique. Nommé au Prix des libraires.
La blague du siècle de Jean-Christophe Réhel, éd. Del Busso
Une nouvelle histoire touchante de Réhel sur les thèmes de l’amour fraternel, de la filiation, de la précarité, du deuil. On y découvre l’attachant personnage de Louis, qui travaille au Tim Hortons et qui rêve d’être humoriste. Rares sont les écrivains qui s’attardent aux questions qui sont au cœur de ce livre. On rit, on pleure, on ne voit plus son prochain de la même manière après. Nommé au Prix des libraires et au Prix littéraire des collégien.ne.s.
Psychopompe de Amélie Nothomb, éd. Albin Michel
«Écrire, c’est voler», qu’elle écrit. Écrire, c’est aussi émerger des ténèbres. L’écrivaine d’origine belge établie à Paris s’est révélée comme jamais dans ces pages au sujet d’une agression vécue dans sa jeunesse. Pour tout le reste, il y a les oiseaux, et heureusement. Nothomb va ailleurs dans cet opus, comme si elle avait décidé de se départir d’une chape de plomb. Un grand Nothomb, comme le précédent, d’ailleurs. Il n’y a pas à dire, elle est sur une bonne lancée.
La version qui n’intéresse personne de Emmanuelle Pierrot, éd. Le Quartanier
Premier roman pour Pierrot. Sacha la vagabonde aboutit à 18 ans, accompagnée de son meilleur ami Tom, à Dawson City au Yukon. Rien ne se passera comme prévu. Ce roman marque la naissance d’un grand talent littéraire, d’une voix à part entière qui surprend par son aplomb et sa lucidité qui secoue, son cran aussi. On aime tout ça. Nommé au Prix des libraires et au Prix littéraire des collégien.ne.s.
Pauvre folle de Chloé Delaume, éd. Seuil
Clotilde Mélisse est célibataire sans enfants et ne sait plus quel rôle donner à l’amour dans sa vie, à commencer par celui des hommes qui, sans généraliser, ne savent pas comment se comporter. Ils l’insupportent, ça en devient risible. Magiquement drôle, sans hargne et sans esprit vengeur, mais un bain d’acide qui fait fondre les colonnes du patriarcat.
Porter plainte de Léa Clermont-Dion, éd. Le Cheval d’août
Retour avec sincérité sur le parcours judiciaire qui a suivi la plainte déposée par l’auteure, en octobre 2017, contre celui qui l’a agressée sexuellement, 13 ans auparavant, alors qu’elle était mineure. Un texte qui ébranle le sempiternel grand temple du boys club et qui permettra des avancées sociales, sans aucun doute. La forme y est aussi forte que les propos.
Proust, roman familial de Laure Murat, éd. Robert Laffont
Prix Médicis de l’essai cette année. C’est brillant, costaud, et l’auteure crée des ponts entre le monde aristocratique décrit par Proust et celui dans lequel elle a grandi, avec des arrière-grands-parents qui ont non seulement connu Proust, mais dont les noms figurent même dans La Recherche. Quel tour de force elle a réussi en liant tout ça!
Les insolents de Ann Scott, éd. Calmann-Lévy
Alors qu’elle est dans la quarantaine, Alex, une compositrice de musique de film seule et sans enfants, décide un jour de quitter Paris pour s’installer au bord de la mer en Bretagne, autant dire au milieu de nulle part, là où elle ne connaît personne, où il n’y a à peu près personne et où elle devra se refaire, revoir ses priorités. C’est l’heure des bilans. On s’y retrouve et c’est splendide. Lauréate du prix Renaudot.
Triste tigre de Neige Sinno, éd. P.O.L
Entre autres gagnant du prix Femina cette année, ce titre a été sur toutes les lèvres et son écrivaine s’est démarquée par son aplomb incontestable en revenant sur les abus vécus dans sa jeunesse, violée quasi quotidiennement par son beau-père. Quand elle quitte le foyer familial à 21 ans, elle dépose plainte avec sa mère. Le beau-père écopera de neuf ans de prison. Une peine qu’il a purgée, mais l’homme est aujourd’hui libre, remarié (!!!) avec une femme beaucoup plus jeune que lui avec laquelle il a eu quatre enfants.
