La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Les producteurs: Serge Postigo donne des airs de Broadway à la rue Saint-Denis

Il y a à l’Espace St-Denis à Montréal des gens qui veulent faire de cette mythique salle, qui vient d’avoir 108 ans, l’endroit qui présente le meilleur de la comédie musicale, le Broadway du Québec. On est en plein dans le mille avec Les producteurs actuellement à l’affiche.



On doit à Serge Postigo cet air de 42nd Street dans le Quartier latin. En plus de mettre en scène avec brio l’immense succès de Mel Brooks, Postigo signe l’adaptation québécoise et nous en met plein la vue en incarnant Max Bialystock, personnage principal qu’il a joué plus de 400 fois à Paris de 2021 à 2023.

Serge Postigo signe l’adaptation québécoise de "The Producers", la comédie musicale la plus primée de l’histoire de Broadway. Photo: Annie Diotte / La P’tite photographe

The Producers a d’abord été un film. À sa sortie en 1967, il a obtenu un accueil mitigé, les uns disant que c’était une grosse farce de mauvais goût, les autres vantant son côté irrévérencieux. L’Académie du cinéma a fait peser la balance du côté de Mel Brooks en lui attribuant l’Oscar du meilleur scénario original.

Plus de 30 ans plus tard, The Producers a été adapté pour Broadway. Dès la première, en avril 2001, le spectacle a été un succès. À l’été, les revendeurs pouvaient obtenir jusqu’à 1500$ pour un billet.

L’attrait pour cette production mettant en vedette Nathan Lane et Matthew Broderick a même contribué à faire revenir les spectateurs sur Broadway après les attentats du 11 septembre 2001. Le 13 septembre 2001, la troupe est montée sur scène devant 400 braves qui s’étaient déplacés pour marquer la reprise d’activités normales sur Broadway. Dans la salle, le public a ri, malgré le drame qui s’était joué à quelques rues de là, deux jours plus tôt.

À ce jour, The Producers est la comédie musicale la plus primée de l’histoire de Broadway, avec 12 prix Tony.

Pourquoi reprendre à Montréal ce spectacle suranné avec son mélange de contenu parlé et chanté typique des années 1950, son humour premier degré et ses chorus lines? Parce que c’est bon, à la fois candide et persifleur. Tout le monde en prend pour son rhume dans cette joyeuse satire.

Tout le monde en prend pour son rhume dans cette joyeuse satire. Photo: Annie Diotte / La P’tite photographe

L’histoire tourne autour de deux producteurs de théâtre qui ont trouvé un stratagème pour s’enrichir: monter un spectacle tellement mauvais qu’il devra être retiré de l’affiche; ainsi, ils pourront disparaître avec en poche les sommes consenties par ceux qui les auront financés.

Mine de rien, ce spectacle pose une grande question à 100 piastres: qu’est-ce qui fait qui fait la différence entre un succès et un échec?

Ici, Max Bialystock et son comparse Léo Bloom jettent leur dévolu sur une pièce qui fait l’apologie d’Adolf Hitler, écrite par un ancien nazi. En confiant, la mise en scène à un metteur en scène gai reconnu pour ses nombreux échecs, nos deux larrons croient avoir en main tout ce qu’il faut pour réaliser le bide parfait.

Mine de rien, ce spectacle pose une grande question à 100 piastres: qu’est-ce qui fait qui fait la différence entre un succès et un échec? Photo: Annie Diotte / La P’tite photographe

Évidemment, rien ne se passe comme prévu. La critique est dithyrambique et le public plébiscite la production.

La deuxième partie de ce spectacle de 2 heures 45 minutes avec entracte tourne un peu en rond, mais sans qu’on perde l’intérêt parce que la distribution, toute la distribution, est exceptionnelle.

Toute la distribution du spectacle est exceptionnelle. Photo: Annie Diotte / La P’tite photographe

Serge Postigo nous offre une performance physique époustouflante, quelque part entre Olivier Guimond et Louis de Funès. Vocalement, il est stupéfiant.

À ses côtés, Tommy Joubert joue de son physique enveloppé pour nous épater, et de sa voix pour nous émouvoir. Quand il danse, il virevolte et lève la patte. Quand il chante, c’est la fragilité du personnage qu’il révèle.

Tommy Joubert et Serge Postigo sont époustouflants. Photo: Annie Diotte / La P’tite photographe

La Française Marianne Orlowski est suave dans le rôle de la belle blonde suédoise Ulla Inga Hansen Benson Yansen Tallen Hallen Svaden Swansson, Ulla pour les intimes, qui débarque dans le bureau des producteurs à la recherche d’un rôle.

La Française Marianne Orlowski est suave dans le rôle de la belle blonde suédoise Ulla. Photo: Annie Diotte / La P’tite photographe

Il faut aussi nommer Thiéry Dubé, qui prête ses traits au bourru Franz Liebkind, l’auteur nazi, Benoit Finley, l’approximatif metteur en scène Roger De Brie, et son adjoint, la grande folle Carmen Ghia, campée par Jean-Luke Côté.

Les numéros de groupe, tout en précision, sont dignes de Broadway. Que de talents au Québec. Gars et filles de la troupe excellent autant à chanter qu’à danser. Il y a un numéro avec déambulateurs dont on va se souvenir jusqu’à la fin de notre vie au CHSLD.

Tout ce beau monde, qui se démène corps et âme sur scène, est accompagné par des musiciens qu’on ne voit qu’au moment des saluts.

J’avoue qu’en première partie, j’ai été un peu surpris lorsque j’ai vu les producteurs Bialystock et Bloom s’affubler d’un brassard avec une croix gammée pour convaincre l’auteur nazi de céder ses droits d’auteur. À l’entracte, on m’a rappelé que Mel Brooks a beaucoup utilisé les signes nazis dans ses spectacles pour les tourner en ridicule. Adolf Hitler a fréquemment été le souffre-douleur de cet auteur new-yorkais né dans une famille juive germano-russe. Autodérision, ironie, stéréotypes, on est tout à fait dans ce qu’on appelle l’humour juif.

De fait, lorsque The Producers a été présenté en Israël en 2006, le spectacle a été un triomphe. Même chose en Allemagne, en 2009, où l’on avait pourtant augmenté les mesures de sécurité autour de l’Admiralspalast de Berlin de peur que la parodie du Führer soit mal reçue.

Quant à la production offerte par Musicor Spectacles à l’Espace St-Denis, elle a été pensée spécifiquement pour un public québécois. Le texte est truffé de références d’ici et de jurons locaux. Et ça marche! On sent même qu’après l’avoir joué à la française dans l’Hexagone, Serge Postigo prend un malin plaisir à mordre dans son adaptation sacrément québécoise.

Courez voir Les producteurs pendant qu’on joue la comédie musicale au St-Denis, la critique est unanime. Il y a aussi la possibilité de se garder ce plaisir pour l’été, car la production sera à l’affiche du Capitole de Québec du 27 juin au 14 juillet.