La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Portes ouvertes à l’ONF: un rendez-vous avec l’histoire!

Ce n’est pas tous les jours qu’on peut marcher dans l’histoire. Dimanche, à l’occasion des Journées de la culture, l’Office national du film (ONF) vous ouvre les portes de sa caverne d’Ali Baba. J’ai eu la chance mercredi de faire la visite de ces installations aussi mythiques que secrètes, et croyez-moi, vous ne voulez pas manquer ça.



L’Office national du film va avoir 80 ans l’an prochain. Son siège social est situé sur le chemin de la Côte-de-Liesse, à Montréal, depuis 1956. À l’aube de son grand déménagement dans un édifice tout neuf au cœur du Quartier des spectacles, c’est la dernière occasion de voir où ont été créés de grands pans de notre culture.

Photo: Claude Deschênes
Siège social de l'ONF, situé sur le chemin de la Côte-de-Liesse, à Montréal.Photo: Claude Deschênes

On parle de 13 000 œuvres qui ont valu à l’ONF 7 000 prix, dont 12 Oscars. L’Académie américaine du cinéma ayant donné son accord, les visiteurs pourront même se faire photographier avec celui attribué au film Voisins de Norman McLaren en 1953. L’Académie doit bien ça à l’ONF: mis à part les studios d’Hollywood, l’Office national du film est l’organisation qui a récolté le plus de nominations, soit 74 en 79 ans.

L’ONF, c’est un dédale de couloirs beiges dont les murs ont été recouverts de tous ces faits d’armes qui se sont accumulés au fil des ans. Pour se retrouver dans cette maison de surdoués, chacun des corridors porte le nom d’un artisan émérite, et derrière chaque porte, il y a un trésor.

Chacun des corridors porte le nom d’un artisan émérite, et derrière chaque porte, il y a un trésor. Photo: Claude Deschênes
Chacun des corridors porte le nom d’un artisan émérite, et derrière chaque porte, il y a un trésor. Photo: Claude Deschênes

Dans la voûte, ça se chiffre. 284 000 éléments sont stockés dans des salles où l’air est filtré au charbon et la température maintenue entre 2 et 12 degrés. Le froid prévient le syndrome du vinaigre, un champignon qui peut vous bouffer un film d’archive en moins de temps qu’il ne faut pour le dire et en laissant une odeur aigre plutôt désagréable.

Le syndrome du vinaigre, un champignon qui peut vous bouffer un film d’archive en moins de temps qu’il ne faut pour le dire et en laissant une odeur aigre plutôt désagréable. Photo: Claude Deschênes
Résultat du syndrome du vinaigre, un champignon qui peut bouffer un film d’archive. Photo: Claude Deschênes

Dans une visite pareille, tous les départements ne sont pas égaux. Les bureaux où on cogite les projets de documentaires, aussi percutants soient-ils, n’ont pas le même intérêt que les studios d’animation, par exemple. Sauf celui d’Alanis Obomsawin, qui a quelque chose du sanctuaire. C’est à partir de son petit local, où le capteur de rêve remplace l’ordinateur, que la réalisatrice de 86 ans, dont plus de 50 passés à l’ONF, continue de créer des films percutants qui remettent en question nos certitudes.

Le bureau de la réalisatrice Alanis Obomsawin a quelque chose du sanctuaire. Photo: Claude Deschênes
Le bureau de la réalisatrice Alanis Obomsawin a quelque chose du sanctuaire. Photo: Claude Deschênes

On le sait, l’expertise de l’ONF en animation lui vaut des invitations dans tous les festivals. En mai dernier, celui de Cannes offrait au film Le sujet une place à la Quinzaine des réalisateurs. Quelle surprise de tomber au cours de la visite sur le décor de ce court métrage d’animation! Dans ce film, Patrick Bouchard autopsie un clone de son corps, lequel vous attend couché sur la table de dissection au milieu d’une réplique du sous-sol désordonné du réalisateur. Tout est là, intact, comme si le temps s’était arrêté. Le message à l’entrée du studio demandant aux gens de ménage de ne rien ramasser semble avoir été respecté à la lettre.

