Place aux femmes au Musée des beaux-arts du Canada
Pratiquement à pareille date l’an dernier, je publiais ici un article enthousiaste sur une exposition du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) consacrée à l’impressionnisme canadien. Me voilà de nouveau emballé, cette fois pour une exposition mettant en valeur uniquement des femmes artistes canadiennes. Sans invitation: les artistes canadiennes de la modernité compte 200 œuvres créées au siècle dernier. En révélant ce pan méconnu de l’histoire de l’art au Canada, c’est comme si on réparait une grande injustice à l’égard des femmes artistes de ce pays.
En 1965, Lise Payette animait à la radio de Radio-Canada Place aux femmes, une émission conçue pour faire entendre la voix des femmes. Il aura fallu plus de 50 ans, pour que les musées commencent à leur tour à mettre les femmes en évidence dans leurs expositions.
Dès qu’on pénètre dans la salle qui accueille l’exposition Sans invitation, on est saisi par cette présence féminine. Les femmes étaient là parmi les hommes, mais on les a ignorées.
Le premier cartel est sans équivoque: dans les années 1920, 1930 et 1940, le monde de l’art canadien n’en avait que pour les hommes, peut-on lire. Pendant qu’on adulait le style dramatique et sensuel des peintres du Groupe des Sept, on ne considérait pas les femmes qui osaient s’adonner à la peinture. Pourtant, ajoute-t-on, ces dernières sont souvent issues des grandes écoles d’art de Montréal, Toronto ou Vancouver, alors que leurs vis-à-vis masculins sont surtout formés en illustration commerciale et en graphisme.
En ne s’intéressant pas à la production artistique des femmes, le Canada s’est longtemps privé d’une manière différente de représenter ce vaste et jeune pays en devenir.
Par exemple, à la fin des années 1920, la Montréalaise Prudence Heward est inspirée par le fait que les femmes commencent à fréquenter les lieux publics sans chaperon. Ce n’est pas un homme qui aurait eu l’idée de documenter cette nouvelle réalité. Prudence Heward l’a fait, mais son approche lui a alors valu des reproches de la critique.
Les tableaux accrochés dans cette exposition nous montrent donc une autre vision de cette époque. Anne Savage, Marion Long, Marian Dale Scott, Yvonne McKague Housser, pour n’en nommer que quelques-unes, ont une autre vision des choses. Elles s’intéressent à la vie en ville, à l’immigration, à l’injustice sociale, aux transformations du paysage par le capitalisme industriel.
Celles qui s’intéressent aux peuples autochtones ont une approche plus humaine, moins folklorique, comme en témoignent les magnifiques aquarelles de Kathleen Daly Pepper et Winifred Petchey Marsh.
Quand elles font des portraits, l’image que les femmes donnent de leurs semblables est très différente des représentations masculines.
En 1925, Regina Seiden Golberg, artiste de Rigaud, osera faire une version féminine du fameux Pierrot de la commedia dell’arte. Sa Pierrette incarne la femme libre et indépendante.
En 1930, Prudence Heward dérange, encore une fois, par l’allure musclée de sa baigneuse.
Dans les nombreux autoportraits présentés, on sent que les femmes aiment afficher une attitude déterminée. On notera que les sourires sont quand même rares.
Je n’ai pu m’empêcher de penser à la chanson Deux vieilles de Clémence DesRochers lorsque j’ai visionné la fascinante entrevue que les sculptrices Frances Loring et Florence Wyle ont donnée à la CBC en 1965.
Dans cet entretien, les mademoiselles, comme les appelle l’interviewer, formaient un couple depuis plus de 50 ans! On apprend que, malgré la désapprobation de la société à leur égard, leur loft-atelier, aménagé dans une ancienne église, était un lieu très prisé des artistes de Toronto.
Cette exposition est une formidable ode à la sororité, comme en témoigne entre autres ce rare tableau de Suzanne Duquet, mettant en scène l’artiste avec ses propres sœurs.
Le parcours se termine par une salle complète consacrée à la plus célébrée des femmes peintres au Canada: la Britanno-Colombienne Emily Carr.
Les œuvres présentées proviennent d’une grande variété d’institutions muséales canadiennes et de collections privées. On doit l’idée et la réalisation de cette exposition à la Collection McMichael d’art canadien. Le musée de Kleinburg, en Ontario, réputé pour son importante collection d’art canadien (notamment d’œuvres du Groupe des Sept), a été le premier à présenter cette exposition, en 2021. Elle a ensuite été montrée au Glenbow de Calgary et à la Vancouver Art Gallery.
La présentation au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) à Ottawa est une version enrichie puisqu’elle compte une trentaine de tableaux de plus, tous issus de la collection du musée.
Le MBAC a ajouté un autre supplément à cette présentation. Il y a une exposition dans l’exposition. Au milieu du parcours, le public est invité dans la salle des ancêtres.
Cet espace donne à voir sept œuvres autochtones de sa collection.
Encore moins reconnus que les femmes, les artistes autochtones qui les ont réalisées ne sont pas identifiés. On nous explique que c’est l’héritage d’une époque où l’art autochtone ne faisait pas partie des «beaux-arts». Leur artisanat était collectionné, mais sans qu’on se soucie de la personne qui avait fabriqué l’objet.
Le petit progrès qu’on fait aujourd’hui, c’est d’attribuer les œuvres à des «artistes autrefois connus» plutôt que d’écrire sur les cartels «artiste inconnu».
La commissaire Wahsontiio Cross, conservatrice associée au département Voies autochtones et décolonisation au MBAC, espère qu’un jour on pourra peut-être identifier les femme, grand-mère, tante, cousine qui ont réalisé ces pièces qu’on reconnaît maintenant comme des œuvres d’art.
L’exposition Sans invitation: les artistes canadiennes de la modernité et La salle des ancêtres sont ouvertes au public jusqu’au 20 août.