Le plongeur au cinéma: banco!
Prêts à replonger? Six ans après la parution du roman Le plongeur de Stéphane Larue, véritable knock-out littéraire, voici le film. Ce long-métrage très attendu au Québec s’est révélé en première mondiale au Rendez-vous du cinéma québécois mercredi, deux jours avant sa sortie en salle. Je ne vous ferai pas languir: cette adaptation cinématographique est réussie!
En 2017, j’avais été secoué par le tout premier roman de Stéphane Larue. Sa manière crue de raconter l’envers du décor des restaurants chics et branchés de Montréal m’avait jeté au tapis. Et je n’avais pas été le seul à avoir reçu dans la gueule les uppercuts de cette puissante «prose-combat». Cet ouvrage a été un succès de vente. Il a remporté en 2017 le Prix des libraires du Québec et le prix Senghor du premier roman francophone. Traduit en anglais sous le titre The Dishwasher, il a mérité l’Amazon Canada First Novel Award en 2020. Il faut dire qu’il y a un souffle phénoménal dans ce livre de 568 pages.
Évidemment, plusieurs ont pensé à transposer cette histoire au cinéma. C’est Francis Leclerc (Mémoires affectives, Un été sans point ni coup sûr, 5e rang) qui a hérité de la mission. Avec Éric K. Boulianne (De père en flic, Menteur, PRANK), il a concocté un scénario fidèle au livre, mais qui a sa propre dynamique; après tout, on est au cinéma.
Le personnage principal, Stéphane, 19 ans, étudiant en arts visuels au Cégep du Vieux Montréal qui s’inflige de travailler à la plonge d’un resto chic pour gagner des sous, est le narrateur de son histoire. La voix off qu’on entend est excellente. Comment pourrait-il en être autrement, on a fait appel à Marc-André Grondin (C.R.A.Z.Y.).
À l’écran, c’est Henri Picard qui porte le tablier du plongeur. Il a l’âge du personnage, le même visage angélique et la petite stature qu’on avait imaginés dans le livre. Stéphane, c’est un bon petit garçon de la Rive-Sud happé par la grande ville, qui ne peut résister au démon des jeux de hasard qui l’habite. L’attrait qu’il a pour les machines à sous qu’il trouve constamment sur son chemin le transforme en menteur et l’amène sur des sentiers dangereux.
Leclerc et Boulianne ont élagué dans l’histoire pour se concentrer sur Stéphane, qui est pratiquement de toutes les scènes, et quatre personnages périphériques. Le récit est clair. Il y a toujours de l’action. On privilégie le rythme et l’ambiance plus que la psychologie des personnages.
Autour du plongeur, il y a l’exubérant cuisinier Bébert, Bonnie, la très métal sous-chef anglo, Greg, le busboy louche, et Malik, le cousin bienveillant.
Avec eux, on se transporte de la frénésie d’une cuisine qui carbure à l’adrénaline et à l’alcool au monde sombre des after hours où la boose et la dope servent d’expédients, en passant par l’abominable broyeur de vie que peuvent être les casinos pour ceux qui souffrent de dépendance au jeu.
Vous vous imaginez bien que les scènes devant les machines à sous, les tables de black jack et de roulette n’ont pas été tournées au Casino de Montréal (en fait, elles l’ont été dans le foyer du Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, j’ai reconnu le rideau en blocs d’acrylique de Micheline Beauchemin).
Dans le livre, le portait dévastateur que l’auteur fait de la spirale du jeu est certainement la pire publicité qui soit pour Loto-Québec. Même chose dans le film. La manière dont l’excellent directeur photo Steve Asselin a tourné les scènes de jeu ne fait aucun doute sur l’emprise dévastatrice que les casinos ont sur leurs proies. Tout y est: les appareils de loterie avec leurs lumières qui clignotent et rendent dingue, les 7, les cerises, les bars, et les jackpots qui tournent comme si c’était une roulette russe, les jetons qui s’empilent de manière éphémère sur le tapis, et l’incontournable petite bille, gossante, qui virevolte dans le cylindre de la roulette en procurant des espoirs, trop souvent déçus.
Le tournage en cuisine est aussi à la hauteur de ce qu’on a imaginé à la lecture du livre, quoiqu’on aurait pu nous montrer un peu plus l’eau sale du lavabo qui ajoute tant au dégueu quotidien du préposé à la plonge.
La musique occupe une place importante dans Le plongeur. Stéphane est un adepte de musique heavy metal. Il a constamment ses écouteurs sur la tête à écouter Iron Maiden, Metallica, Beholder. Pas exactement dans ma palette, mais ça participe à rendre l’atmosphère plus heavy.
Félicitations à Francis Leclerc (quand même le fils de Félix) d’avoir intégré à son film quelques succès de ces groupes phares de la musique metal, mais aussi ceux des grands spécialistes du genre au Québec, Anonymus, Groovy Aardvark, Les chiens. On y entend aussi Stefie Shock, Dumas, Jean Leloup. Wow!
Ce qui manque le plus par rapport au livre, c’est l’odeur. Stéphane Larue avait parfaitement réussi à nous communiquer combien l’odorat est mis à rude épreuve dans un restaurant. Son personnage parlait constamment de son odeur corporelle. En effet, on sent rarement bon quand on sort d’un shift en cuisine. Si vous avez déjà travaillé dans la restauration, vous savez de quoi je parle.
On ne félicite pas souvent les directeurs de casting dans les critiques de film. Ici, j’insiste pour mentionner le travail judicieux de Brigitte Viau. Son choix est impeccable.
À son premier grand rôle au cinéma, Henri Picard est fabuleux, promis à une belle carrière. À la fois aimable et désespérant. Son Stéphane est faible, soumis et menteur comme j’avais décrit le personnage dans ma critique du livre.
Dans le rôle de Bébert, je découvre Charles-Aubey Houde. Son incarnation du cuisinier excessif est moins trash que dans le livre, mais plus attachant finalement. On n’a pas fini de le voir celui-là aussi.
Maxime De Cotret est parfait dans le rôle du Gino des années 2000, plus menaçant qu’il n’en a l’air: un fendant avec des mèches blondes dans les cheveux!
La comédienne anglophone Joan Hart correspond tellement à son personnage qu’on a l’impression qu’elle est vraiment Bonnie, la sous-chef qui ne s’en laisse imposer par personne.
Finalement, Guillaume Laurin incarne avec une belle empathie le cousin ange gardien, celui qui sauve le plongeur de la noyade. Parce que, oui, le film se termine bien. En fait, cette finale un peu rose bonbon arrive un peu comme un cheveu sur la soupe. Et comme quand ça arrive au restaurant, cela nous laisse sur une impression mitigée. Pas assez par contre pour bouder son plaisir. Le plongeur fait honneur au livre et mérite tout à fait le déplacement. Je dis banco! Et souhaitons qu’il fasse banco au box-office aussi.
Le plongeur bénéficie d’une importante sortie. Il prend l’affiche dans 56 salles à travers le Québec. Il sera incontournable!
Quand on sort content d’un film québécois, ça donne le goût de récidiver. Ça tombe bien, la 41e édition des Rendez-vous du cinéma québécois propose jusqu’au 4 mars prochain pas moins de 300 films, longs, courts, docus, animation. C’est l’occasion de rattraper des films qu’on a manqués durant la dernière année et de découvrir les productions les plus récentes. La programmation compte 76 premières. L’événement se passe à Montréal, avec des projections au Cineplex Quartier latin, à la Cinémathèque québécoise, et au Cinéma Impérial.