Le décor du court métrage d’animation «Le Sujet», encore intact! Photo: Claude Deschênes
Le décor du court métrage d’animation «Le sujet», encore intact! Photo: Claude Deschênes

La porte à côté, on tourne La girouette en stop motion (image par image avec marionnettes en 3D). Le réalisateur Jean-François Lévesque nous présente Barnabé, son personnage principal, un curé dont il peut changer l’expression du visage d’un coup de crinque. Une avancée en animation. L’ONF a toujours été un précurseur.

Le personnage Barnabé du film «La girouette». Photo: Claude Deschênes
Le personnage Barnabé du film «La girouette». Photo: Claude Deschênes

Et ça continue. Aujourd’hui, l’Office national du film est en pole position en matière de production interactive et immersive. La visite permet de voir comment la vénérable institution a réussi à ne pas être prisonnière de ses vieux habits, comment elle a opéré le virage vers de nouvelles formes de narration.

L’Office national du film est en pole position en matière de production interactive et immersive. Photo: Claude Deschênes
L’Office national du film est en pole position en matière de production interactive et immersive. Photo: Claude Deschênes

Un pied dans l’avenir, oui, mais l’ONF continue de valoriser ses savoirs anciens, comme le bruitage. Toujours aussi surprenant de voir comment le son est fabriqué. Dans le studio dédié à cette étape de la production d’un film, on ouvre des trappes au sol qui cachent tout ce qu’il faut pour recréer un plancher qui craque, un sol enneigé ou un déplacement dans l’eau. Dans un petit cagibi, on retrouvera tous les accessoires nécessaires pour restituer les sons les plus divers. Du mécanisme du grille-pain à la machine à écrire en passant par le sifflement de la bouilloire ou le choc d’assiettes qu’on empile.

Toujours aussi surprenant de voir comment le son est fabriqué! Photo: Claude Deschênes
Toujours aussi surprenant de voir comment le son est fabriqué! Photo: Claude Deschênes

Luc Bourdon, qui a réalisé deux extraordinaires documentaires à partir des archives de l’ONF, La part de l’ange et La part du diable, est un apôtre du son au cinéma. Selon lui, l’image est le squelette d’un film, alors que le son est son épiderme. Avec Catherine Van Der Donckt et Jean Paul Vialard, gagnants en mai dernier du prix Iris du meilleur son pour un documentaire, Luc Bourdon a préparé un atelier au cours duquel il va démontrer les différentes étapes de la construction d’une bande-son.

Luc Bourdon a préparé un atelier au cours duquel il va démontrer les différentes étapes de la construction d’une bande-son. Photo: Claude Deschênes
Luc Bourdon a préparé un atelier au cours duquel il va démontrer les différentes étapes de la construction d’une bande-son. Photo: Claude Deschênes

Les amateurs d’architecture ne seront pas en reste.

Avec le concours d’Héritage Montréal, il y aura aussi la possibilité de se faire raconter l’histoire de cet immense complexe construit au milieu des années 1950, en plein champ, sur le modèle des studios d’Hollywood.

Siège social de l'ONF en 1956. @ONF
Siège social de l'ONF en 1956. @ONF

La visite se termine sur l’avenir qui attend l’ONF. On y présente la maquette du futur siège social et un aperçu des intérieurs de ces nouveaux espaces collaboratifs. On voudra vous convaincre que ce projet réalisé par la firme d’architectes Provencher_Roy sera un des plus grands laboratoires créatifs au monde. Si le passé est garant de l’avenir, on n’en doute pas une seconde.

Futur siège social de l'ONF au Qaurtier des Spectacles. Image © Provencher_ Roy
Futur siège social de l'ONF au Qaurtier des Spectacles. Image © Provencher_ Roy