Havre Saint-Pierre de Abla Farhoud, éd. VLB
Roman posthume de celle qui nous a quittés le 1er décembre 2021. On y suit jusqu’à Havre-Saint-Pierre, sur la Côte-Nord, en face de l’archipel de Mingan et de l’île d’Anticosti, le pèlerinage que font deux frères originaires du Liban, Karam et Farid. Pour eux, se retrouver, c’est inévitablement réveiller les morts et les souvenirs, bref, le passé, et tenter d’expliquer le présent, faire le point, prendre conscience de la fragilité de la vie, du temps qui passe, de l’inévitable fin qui menace tout le monde et qui nous presse parfois à faire enfin face à ce qu’on a trop longtemps évité. Abla nous manque.
Une carte postale de l’océan de Stéfani Meunier, éd. Leméac
Une femme trouve la photo de son père décédé en compagnie de quelques personnes dont il semble proche. «D’où m’est venue cette obsession pour une vieille photo? D’où viennent les obsessions en fait, est-ce qu’on en sait quelque chose? Elles viennent. Elles arrivent et se posent sur nous comme une cape qui tomberait doucement du ciel pour couvrir nos épaules et ne plus les quitter», écrit l’écrivaine avec brio. J’ai tout aimé de cette histoire.
Les amants du Lutetia de Emilie Frèche, éd. Albin Michel
Inspirée par un fait divers au sujet d’un couple d’octogénaires qui s’est donné la mort au chic hôtel Lutetia de Paris en 2013, l’écrivaine a imaginé une histoire envoûtante dans laquelle la fille unique du couple retrace la vie de ses parents, tout en s’expliquant mal leur geste fatal et ce qu’ils laissent derrière eux. C’est mon roman préféré de l’année 2023, j’y repense très souvent tant il m’obsède encore pour toutes ces petites pierres qu’il soulève, ce qui s’y cache en dessous.
Les engagements ordinaires. Lutter de mères en filles, Mélikah Abdelmoumen, éd. Atelier 10
Formidable essai québécois et vibrant plaidoyer contre l’immobilisme, l’indifférence et le déni dans lesquels nous plonge souvent l’état du monde. L’écrivaine y décrypte ce qui la relie à sa grand-mère et à sa mère, mais aussi à une majorité silencieuse, celle de toutes ces personnes dont on ne parle jamais, mais qui décident un jour de s’engager. Tout le monde devrait s’y plonger, s’en inspirer.
Les alchimies de Sarah Chiche, éd. Seuil
La romancière a eu la très brillante et fascinante idée de partir de deux faits réels: la disparition du crâne du peintre Goya, volé après son exhumation à Bordeaux, en 1828, et dont on a perdu la trace depuis, ainsi que le fameux scandale du charnier de l’Université Paris-Descartes. Puis, il y a Camille Cambon, médecin légiste de 48 ans, divorcée célibataire qui se trouve mêlée à ces étranges affaires. Un thriller gothique de haut calibre.
Simone Veil et ses sœurs. Les inséparable de Pascal Bresson et Stéphane Lemardelé, éd. La boîte à bulles
D’après Les inséparables de Dominique Missika, ce roman graphique revient sur Denise et Simone, les deux survivantes d’une famille décimée après la Seconde Guerre. Simone, c’est Simone Veil, la seule et unique. On la découvre entre ces pages comme jamais auparavant. Un véritable bijou de lecture.
Rose à l’île de Michel Rabagliati, éd. La Pastèque
Un nouveau «Paul» est toujours un cadeau. Ce dernier opus du brillant créateur montre son légendaire héros à l’île Verte, dans une sorte de pèlerinage avec sa fille unique devenue jeune adulte. C’est aussi l’occasion de reconnecter avec elle, de faire le point, de se découvrir autrement. C’est plein d’humanité et de tendresse.